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Quand les policiers violent impunément le règlement interne de la PNH

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Le règlement interne de la Police nationale d’Haïti (PNH) exige qu’un policier se comporte de manière à être facilement identifiable sur son lieu de travail. Profitant de la faiblesse de l’institution, très peu de policiers se conforment à la règle et multiplient les bavures qui sont de plus en plus décriées par la population

Depuis plusieurs mois, des voix s’élèvent pour dénoncer le comportement agressif de certains policiers au cours des manifestations réclamant le départ de Jovenel Moïse de la présidence.

Sur la toile, des images comme celle partagée ici le 4 octobre dernier par la journaliste Valérie Baeriswyl montrent les scènes de violences qu’exercent les policiers sur les manifestants.

Violence de policiers sur des manifestants en fuite. Photo: Valerie Baeriswyl

Le porte-parole de la Police, Gary Desrosiers, s’est montré conscient de la situation en affirmant que le haut commandement « ne va tolérer aucune bavure policière ni aucun mauvais comportement non cadré avec la loi et les règlements intérieurs de l’institution. » 

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Puis, Gary Desrosiers tout en sollicitant le soutien « des manifestants et de la population » a précisé que « l’inspection générale est là pour réprimer ces comportements et n’hésitera pas à les sanctionner. »

Mais comment identifier un policier qui a commis une bavure au cours d’une intervention ?

L’identification est obligatoire

Cagoule sur la tête, aucun insigne ni brassard visibles, voitures sans identifiant ni plaque d’immatriculation… Les policiers font tout désormais pour dissimuler leur identité. « Hormis ses équipements, le policier possède un badge et un numéro d’identification siglé sur son uniforme », révèle Roger Jean-Louis, agent de l’unité de sécurité du Palais national (USGPN).

« Hormis ses équipements, le policier possède un badge et un numéro d’identification siglé sur son uniforme », révèle Roger Jean-Louis

Ce numéro d’identification est visible en haut de la poche appliquée sur le côté gauche de la chemise ou du t-shirt du fonctionnaire de la police. Selon Jean-Louis, « le port de ce numéro était formellement exigé au cours du mandat de Mario Andrésol à la tête de l’institution. Maintenant, il n’est plus obligatoire. »

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Quant au badge, il n’est pas obligatoire que le policier l’arbore ou le présente sous la demande d’un citoyen, affirme Roger Jean-Louis. « Il est légitime qu’un citoyen demande au policier de présenter son badge au cours d’une intervention. Cependant, certains collègues pourraient mal réagir contre cette demande puisque l’institution n’exige pas cette règle », témoigne l’agent de l’USGPN.

L’inspecteur René Petit-Frère, 24 ans de service au sein de la PNH, affirme que « les règlements internes de l’inspection générale exigent formellement au policier de toujours porter son badge autour de son cou lorsqu’il est en uniforme ». Un avis contraire à celui de Roger Jean-Louis.

Les règlements internes de l’inspection générale exigent formellement au policier de toujours porter son badge autour de son cou lorsqu’il est en uniforme. René Petit-Frère

L’inspecteur précise que l’insigne est attaché à un cordon bleu, targuant le sigle de l’institution en blanc sur toute sa longueur.

 « La carte porte le nom complet du policier, son numéro d’immatriculation, son poids et sa hauteur. Deux photos d’identité y sont également imprimées. Elles présentent respectivement le faciès du policier avec et sans képi », souligne l’inspecteur.

Mieux identifier un policier

René Petit Frère affirme que l’immatriculation scotchée à l’uniforme est la meilleure façon d’identifier un agent de police. Cependant, cet insigne est de moins en moins porté par ces fonctionnaires ou est dissimulé sous un gilet pare-balles.

Sur ce point, l’inspecteur blâme le haut commandement de la PNH qui, dit-il, néglige les recommandations que le règlement interne fait aux policiers.

Des dérives

La militante des Droits de l’homme, Marie Yolène Gilles dit également constater des dérives concernant l’identification des policiers.

