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Pourquoi trois entreprises de l’État haïtien se retrouvent aux mains du secteur privé ?

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Sous instigation des institutions internationales, des entreprises de l’État sont privatisées pour améliorer leur performance et diminuer les déficits

Trois entreprises publiques, à savoir, la cimenterie d’Haïti, la Minoterie Nationale et la Teleco sont tombées entre les mains du secteur privé en Haïti entre 1997 et 2010.

L’État conserve des « parts » dans ces structures. Pour la Natcom, (anciennement Teleco) l’administration publique devrait réclamer 40% des revenus générés par l’entreprise passée sous pavillon de l’armée vietnamienne après le tremblement de terre.

Mais, les informations sur la performance de ces institutions ne sont pas communiquées au grand public. Elles ne reversent pas non plus régulièrement à l’État son dû.

En Haïti, la privatisation a été initiée par l’ancien président Jean Bertrand Aristide. Pour négocier son retour au pays, après le coup d’État de 1991, l’ancien prêtre a signé l’accord de Paris et a projeté, du coup, de confier la gestion de neuf des plus grandes entreprises publiques d’Haïti au secteur privé, avec le fameux programme « retour à l’ordre constitutionnel ».

Cependant, c’est le président René Garcia Préval qui a mis en œuvre cet accord, en créant le Conseil de modernisation des entreprises publiques (CMEP) en 1996 et en privatisant entre 1997 et 1998, la Minoterie nationale et le Ciment d’Haïti, relate, Geneviève Michel. Cette avocate a travaillé à l’université sur la modernisation des entreprises publiques.

Une déception

« Le résultat de la privatisation est plutôt décevant en Haïti », analyse l’économiste Enomy Germain qui appelle les Haïtiens à la prudence.

Ce n’est qu’en mai 2009, par exemple, que les responsables de « Les Moulins d’Haïti », anciennement « Minoterie Nationale », ont remis la somme de 120 millions de gourdes de dividendes à la Première ministre d’alors, Michel Duvivier Pierre Louis, au nom de l’État haïtien.

Pour l’occasion, le responsable de l’entreprise, Carl Braun n’avait pas tari d’éloges en faveur de ce partenariat public-privé qui a mis un terme au fait que l’argent que générait autrefois « la Minoterie nationale » était utilisé à d’autres fins. Il avait aussi souligné qu’en dix ans, les Moulins d’Haïti ont fourni à l’état, en termes de dividendes et de taxes, pas moins de cinq milliards de gourdes.

Pendant ses huit premières années d’opérations, la Natcom n’a rien reversé à l’État. Il faudra attendre 2018, après des pressions du sénateur Patrice Dumont, pour que l’institution finisse par verser des dividendes d’un montant de 79.2 millions de gourdes à l’État haïtien. À cette époque, la compagnie avait une dette de 118.8 millions de gourdes de dividendes envers l’État.

Une opacité presque totale entoure les performances financières de ces entreprises. Selon Michel Présumé, un ancien président du CMEP, qui répondait aux questions du Nouvelliste, en juillet dernier, ce problème est dû à la maladresse des représentants de l’État haïtien au sein du Conseil d’administration de ces entreprises, puisque, selon la loi de 1996, quatre des neuf membres de ces conseils sont des représentants de l’État.

Michel Présumé, aujourd’hui directeur de l’Électricité d’État d’Haïti, a aussi indexé le laxisme des institutions de contrôle du pays qui ne font pas leur travail en exigeant les bilans et l’état financier de ces structures.

La solution contre la corruption ?

Le concept de privatisation connait ses lettres de noblesse dans les années 1980 avec la crise de la dette en Amérique latine. À l’époque, les entreprises publiques sont déclarées, « sources de déficits budgétaires », explique l’économiste Enomy Germain. « Le consensus de Washington, prônant la non-intervention de l’État dans les affaires économiques, afin de permettre une autorégulation de l’économie, a pesé lourd sur les privatisations. »

La privatisation est proposée comme un remède au manque de productivité des entreprises publiques. Régulièrement, les bailleurs de fonds internationaux comme le Fonds monétaire international dénoncent le fait que ces structures servent de caisses noires pour grossir les poches des dirigeants.

Coupables de mauvaises gestions, 9 des 33 entreprises que comprenait le secteur public en 1996 ont été mises sur une liste pour leur privatisation future. Ce sont : l’électricité d’Haïti (ED’H), la Teleco, la Banque Nationale de Crédit (BNC), la Banque populaire haïtienne (BPH), la Minoterie Nationale, l’Autorité portuaire nationale (APN), l’huilerie ENAOL, la Cimenterie d’Haïti et les Aéroports, selon un ouvrage de l’experte Sophie Porchellet.

Lire aussi: Pourquoi Haïti connaît-elle une croissance négative ?

Alors qu’aucune étude ne vient évaluer le bénéfice des trois premières privatisations effectuées par l’État haïtien, il est bruit que l’administration en place veut prendre ce chemin avec l’EDH. Ces rumeurs ont pris de l’élan avec la nomination de Michel Présumé comme directeur général de l’institution en juillet dernier.

En 1997, lors de la privatisation de la cimenterie d’Haïti et la Minoterie Nationale, Michel Présumé a été responsable du CMEP. Il a aussi été directeur général de la Teleco, bien avant sa privatisation en 2010. La nomination de ce cadre a occasionné une vague de protestation menée par des employés de l’EDH, profondément opposés à la privatisation de la structure.

Lors des mouvements de protestation, le nouveau DG avait vanté sur les ondes de la radio caraïbe les bienfaits de la privatisation des trois premières entreprises publiques. Nos tentatives pour l’interviewer ont été vaines.

La privatisation, surtout dans son implémentation en Haïti, alimente des critiques. Dans un pays où il y a tant d’inégalités, les entreprises publiques pourraient aider à redistribuer des revenus au sein de la population, croit Enomy Germain. L’économiste rappelle que la libéralisation du marché crée aujourd’hui des monopoles qui décident des prix, sous le regard passif de l’État qui, sans les entreprises publiques, n’arrive pas à accélérer le processus de concurrence.

Samuel Celiné

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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