Une récente étude de l’Université du Michigan pointe du doigt la présence d’arsenic et de cadmium à des niveaux inacceptables dans le riz importé en Haïti. AyiboPost s’est entretenu avec Jackie Goodrich, une des auteurs de ce travail scientifique
Le riz consommé en Haïti, en provenance des États-Unis et d’autres pays, contient deux fois plus d’arsenic et de cadmium, deux substances dangereuses pour la santé, en comparaison au riz local, selon les conclusions d’une recherche scientifique de l’Université du Michigan, publiée en février 2024.
Ce riz passe généralement les tests de qualité des USA. Mais ces tests se basent sur une consommation américaine occasionnelle, bien loin de la prédominance de ce produit dans la diète d’un pays comme Haïti, où le riz reste la base de l’alimentation.
Dans une interview accordée à AyiboPost, Jackie Goodrich, professeure agrégée de recherche en sciences de la santé environnementale et coautrice de l’étude, appelle les autorités américaines à réévaluer les standards et à supprimer les importantes subventions accordées à l’industrie du riz.
Dr Goodrich demande également aux autorités haïtiennes de valoriser le riz local, tout en faisant des recommandations pratiques pour diminuer la concentration d’arsenic et de cadmium dans le riz importé.
Dans un communiqué de presse rendu public le 24 février 2024, l’entité représentant l’industrie, USA Rice, assure que ses membres respectent les «protocoles de contrôle de qualité stricts».
Sans preuve concrète, USA Rice attaque le fondement scientifique de l’étude de l’Université du Michigan dans un contexte où Haïti importe chaque année pour plus de 200 millions de dollars de riz des États-Unis.
Cette interview a été condensée et éditée pour en améliorer la clarté.
AyiboPost : Quelles sont les principales conclusions de votre étude sur le riz importé en Haïti ?
Jackie Goodrich : J’ai mené cette étude avec une étudiante diplômée, Victoria Koski-Karell. Elle était en Haïti dans la région de Bas-Artibonite pour étudier le choléra et d’autres problèmes avec des agronomes locaux. Pendant son séjour là-bas, de nombreux agriculteurs ont mentionné les problèmes liés à la présence de riz importé en concurrence avec leur propre riz. Ils estimaient également que le riz importé n’était pas sain.
Nous savions, grâce à d’autres études menées aux États-Unis, que parfois le riz cultivé chez nous contient de l’arsenic, un métal toxique, naturellement présent dans l’environnement des plantations. Nous avons pensé qu’un bon point de départ serait d’étudier l’arsenic et un autre métal toxique dangereux, le cadmium.
Nous voulions également examiner le riz cultivé localement dans cette région et le comparer à différents échantillons de riz importé de plusieurs endroits.
Nous savions, grâce à d’autres études menées aux États-Unis, que parfois le riz cultivé chez nous contient de l’arsenic, un métal toxique, naturellement présent dans l’environnement des plantations.
Lorsque nous avons effectué ces comparaisons, nous avons été surpris de constater une grande différence. Tous les échantillons provenant des agriculteurs locaux de cette région présentaient des taux très faibles d’arsenic. Ils étaient presque sains. Le cadmium n’a été détecté dans presque aucun de ces échantillons, et les niveaux d’arsenic étaient très bas.
Mais les niveaux dans les échantillons importés des États-Unis, ainsi que ceux que nous avons collectés d’autres pays, avaient deux fois plus d’arsenic. Certains d’entre eux avaient même des niveaux que nous considérerions comme trop élevés pour la santé.
Cette découverte était importante. Mais nous voulions aussi la mettre en contexte. Les niveaux d’Arsenic et de Cadmium [aux États-Unis] fixés pour la sécurité pourraient supposer que vous consommez peut-être une tasse de riz par jour ou quelque chose comme ça.
Mais nous savions, grâce à nos partenaires en Haïti, que beaucoup d’Haïtiens mangent parfois trois tasses de riz par jour, voire parfois quatre. Cela signifie que vous absorbez plus d’arsenic chaque jour si vous mangez beaucoup de riz importé.
