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Pourquoi le compas n’est pas la musique préférée des jeunes en Haïti ?

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Aujourd’hui, le compas n’attire pas les jeunes mélomanes et encore moins les jeunes musiciens

 Le vétéran, Michael Guirand, s’inquiète pour lendemain du compas. « Nous sommes en majorité des musiciens quadragénaires ou quinquagénaire dans le Compas, dit-il. Beaucoup de jeunes ne se retrouvent pas vraiment en nous », déclare le chanteur et fondateur du groupe Vayb. « Lorsque Richard, Carlo et moi avons fondé CaRiMi, nous étions dans la vingtaine, les jeunes nous aimaient beaucoup et nous suivaient partout. […] Je pense qu’aujourd’hui le Compas a grand-soif d’une relève, pour ne pas dire que le Compas a soif d’un autre CaRiMi » élabore l’interprète de « Je ferai ».

Le compas reste le genre musical le plus populaire en Haïti, et cela ne date pas d’hier. Les bals et les festivals ont toujours une grande affluence. Les spectacles virtuels qui deviennent monnaie courante ont toujours une audience exceptionnelle. Malgré cet intérêt, le Compas n’est aujourd’hui pas la musique favorite de la majorité des jeunes du pays qui préfèrent le Rap créole, le Rabòday, les variétés ou tout simplement la musique étrangère.

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Dans les affiches des bals compas, l’on observe souvent la présence d’un artiste d’une autre tendance ou d’un DJ. C’est la même chose pour les festivals de la musique de Nemours Jean Baptiste. Les promoteurs se trouvent dans l’obligation de faire ce choix en vue de tirer profit. Quoi que les line-up des festivals aient toujours en majorité des groupes compas, le moment fort de ces activités arrive souvent quand le DJ joue un morceau de Rabòday ou d’une autre musique.

Autre constat : des artistes n’évoluant pas dans le secteur du Compas comme Baky, Tony Mix, Roody Roodboy, Wenddy, Izolan, Rutshelle, pour ne citer que ceux-là occupent une place prépondérante dans les playlists de la jeunesse haïtienne. Ils sont aussi très sollicités sur les albums compas depuis quelques années, grâce à leur popularité.

Le contenu et le « flow » du compas subit aussi des changements pour s’adapter au goût de la nouvelle génération. Plusieurs groupes excellent dans le domaine et proposent des compositions innovantes. Nous pouvons citer entre autres, la chanson Byen Pase de Kreyòl La, Respekte Fanm de Klass ou encore le Trap konpa du groupe Maestro. Selon les dires de T-Ansyto, le fondateur du groupe, son ambition c’est d’attirer des jeunes.

L’État et les médias responsables?

Le chanteur de T-Vice, Roberto Martino, pense savoir l’origine de l’essoufflement du compas. « À mon avis, il y a un problème à la base. L’État et les médias ne jouent pas leur rôle en bonne et due forme. L’État doit prendre des mesures afin de valoriser le compas sur le territoire. Quant aux médias, ils diffusent à outrance la musique étrangère au détriment de la nôtre. C’est inadmissible ! le compas est notre rythme, il devrait être le favori des Haïtiens. »

Le problème posé par Roberto Martino a fait l’objet d’un des travaux universitaires d’Edric Richard Richemond en 2003. Le professeur à la faculté des sciences humaines s’est questionné sur la « Place de l’art haïtien dans la programmation culturelle de la Radio nationale d’Haïti (RNH) ». Son travail a prouvé que la RNH, le média de l’État, marginalisait l’art haïtien au profit de celui en provenance de l’étranger.

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À l’époque de l’étude, la programmation culturelle de la RNH comportait seulement sept émissions culturelles dont le contenu était haïtien, soit 31 heures de diffusion par semaine. 26 émissions culturelles au contenu étranger ont été enregistrées, soit 58 heures et 30 minutes de diffusion. Aujourd’hui, il existe beaucoup de médias dans le pays qui ne diffusent que des chansons étrangères.

L’animateur Pipo Saint-Louis ne cesse de tirer la sonnette d’alarme dans ses diverses interventions. Pour lui, une musique dont les consommateurs ne sont pas des jeunes est une musique qui est en grand danger. « Dans les années 1970 et 1980, le Compas était en vie dans le pays, car il attirait beaucoup de jeunes à travers des activités comme les kermesses et les journées récréatives. Le compas se jouait aussi tous les week-ends dans les salles de cinéma devant des centaines de jeunes. Aujourd’hui, c’est différent. Il n’y a que des bals et des festivals qui se font en pleine nuit. Dans ce cas, il est normal que le compas ne soit plus la musique favorite de la jeunesse », explique avec inquiétude le patron d’Alternative Plus.

