Insécurité

Premier kidnapping en Haïti : l’ambassadeur américain Clinton Knox, sous Duvalier fils

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Le rapt de l’ambassadeur Knox et du consul Christensen fut considéré comme le premier enlèvement en Haïti. Le régime dictatorial des Duvalier a plié et a accepté la voie de la négociation avec les ravisseurs  

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Le 23 janvier 1973, environ deux ans après la mort du dictateur François Duvalier, une opération à nulle autre pareille fut menée en Haïti. Cette fois, il ne s’agissait pas d’une intervention féroce de tontons macoutes sur des citoyens hantés par la peur d’être emprisonnés, torturés ou exécutés; mais plutôt de militants politiques voulant obtenir la libération des prisonniers politiques.

L’ambassadeur américain d’alors, Clinton Knox, et le consul général américain Ward Christensen ont été les principales victimes de cette journée. En sortant de l’ambassade américaine, seul dans son véhicule pour regagner sa demeure à Bourdon, Clinton Knox fut enlevé et séquestré dans sa propre demeure par trois individus armés, dont une femme. 

Son ami Ward Christensen a été pris aussi dans le guet-apens en lui rendant visite. Les deux diplomates ont été retenus en otages par les ravisseurs afin de contraindre Jean Claude Duvalier d’agréer leur demande.

Clinton Knox fut enlevé et séquestré dans sa propre demeure par trois individus armés, dont une femme. 

«Ils exigeaient une rançon de 500 000 dollars américains, la libération de 31 prisonniers politiques et un avion pour assurer leur fuite vers le Mexique», raconte la réalisatrice et productrice haïtienne, Rachèle Magloire, qui souhaite réaliser un documentaire sur ces faits.

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«Les noms des personnes qui ont commis cet acte n’ont jamais été révélés. Les luttes clandestines de l’époque étaient menées avec discrétion, face aux tontons macoutes qui constituaient la milice pro-gouvernementale», relate Magloire.

La nouvelle de l’enlèvement des diplomates défrayait la chronique à Port-au-Prince. Pour la première fois, le régime dictatorial des Duvalier a plié et a accepté la voie de la négociation pour éviter toute effusion de sang. 

La requête des ravisseurs mettait à nu le gouvernement qui, quelques mois avant la séquestration, par le biais du ministre de l’intérieur d’alors, Luckner Cambronne, affirmait à Washington qu’il n’y avait aucun prisonnier politique en Haïti.

Les deux diplomates ont été retenus en otages par les ravisseurs afin de contraindre Jean Claude Duvalier d’agréer leur demande.

Le rapt de l’ambassadeur Knox et du consul Christensen fut considéré comme le premier enlèvement en Haïti. «C’était aussi une façon de dénoncer l’appui des Etats-Unis au pouvoir en place. L’ambassade américaine bénéficie depuis toujours d’une grande influence sur les décisions politiques en Haïti», renchérit la réalisatrice. 

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C’est pourquoi les ravisseurs avaient choisi de tenir en otage des diplomates au lieu d’un ministre ou d’un membre du régime. «Les dirigeants sont moins sensibles au sort des Haïtiens ou de la population en général. L’enlèvement des diplomates constituait beaucoup plus une garantie aux yeux des kidnappeurs », pense Rachèle Magloire. 

L’ambassadeur français, Bernard Dorin, chargé de jouer le rôle de médiateur, facilitait les négociations entre le gouvernement et les ravisseurs. Après l’annonce officiel du rapt par le ministre de l’information, Fritz Cinéas, le gouvernement avait fait profil bas. Il avait même ordonné le retrait des forces de sécurité du pays dans le déroulement de cette affaire.

Le rapt de l’ambassadeur Knox et du consul Christensen fut considéré comme le premier enlèvement en Haïti.

Le diplomate français paraissait crédible aux yeux des ravisseurs pour faciliter les démarches. D’ailleurs, l’ambassadeur avait pris un engagement public pour leur prouver sa bonne foi.

Après les négociations, l’État haïtien a accepté de verser 70 000 dollars américains aux ravisseurs, d’ordonner la libération de 12 prisonniers politiques et de mettre à leur disposition un avion de la compagnie Air Haïti pour s’envoler vers le Mexique. 

C’est ainsi que dans la matinée du 24 janvier 1973, l’ambassadeur français se rend sur place pour la libération des deux Américains. Le véhicule du diplomate et celui de l’ambassadeur mexicain formaient un convoi à la disposition des ravisseurs, pour les acheminer vers l’aéroport international François Duvalier.

Le diplomate français paraissait crédible aux yeux des ravisseurs pour faciliter les démarches.