Nous avons donc fait quelques estimations pour comprendre quelle quantité d’arsenic les gens pourraient absorber dans leur organisme s’ils mangeaient trois tasses de riz importé par jour, par rapport au riz cultivé localement : nous estimons que certaines personnes pourraient avoir des niveaux dans leur corps qui pourraient entraîner des effets sur la santé à long terme si elles continuent à manger autant de riz importé chaque jour.
Tous les échantillons provenant des agriculteurs locaux de cette région présentaient des taux très faibles d’arsenic. Ils étaient presque sains.
Comment avez-vous mis en place l’étude ?
Nous avons travaillé dans la région de Bas Artibonite, car nous avions des partenariats avec certains agriculteurs locaux.
Pour notre procédure d’échantillonnage, nous avons décidé de ne pas tout prendre d’un seul marché. Nous voulions obtenir une distribution de différents produits.
Notre équipe a collecté du riz dans quatre marchés en plein air différents et cinq moulins à riz dans la vallée du Bas-Artibonite. C’est là que nous avons obtenu le riz cultivé localement.
Ensuite, nous avons collecté 48 échantillons de différentes exploitations agricoles, pour obtenir une distribution et voir si les choses étaient les mêmes ou différentes. Nous avons également récupéré des échantillons de riz importé sur les mêmes marchés en plein air où nous avons collecté le riz local.
En plus de cela, nous sommes également allés dans deux supermarchés à Saint-Marc pour collecter du riz importé. Nous avons obtenu des échantillons de 14 marques différentes provenant de huit pays différents.
Savons-nous si ce riz, qui a un niveau élevé d’arsenic, est vendu aux États-Unis ?
Nous vendons et achetons le même riz aux États-Unis, mais la plupart des gens aux USA ne consomment pas autant de riz.
Si vous ne mangez du riz qu’une fois par jour ou une fois de temps en temps, le niveau n’est pas aussi préoccupant. C’est plus inquiétant si vous mangez beaucoup de riz tous les jours.
Parlons de l’institution avec laquelle vous avez collaboré pour cette recherche.
Je dois dire que notre partenaire et son organisation préfèrent rester anonymes. Ils ne voulaient pas mettre le vrai nom de leur organisation dans notre document, car ils craignaient pour leur sécurité et leur vie privée.
Quelles sont les conséquences de la consommation régulière de riz contenant autant d’arsenic ?
Tous les effets sur la santé qui nous préoccupent surviennent si vous consommez quelques tasses de riz par jour, pendant de nombreuses années.
Les personnes dont le riz représente une partie très régulière de l’alimentation — plus d’une ou deux tasses par jour — me préoccupent le plus.
Il existe certaines lésions cutanées qui ne sont pas cancéreuses et qui peuvent survenir en cas d’exposition chronique à l’arsenic. Il y a un risque plus élevé de développer du diabète et certaines maladies cardiovasculaires.
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Vous pouvez être victime d’un accident vasculaire cérébral si vous êtes exposé à beaucoup d’arsenic sur une longue période.
Des niveaux très élevés d’arsenic peuvent également être liés à certains cancers.
Mais je pense qu’il faudrait une exposition plus importante, au-delà de celle que vous obtenez simplement en consommant du riz, pour atteindre les niveaux où l’on s’attendrait à un cancer.
Vous pouvez être victime d’un accident vasculaire cérébral si vous êtes exposé à beaucoup d’arsenic sur une longue période.
Chez les enfants, nous constatons que l’exposition chronique à l’arsenic peut être liée à une croissance moins bonne, à une taille plus petite, à des problèmes neurologiques et cognitifs. Nous ne sommes pas tout à fait sûrs des niveaux exacts d’arsenic qui provoquent cela.
Cela semble varier selon les endroits, mais nous pensons qu’il est préférable de réduire l’exposition à l’arsenic chez les enfants, même si c’est simplement en remplaçant un repas par jour de riz par autre chose.
Savons-nous d’où vient cet arsenic ?
Aux États-Unis, une grande partie de notre riz est cultivée dans la partie centrale du sud du pays. Et dans cette région, il y a naturellement de l’arsenic dans le sol. Il y avait autrefois de l’arsenic dans de nombreux pesticides, donc une partie a été déversée dans l’environnement.
