Que deviennent toutes ces réflexions faites chaque 8 mars, avec documents d’archives et PowerPoint à l’appui ?
Disons-le d’entrée de jeu : les personnes qui militent, font des plaidoyers, de la recherche, qui s’engagent à bosser l’année, leur vie durant, à poser les problèmes liés à la violation des droits de femmes dans l’espace public, familial, religieux, institutionnel, politique et artistique, à poser des actions concrètes face aux discriminations, aux sexismes, le 8 mars, elles sont particulièrement fatiguées. Car sollicitées de toute part pour ce jour sacré-de-parlons-femmes-et-finissons-en, où elles doivent profiter du moment d’attention pour débattre de véritables problèmes liés aux conditions des femmes. Que deviennent toutes ces réflexions faites ce jour-là avec documents d’archives et PowerPoint à l’appui ? Ne s’évaporent-elles pas le 8 mars à minuit cinquante-neuf ?
On n’en sait rien, mais on a trouvé l’idée géniale d’étendre les activités sur toute la semaine voire le mois entier, on s’en donne à cœur joie. Conférence par-ci, table ronde par-là autour de thèmes pas très clairs. Émission spéciale « femme » ou l’on reçoit des gens qui pensent avoir une idée sur la question pour de beaux échanges stériles. Et ça continue, c’est le moment de mettre le projecteur sur la femme dans tous les domaines. Capsule visuels ou document de sensibilisations produites par ONG et associations féministes locales. Les bailleurs ont mis des sous de côté pour ça évidemment, un 8 mars ça ne passe pas inaperçu ! Tout ça arrosé de bons concerts avec de superbes chanteuses qui vont chanter en l’honneur de « la femme ». Quel programme !
Certaines entreprises en profitent pour faire une activité pour leurs «employées », vous savez, question de les rappeler qu’on les aime bien. On distribue des fleurs et des petites blagues bien sexistes au tournant. Même si elles se font harceler de temps en temps, qu’elles aient peur de tomber ou de retomber enceintes pour ne pas perdre le poste, ce n’est pas si grave !
Loin de cracher sur ces initiatives louables, remplies de bonnes intentions et qui explosent notre agenda du mois de mars, on peut se demander est-ce que ce focus sur « La femme » à tort et à travers à cette date aide réellement le combat pour « ses droits » ? On sait que cette lutte est éminemment « politique » et donc corsée, et que le machisme et le sexisme sont bien institutionnalisés, profondément ancrés dans un pays dont l’appareil judiciaire reste faible et où l’endoctrinement de l’église entrave les droits des femmes. Quant aux espaces de décisions, Christiane Taubira, guyanaise, femme politique et militante dans une interview accordée à Konbini un média en ligne disait : « Les lieux de pouvoir ne sont pas pensés pour les femmes, on y arrive et on est déjà mal à l’aise. Il faut changer la perception des femmes concrètement dans le fonctionnement des institutions ».
Autour des activités du 8 mars, on a vu des thèmes comme « L’importance de la femme dans la société ». De quoi parlons-nous ? De cette société qui a décidé en amont en quoi nous sommes utiles et à quel moment le somme-nous ? Qui nous a limités, confinés à des rôles précis ? La lutte pour nos droits est d’enfreindre les règles établies par le patriarcat au détriment de notre bien-être. C’est remettre en question les rapports de domination et d’exclusion dans la famille même et dans l’espace public.
C’est la déconstruction de toute une éducation qui a poussé des militantes haïtiennes à dénoncer le viol comme crime politique (à l’époque le viol n’était pas un crime, mais juste une atteinte à l’honneur), pendant le coup d’État militaire de 1991. « Zozo pa zam », disait Magalie Marcelin comédienne et militante féministe haïtienne. Entre 2001-2002 elles ont fait un Plaidoyer pour le respect des droits sexuels et reproductifs, notamment la dépénalisation de l’avortement.
Parler des « droits » est un débat politique, controversé et en lieu et place voilà qu’on transforme le 8 mars en cacophonie, ou pire, en un saint valentin (part 2) et ce n’est pas anodin. Il faut que cette histoire de « droits » des femmes tombe dans du bruit, dans du vide. Que tout le monde en parle et finalement on n’en dit rien.
« Les droits » que nous jouissions en tant que femmes en Haïti aujourd’hui, sont le fruit de combats acharnés de militantes et il faut se le rappeler toujours, par exemple entre 1998 et 2000 il y avait des « négociations avec les autorités (parlement, exécutif) pour le changement des lois discriminatoires envers les femmes et l’adoption de nouvelles lois et de mesures respectueuses des droits humains : dépénalisation de l’adultère et de l’avortement ; paternité responsable ; reconnaissance légale du placage ; qualification du viol comme crime contre la personne ; accès au certificat médical en cas de violence ; âge légal du mariage et définition du domicile conjugal ; protection des enfants ; droits des travailleuses domestiques ; participation citoyenne et politique des femmes. » On parle bien de « négociation », autant dire que rien n’est gagné d’avance dans notre combat.
Et pour finir corrigeons, le 8 mars c’est la journée internationale des droits « des femmes » et non « de la femme », puisque nous sommes différentes et d’une culture à une autre nous vivons différemment notre condition de femme. Une Haïtienne n’a pas à se battre contre l’excision par exemple alors que des femmes qui appartiennent à des ethnies africaines qui pratiquent l’excision (une opération qui consiste à enlever le clitoris pour des raisons hautement sexistes comme diminuer le plaisir de la femme pour qu’elle soit fidèle), oui.
Vivement donc qu’on en finisse avec les « bonnes fêtes aux femmes » ce dimanche, parce qu’on ne célèbre rien du tout. Il est temps de s’engager jour après jour à combattre ces discriminations qui font que nos chances ne sont pas à égalité, qui retardent le développement de ce pays qui a besoin de la participation active des femmes dans la vie politique et sociale. En attendant, rendez-vous le 3 avril prochain qui est la journée nationale du mouvement des femmes haïtiennes, gardons encore de l’énergie pour cette date historique pour nous.
Nègès Dayiva
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