Le rapt des deux diplomates était considéré par le pouvoir en place comme un acte terroriste organisé par une poignée de communistes. À l’époque, être communiste était une infraction passible de la peine de mort. « En 1969, Duvalier avait même fait voter une loi contre le communiste », remarque Rachèle Magloire. 

Sous cette accusation de communiste, le régime totalitaire instauré par les Duvalier réprimait toute personne qu’il considérait comme une menace potentielle. C’est ainsi que le pays se vida de ses éléments les plus importants vers la fin des années 1960, et c’est aussi à cette période que sont partis les premiers boat people haïtiens aperçus sur les côtes de la Floride. 

Le pouvoir avait fait exécuter ou avait exilé des parlementaires, des prêtres, des hommes politiques, des militaires et des professionnels de toutes catégories en vertu de sa politique d’extermination des communistes. Tout ceci, avec le soutien des États-Unis d’Amérique envahis par la crainte d’avoir un deuxième Cuba dans la Caraïbe. C’est pour cela que les différents présidents américains supportaient la dictature ou adoptaient une attitude de laisser-faire à son égard.

Le rapt des deux diplomates était considéré par le pouvoir en place comme un acte terroriste organisé par une poignée de communistes.

Après l’enlèvement, le régime de Duvalier a adopté des mesures en vue de renforcer la protection des membres du pouvoir et du corps diplomatique. Entre-temps, les prisonniers politiques relâchés avaient été conduits par le général de brigade, Breton Claude, vers l’aéroport pour s’envoler vers le Mexique avec les ravisseurs. 

Ils répondaient au nom de:  Emmanold Napoléon ; Joseph Antonio ; Adrienne Gilbert ; Elisabeth Philibert ; St Rose Gay ; Jaques Magloire ; Josué Bernard ; Anna Napoléon ; Léostenne Milien ; Jacques Magloire ; Ulrick Joly ; Jean Napoleon et Emile Louis Almonord. 

Certains d’entre eux étaient emprisonnés depuis des années dans le triangle de la mort, nom donné au réseau de prisons tortionnaires (Fort Dimanche ; Caserne Dessalines ; la cellule carré politique au Pénitencier national) qui détenaient les prisonniers politiques. Les actes commis sur les prisonniers politiques de l’époque en disent long sur l’univers carcéral inique sous Duvalier.

Après l’enlèvement, le régime de Duvalier a adopté des mesures en vue de renforcer la protection des membres du pouvoir et du corps diplomatique.

AyiboPOST a tenté en vain d’entrer en contact avec Elisabeth Philibert, qui faisait partie des militants politiques relâchés, et qui réside actuellement au Canada.  Son mari Joseph Rodney, secrétaire général du parti Unifié des communistes haïtiens (PUCH), et elle, avaient été appréhendés en 1969, lors d’une opération menée par les militaires dans une maison dans laquelle se réunissaient les membres du parti. 

À l’époque, Philibert portait une enfant. Après l’accouchement, en août de la même année, elle a passé deux ans avec l’enfant au Pénitencier national avant que la petite soit libérée et rendue à sa grand-mère en 1971, avant l’accession de Jean-Claude Duvalier au pouvoir. Tel est, en partie, le récit d’un texte qu’elle a publié en 2019. 

Selon divers témoignages, la majorité des prisonniers relâchés ne voulaient pas se rendre au Mexique. Ils préféraient rester dans le pays. Toutefois, ils n’avaient pas le choix puisque dans l’entente avec les autorités, les ravisseurs avaient demandé qu’ils partent tous ensemble au Mexique. 

Les ravisseurs avaient demandé qu’ils partent tous ensemble au Mexique. 

D’après Rachèle Magloire, certains ont quitté le Mexique peu de temps après pour s’installer au Chili et à Cuba. «D’autres sont retournés en Haïti pour visiter leur famille, mais ils gardaient toujours leur silence», confie-t-elle. 

Cette opération commando contre les diplomates étrangers a été réalisée par des hommes braves, mais ils craignaient pour leur vie. « Ils n’avaient pas voulu rester dans le pays par peur d’être exécutés ou poursuivis peu de temps après. Les gens qui ont mené l’attaque faisaient également tout pour que leur nom ne soit pas dévoilé, par crainte des sanctions américaines, ou de peur d’être étiquetés comme des communistes », admet Magloire.

Quant à l’ambassadeur américain Clinton Knox, il est décédé à Silver Springs, Maryland, aux États-Unis le 14 octobre 1980, à l’âge de 72 ans. Il a officié en tant qu’ambassadeur américain en Haïti de 1969 à 1973.

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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