Et une fois qu’il est là, les plantes de riz sont particulièrement douées pour l’absorber.
Comment un riz qui n’est pas sain pour la consommation humaine se retrouve-t-il dans les assiettes des gens en Haïti ?
Aux États-Unis, nous ne testons pas tous les aliments qui sont cultivés et expédiés. Nous avons des limites suggérées que le riz ne devrait pas dépasser, mais c’est plus une suggestion et ce n’est pas une loi contraignante. Nous ne mesurons pas dans chaque échantillon qui est cultivé.
Les niveaux d’Arsenic et de Cadmium dans la plupart des échantillons que nous avons mesurés sont techniquement en dessous des limites recommandées par les directives réglementaires.
Des niveaux très élevés d’arsenic peuvent également être liés à certains cancers.
Nous pensons que cette limite ne protège pas suffisamment les personnes qui consomment beaucoup de riz. C’est bien pour nous d’avoir ce riz ici aux États-Unis si nous ne le mangeons que quelques fois par semaine. Mais ce n’est pas bon si les gens en Haïti vont le manger plusieurs fois par jour.
Peut-on relier certains problèmes de santé que nous rencontrons en Haïti aujourd’hui à la consommation de ce riz ?
Nous avons mesuré l’arsenic dans le riz que les gens mangent, mais nous ne l’avons pas encore mesuré directement dans le corps des gens. Nous n’avons pas mesuré les effets de ces métaux sur la santé de ces mêmes personnes.
Quels retours avez-vous reçus depuis la publication de l’étude ?
Je viens de lire la déclaration de USA Rice aujourd’hui. Ils disent qu’il n’y a aucune preuve que l’arsenic dans le riz peut causer ces effets sur la santé et que le riz est bon.
Ma réaction à cela est que, oui, techniquement, les niveaux que nous avons trouvés dans la plupart des échantillons étaient inférieurs à notre limite recommandée aux États-Unis.
Mais je pense que la limite recommandée est trop élevée en fonction de nombreuses recherches sur la santé menées dans de nombreux endroits à travers le monde pour les personnes qui consomment beaucoup de riz.
La réponse que la Fédération du riz des États-Unis a donnée ressemble à ce que font beaucoup d’industries lorsque vous dites que leur produit pose un problème.
D’où vient ce problème exactement ?
Si les politiques pouvaient soutenir le système alimentaire local plutôt que le système alimentaire importé, et si le système alimentaire local pouvait produire suffisamment pour nourrir la nation, alors de nombreuses choses bénéfiques se produiraient.
Bien sûr, il y aurait beaucoup d’avantages pour la santé. Nous réduirions l’arsenic. Mais le régime alimentaire serait plus diversifié, ce qui soutiendrait les producteurs locaux, au lieu des exploitations rizicoles d’autres nations comme les États-Unis.
Cela s’est produit au cours des dernières décennies en raison des subventions américaines au riz, ce qui rend le riz bon marché en Haïti. Il est facile pour nous de le vendre et de réaliser un profit, car il est bon marché à cultiver. La pression exercée sur Haïti pour qu’elle baisse ses tarifs dans les années 1990 n’a pas été bénéfique pour le pays.
Savez-vous comment des pays comme le Mexique et le Japon, politiquement et peut-être administrativement plus solides que Haïti, ont accepté le même riz des États-Unis ?
Je pense que c’est un problème qui n’est pas bien reconnu nulle part. Je n’ai pas entendu parler de réglementations au Japon ou au Mexique qui rejettent le riz des États-Unis et disent que ce n’est pas sain, ne l’utilisez pas.
Cependant, dans ces pays, il y a beaucoup plus d’options. Vous pouvez toujours obtenir du riz de n’importe quel autre endroit, pas seulement des États-Unis. Contrairement à Haïti, où la grande majorité des exportations vient des USA.
D’un point de vue politique, que devrait-il se passer aux États-Unis pour résoudre ce problème ? Mais également, que pensez-vous que les Haïtiens devraient faire concernant le riz venant des États-Unis ?