Mis à part ses couleurs, « l’uniforme du policier doit être complété par son arme à feu, une paire de menottes, une ceinture en cuir noir ou en tissu à boucle simple et un bâton PR-24 », précise Marie Yolène Gilles. Ces éléments sont parfois complétés par une trousse renfermant le plus souvent une lame tranchante et un tube de gaz lacrymogène. 

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Les chaussures et les bottes doivent être noires, exclusivement à lacets. Elles sont différenciées selon le grade de l’agent, selon la responsable de Fondasyon Je Klere. « Les casquettes ainsi que leurs armoiries sont également définies selon les grades », ajoute Marie Yolène Gilles.

Les bijoux, les greffes et les tresses avec rallonge sont interdits lors du port de l’uniforme. « Cependant, rappelle-t-elle, toutes ces mesures ne concernent pas les policiers de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) qui doivent s’adapter à leur milieu d’enquête. »

Le port de la cagoule est permis sauf…

Les policiers s’encagoulent de plus en plus sans tenir compte de leur unité d’affectation. Ce fait s’observe surtout avec la montée de l’insécurité.

Cependant, d’après l’inspecteur René Petit-Frère, « seuls les policiers de la Brigade la lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS) et ceux de la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) sont autorisés à porter une cagoule au cours d’une opération politique ».

« Seuls les policiers de la Brigade de la lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS) et ceux de la Brigade de Recherche et d’Intervention (BRI) sont autorisés à porter une cagoule au cours d’une opération politique », d’après l’inspecteur René Petit-Frère.

Dans les faits, selon Roger Jean-Louis, cet accessoire est utilisé pour garder l’anonymat. « Certes, les corps d’élite sont autorisés à le porter. Cependant, le métier de policier devient de plus en plus fragile et risqué. En période de crise surtout, un policier s’encagoule pour éviter d’être attaqué à la fin de son travail », dit-il.   

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Marie Yolène Gilles, quant à elle, relativise sur la question. « Plusieurs policiers habitent dans les quartiers populaires où les membres de gangs sont très influents. Ceux qui font partie des corps d’élite doivent porter une cagoule. Cependant, les policiers du CIMO ou de l’UDMOH ne devraient pas en porter pendant les manifestations », soutient-elle.

La diversité de l’uniforme divise 

Le débat sur la pluralité d’uniformes au sein de la police nationale occupe la scène politique avec l’intensification des mouvements de protestation contre le pouvoir en place. Pour Roger Jean-Louis « c’est un faux débat », car chaque unité possède son propre uniforme reconnu par le haut commandement de la police.

Mais pour Pierre Espérance du Réseau national des droits de l’homme, le problème existe bel et bien. « Les uniformes de la police sont très connus, mais depuis quelques temps, certains mercenaires se camouflent sous certaines couleurs qui sont faussement attribuées à l’institution », affirme-t-il.

Pour illustrer son affirmation, le coordonnateur raconte que lors de son installation, le délégué départemental du Nord, Pierrot Degault Augustin, s’est fait entourer de plusieurs hommes en uniforme, lourdement armés, n’appartenant pas à la PNH. « Cette situation doit être corrigée au plus vite », martèle Pierre Espérance.

Cette pluralité d’uniformes constitue « un désordre » au sein du corps, estime Marie Yolène Gilles.

Cette pluralité d’uniformes constitue « un désordre » au sein du corps, estime Marie Yolène Gilles. « Actuellement, les appels d’offres de la PNH pour la confection des uniformes sont mal formulés ou sont organisés entre petits copains », poursuit-elle.

Ce qui cause, en fin de compte, l’existence des nombreux uniformes au sein de l’entité policière qui est « en faiblesse », conclut Marie Yolène Gilles.

Des noms d’emprunts ont été utilisés pour protéger l’identité des policiers qui ne sont pas autorisés à prendre la parole au nom de l’institution. 

Journaliste et communicateur

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