L’histoire se répète…
Une scène presque banale : deux hommes se parlent à la Grand-Rue, quand soudain, des individus lourdement armés surgissent. Edouard et Abellard sont emportés, séquestrés et menacés. Après plusieurs jours de terreur, les kidnappés sont libérés en échange de la coquette somme de 25 000 dollars américains.
Bien que familière, cette scène ne se déroule pas en 2020. Elle a lieu quinze ans avant, dans un pays politiquement déstabilisé et en proie aux violences de l’Opération Bagdad, entamée en 2004.
L’opération, dénommée après la capitale de l’Irak en crise à l’époque, prend naissance sur une revendication, celle du retour au pouvoir du premier président de l’ère démocratique haïtien, Jean Bertrand Aristide, alors exilé en Afrique du Sud. Un climat de terreur, fait d’assassinats, d’attaques et de kidnappings, instauré par les partisans du régime s’empare du pays.
L’instrumentalisation des groupes armés par des intérêts politiques, la déstabilisation et l’incapacité des forces de l’ordre à répondre aux assaillants, la toute puissance des chefs de gangs qui caractérisent cette époque se rapprochent de ce que vit le pays près de deux décennies après.
Vols de voitures
« Durant son deuxième mandat présidentiel, l’administration du président Aristide reposait sur des gangs armés, commente Me Bernard Gousse, ancien ministre de la Justice et de la Sécurité publique. À l’époque c’était le sommet de l’État qui était impliqué par le biais d’un gouvernement qui sombrait dans la violence contre ses opposants ».
Le prêtre catholique, vendeur d’espoir, lancera des gangs armés à l’assaut des étudiants de l’Université d’État d’Haïti (UEH). Le ras-le-bol populaire et les frustrations de la communauté internationale occasionneront son départ en février 2004.
Le mois suivant, un gouvernement provisoire ramène un calme relatif sur le pays.
« On a eu souvent des policiers décapités, brûlés ou éborgnés.»
« Puis d’un coup, le pays est frappé par un phénomène spectaculaire de vol de voitures, se rappelle Léon Charles, directeur général de la Police nationale d’Haïti en 2004. En une journée, on pouvait enregistrer plus d’une centaine de cas », dit celui qui a, depuis cette entrevue, repris les commandes de la PNH en 2020.
Cette vague de vols de véhicules annonçait l’Opération Bagdad. « Elle se caractérise par des attaques spectaculaires contre certains commissariats et agents de la police, explique Léon Charles. L’idée était de créer de la panique et de la peur chez la PNH afin de trouver la voie libre pour commettre des actes de banditisme ».
Décapitation de policiers
Rapidement, l’insécurité couvre l’ensemble du pays. Les groupes armés détruisent les biens privés et publics, tuent, volent et violent, laissant plusieurs milliers de victimes après leur passage. Ce phénomène s’est amplifié avec les fréquents cas de kidnapping contre rançon et l’entrée en scène des anciens militaires, notamment Guy Philippe, qui voulaient que l’armée soit remobilisée.
« On a eu souvent des policiers décapités, brûlés ou éborgnés », rapporte Me Bernard Gousse.
Le mouvement passera à sa deuxième phase en 2006, sous la présidence de René Préval. Selon un rapport du Réseau national de la défence des droits humains, les militants armés Lavalas vont faire pression pour obtenir «la réintégration dans l’administration publique des employés lavalassiens révoqués (entre 2004 et 2006) à la Direction générale des impôts (DGI), l’Office national d’assurance (ONA), l’Autorité aéroportuaire nationale (APN) et la Télécommunication d’Haïti S.A.M (TELECO). »
Pendant longtemps, ces institutions étatiques ont été utilisées comme officine de livraison de faveurs politiques. « Ces pratiques se sont amplifiées avec l’administration Aristide, explique Me Bernard Gousse. Il a fallu donner de l’argent à des gangs (« Jere baz »). Tout homme faisant partie d’un quelconque « baz » avait son chèque dans l’une de ces institutions d’État ».
Pour changer de pratique, le président Préval introduit une loi sur la retraite anticipée et commence à assainir ces institutions des emplois créés par népotisme. Les opposants qualifient cet acte de « répression politique ». Pour apaiser les protestataires, le gouvernement fait alors un compromis en acceptant de payer la pension des anciens militaires et en introduisant un programme de réinsertion sociale pour les anciens criminels.