Du côté américain, nous avons une législation qui subventionne fortement notre industrie agricole, en particulier des produits comme le riz et le maïs.
Et cela rend ces produits bon marché, ce qui facilite grandement leur exportation en grande quantité, permettant aux producteurs de réaliser des bénéfices en les envoyant dans d’autres endroits comme Haïti.
Beaucoup d’entre nous dans ce domaine pensent que nous ne devrions pas avoir subventions aussi élevées pour cette industrie agricole.
Pour les citoyens haïtiens, il y a une certaine manière de cuisiner le riz importé qui éliminera environ la moitié de l’arsenic qu’il contient. La meilleure méthode que j’ai vue est l’étuvage (parboilisation).
Vous faites bouillir beaucoup d’eau, environ quatre tasses pour chaque tasse de riz. Ensuite, vous mettez le riz dans l’eau bouillante, vous le faites bouillir pendant cinq minutes. Cela dissocie une partie de l’arsenic du riz et le rejette dans l’eau.
Ensuite, vous jetez cette eau pour ne pas la consommer. Puis, vous mettez de l’eau propre et vous finissez la cuisson de votre riz comme vous le souhaitez normalement. Cette méthode peut réduire l’arsenic de moitié.
Une autre chose qu’ils peuvent faire est, chaque fois que c’est possible, d’acheter du riz local.
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De plus, si votre région cultive un autre grain que le riz, essayez de substituer certains de vos repas avec cela chaque fois que vous le pouvez, simplement pour ne pas dépendre autant du riz dans l’alimentation.
À quoi ressemble la responsabilité pour l’industrie lorsque le riz qu’elle produit nuit potentiellement aux gens en Haïti ?
Je pense que la responsabilité consisterait à établir des directives plus strictes.
Par exemple, actuellement, la directive que nous avons dit que vous pouvez avoir une certaine quantité d’arsenic dans le riz et que c’est acceptable. Et la plupart des échantillons que nous avons mesurés étaient juste en dessous de cette directive. Cela signifie donc que l’industrie peut dire : oh, regardez, il n’y a pas de problème.
Mais je pense que cette directive doit vraiment être réévaluée, car nous avons constaté des effets de l’arsenic à des niveaux potentiellement plus faibles sur différentes populations dans le monde.
Je pense que la responsabilité consiste à réévaluer notre directive et à faire davantage de tests sur les échantillons de riz aux États-Unis.
Qu’en est-il des autorités haïtiennes ?
La meilleure chose que les autorités haïtiennes pourraient faire est de promouvoir l’industrie agricole locale.
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Nous avons montré que le riz produit en Haïti contient très peu d’arsenic et de cadmium, donc il contient peu de produits chimiques toxiques.
Mais en plus de cela, soutenir les travailleurs locaux donne aux gens plus d’autonomie pour avoir la nourriture dont ils ont besoin.
Mise à jour de la rédaction: Après publication, les auteurs ont reçu de nombreuses préoccupations concernant l’article, que la revue scientifique a fini par retirer, offrant aux chercheurs la possibilité de répondre.
Selon le docteur Goodrich, les principales préoccupations portaient sur l’interprétation des données et les recommandations politiques. « En gros, [les critiques] pensent que les niveaux d’arsenic que nous avons rapportés ne sont pas aussi toxiques que nous l’avons écrit dans l’article », a déclaré à AyiboPost le docteur Goodrich.
« Nous modifions l’article pour la soumettre à nouveau avec une interprétation plus modérée », a ajouté le docteur Goodrich. « Cependant, dit-elle, les données et les faits ne changeront pas. Le riz importé contient toujours deux fois plus d’arsenic que celui cultivé en Haïti, et cela pourrait avoir des impacts à long terme sur la santé. »11.12 17.5.2024
Image de couverture éditée par AyiboPost mettant en avant la chercheuse Jackie Goodrich, avec en arrière-plan des sacs de riz américains habituellement importés en Haïti. | © Wilson Saintelus
Visionnez cette vidéo où AyiboPost avait expliqué, en 2019, les impacts négatifs du riz importé en Haïti sur la production nationale et l’économie du pays :
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