Le manque d’attrait de la tendance viendrait aussi de la complexité des productions. La musique compas est très exigeante dans sa composition, observe le promoteur Akinson Bélizaire (Zagalo). Pour lui, le Rabòday est plus « facile’. « Les musiques Rabòday sont linéaires et très attrayantes, elles incitent les jeunes rapidement à la danse », dit Zagalo. « Contrairement au Compas, le Rabòday est omniprésent, il se diffuse dans les bals, les festivals, les “pool party”, les “Ti sourit”, entre autres »

Le Compas, un produit de luxe

La majorité des jeunes en Haïti vivent dans l’insécurité financière. L’admission, souvent onéreuse, des spectacles compas est pour eux hors de prix.

« Pour aller dans un bal, le jeune a toujours besoin d’une forte somme », déclare Bernier Sylvain (BS). « L’admission du bal est en dollars, la somme dont il a besoin pour consommer dans le club est faramineuse. En revanche, c’est différent pour les “Pool party”, les “Atè plat” où les DJs diffusent à outrance les autres tendances. Avec 500 gourdes, un jeune peut payer le ticket et consommer facilement. Tant que la situation reste ainsi, le compas ne sera pas la musique favorite des jeunes », explique BS.

La famille et l’école sur la sellette

Jadis, les journées récréatives organisées dans les établissements scolaires faisaient la part belle au compas. « J’ai découvert le compas au début des années 1960 à l’école classique dans des activités culturelles », se rappelle Herman Nau. « Quelques années après, j’ai fondé avec Albert Chancy le groupe qui deviendra le plus grand ambassadeur de ce genre musical, en l’occurrence, le Tabou Combo ».

La famille a eu aussi son poids dans la balance. Nombreuses sont des figures de la musique dont le père a marqué le compas direct. Roberto et Reynaldo Martino, Rudy Nau, Hans Junior Mercier (T-Ansyto), Stanley Hérissé, Arly Larivière, forment une liste non exhaustive. De nos jours, Vladimir Méad (Master Brain) et Vendi Noah Étienne (Prince Vendi) fils respectivement de El Pozo et Katalòg évoluent dans le Rap en lieu et place du Compas.

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Si autrefois des parents comme Robert Martino, Daniel Larivière, entre autres, n’ont orienté leur fils que vers le compas, aujourd’hui, Katalòg, le chanteur de Gabèl rejette toute idée de voir son fils évoluer dans ce secteur auquel il s’adonne lui-même depuis plus d’une décennie. « Je ne permettrais qu’aucun de mes enfants ne fasse carrière dans le HMI — industrie musicale haïtienne, en anglais. Ici aux États-Unis, mon fils trouvera l’encadrement adéquat pour poursuivre son rêve. Il fera du rap ou tâtera d’autres styles de musique. Je le guiderai vers d’autres marchés qui sauront l’apprécier à sa juste valeur, aussi longtemps qu’il souhaitera continuer sur cette voie », a déclaré Katalòg à Ticket Magazine.

Pendant toute son histoire, le Compas a toujours vu poindre des groupes formés de jeunes musiciens, voire des adolescents ; cela ne se produit plus. L’ère des Mini-Jazz dans les années 1960 et 1970 ainsi que celle du Compas digital dans les années 1980 n’ont connu que de jeunes musiciens, certains avaient moins que 20 ans. Ce sont les deux plus grandes transformations qu’a subies le compas.

Aujourd’hui, même les groupes qui ne veulent attirer que des jeunes comportent dans leurs rangs des musiciens trentenaires ou quadragénaires. T-Ansyto du groupe Maestro a 38 ans ; quant à Medji et J-Beatz, ils ont respectivement 31 ans et 43 ans ; T-Joe Zenny du groupe Kreyòl La vient de célébrer son 43e anniversaire ; Nickenson Prud’homme a 43 ans. Depuis quelques années, la majorité de jeunes artistes qui veulent se frayer un chemin dans l’industrie musicale haïtienne s’oriente vers d’autres tendances. Aujourd’hui, le compas n’attire pas les jeunes mélomanes et encore moins les jeunes musiciens. 

Nazaire «Nazario» JOINVILLE, Communicateur social

Photo couverture : Car Wash party – Georges Harry Rouzier / AyiboPost 

Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

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