Contactés, des membres du parti politique Fanmi Lavalas, dont Shiller Louidor et Pasha Vorbe, n’ont pas accordé d’interview dans le cadre de cet article.
Attaques directes
En 2020, l’ancien policier, Jimmy Cherizier, alias Barbecue, prend les commandes d’une coalition de gangs dénommée G9 qui se trouve sous le contrôle du pouvoir en place, selon des organisations de défense des droits humains.
L’opération Bagdad avait aussi ses chefs de gangs puissants en la personne d’Evens Ti kouto, Dom Laj, Dread Wilmé ou Grenn Sonnen. La majeure partie de ces barons du crime ont été tués, depuis. Mais bien avant, ils ont réussi à terroriser avec leurs attaques directes les 6 000 agents que comptait la PNH. Selon le DG Léon Charles, environ 2,000 policiers étaient réellement actifs. Les autres n’avaient pas voulu s’impliquer ou ont abandonné les rangs de l’institution.
Les policiers étaient beaucoup plus motivés en 2004, analyse pour sa part Léon Charles
L’introduction de la Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti en juin 2004 a apporté une aide logistique cruciale et constituait un élément dissuasif relatif. Cependant, la lourde bureaucratie de la mission l’empêchait de réagir à temps ou d’être dans la spontanéité.
« Des choses se passaient sous les yeux de la MINUSTAH sans qu’elle réagisse pour autant, dit Me Bernard Gousse. Leur support logistique était nécessaire mais lorsqu’il fallait intervenir dans certains endroits, ce sont nos courageux policiers qui étaient en ligne de front pour faire face aux bandits de l’époque ».
Depuis, la MINUSTAH a fait place à la Mission des Nations unies pour l’appui à la Justice en Haïti puis au Bureau intégré des Nations Unies en Haïti. La dernière mission se cantonne aux plaidoyers et à l’appui au gouvernement. Elle ne s’implique pas sur le terrain.
Criminels déguisés
Avec le chaos de l’opération Bagdad, les partisans du pouvoir Lavalas prétendaient faire « résistance contre l’enlèvement du Président Jean Bertrand Aristide ». Mais au fait, ils s’adonnaient à la « criminalité pure et simple contre la police nationale et la population », affirme Me Bernard Gousse.
De leur côté, les leaders du G9 se font appeler « leaders communautaires ». Barbecue se présente comme défenseur des opprimés des quartiers défavorisés et appelle à une « révolution armée ». Cependant, de nombreux rapports certifient l’implication de ces bandits, officiellement recherchés par la Police, dans des cas de d’enlèvements et de massacres de populations innocentes.
« Quand on a des revendications politiques il faut employer des moyens politiques pour obtenir gain de cause, analyse Me Bernard Gousse. Dès qu’on utilise des moyens violents, d’une part on disqualifie sa cause et d’autre part la violence appelle la violence.»
Hier comme aujourd’hui, la criminalité fait corps avec la politique. Me Gousse parle d’un mélange entre ces deux catégories d’individus. « L’interpénétration perverse entre ces deux mondes atteint son stade culminant au point où des criminels ou bandits occupent des postes politiques au Parlement et dans l’administration publique ».
En 2004, un camp politique nouait clairement des relations avec les bandits. « À présent, presque toute la classe politique s’est affiliée aux gangs vu qu’on prétend qu’il faut s’appuyer sur les gangs pour faire de la politique», poursuit-il.
Etat dysfonctionnel
Cette situation fragilise le fonctionnement de l’État, infiltré par des alliés et sympathisants des chefs de groupes armés illégaux. Ceci affaiblit la PNH. « Le policier ne se sent plus soutenu dans sa lutte contre la criminalité parce que cela risque de se retourner contre lui, soit par son transfert ou par sa révocation », dit Me Bernard Gousse.
Les policiers étaient beaucoup plus motivés en 2004, analyse pour sa part Léon Charles. « Bien que les conditions salariales n’étaient pas confortables, les policiers avaient la perception d’avoir un back-up politique lorsqu’ils faisaient leur travail », dit-il.
À cette époque, « chèf te chèf, bandi te bandi », a déclaré Charles pour qui la Police doit retrouver sa force légale et sa légitimité dans le combat contre la criminalité.
Emmanuel Moise Yves
Photo couverture: Rodrigo Abd / AP
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