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Opinion | Le compas est-il en voie de disparition ?

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Depuis sa création par le célèbre musicien Nemours Jean-Baptiste jusqu’à date, le Compas a toujours fait l’objet de transformations

Dans son origine même, le compas est une variation de la meringue.

Au fil du temps le compas s’est mélangé avec entre autres, le jazz, le funk, le rap etc. Bien avant et après la création de ce rythme en 1955, les musiciens haïtiens étaient influencés par la musique étrangère. Nemours Jean-Baptiste, qui a sa paternité, a avoué dans une entrevue accordée à Dominique Janvier en juillet 1980 que toutes les partitions de l’Ensemble Atomique, l’un de ses groupes, venaient de Cuba.

Aujourd’hui, le Compas est-il en période de transformation ou en voie de disparition ?

Dans sa conception même, le genre musical de Nemours avait subi des influences étrangères selon, certains observateurs. Néanmoins dans la même entrevue accordée à Dominique, Nemours a répliqué que son rythme est purement haïtien, il n’est nullement étranger.

Comme tout autre genre musical, il faut dire que le Compas direct n’était jamais statique, car son histoire a connu plusieurs phases.

Wébert Sicot avec sa Cadence Rampa au début des années 1960 ; les Shleu Shleu, les Ambassadeurs ou les Fantaisistes de Carrefour et tant d’autres Mini-Jazz au cours des années 1960 et 1970 ; Top Vice avec le Compas digital dans les années 1980 ; certains groupes d’aujourd’hui dont Maestro, 5 Lan ou J-Beatz… ils ont tous apporté leur couleur au rythme de Nemours.

La Cadence rampa

Excellent musicien, multi-instrumentiste, connu sous le nom de « Maestro difficile », Wébert Sicot s’est séparé d’avec Nemours Jean-Baptiste pour aller tirer du néant son propre rythme dans un esprit de compétition. Avec un tempo légèrement plus rapide que celui du Compas, la Cadence rampas attirait beaucoup de mélomanes.

Selon Raoul Guillaume, dans une entrevue qu’il a accordée à Jean Sylvio Jean-Pierre en 1998 pour la sortie de son livre titré : « 30 ans de musique populaire haïtienne », « Compas et Cadence sont deux noms de la même cellule musicale ».

Si le rythme Cadence Rampa n’avait pas autant de popularité que le Compas, il était plus structuré, selon certains observateurs. Il était joué par Sicot, son créateur, Raoul Guillaume, l’orchestre Caraïbes, pour ne citer que ceux-là.

L’ère des Mini-Jazz

Au cœur des années 1960 et 1970, le Compas direct allait connaître une très grande transformation qui fera couler de l’encre et susciter des grognes. Les Mini-jazz se sont imposés sur le marché musical haïtien aux yeux et à la barbe du créateur et des mordus du Compas traditionnel, c’est-à-dire le Compas « dur ». Cela a créé un chamboulement dans le secteur. Avec les Mini-Jazz, beaucoup de changements se sont opérés dans l’industrie musicale. Le Compas direct est devenu plus moderne avec des jeunes qui subissaient l’influence des Beatles, et des « YéYés ». Durant ce renouveau, le Compas a subi une transformation non seulement sur le plan qualitatif, mais aussi quantitatif, car les groupes musicaux pullulaient dans tous les recoins du pays.

Sous l’ébullition des Mini-jazz, Nemours Jean-Baptiste a remarqué que son rythme de cœur était en grand danger. Il aurait déclaré que tous les petits Jazz doivent s’aligner derrière le Compas. Quelques années après, le créateur du Compas a quitté le pays pour aller s’installer à New York afin de continuer son aventure, car le marché musical haïtien était quasiment conquis par les jeunes.

La majorité des groupes étaient composés de deux guitaristes, d’un keyboardiste en lieu et place d’un accordéoniste, d’une guitare basse, d’une batterie, d’une section de cuivre plus musclée et d’un ou de deux chanteurs. Des groupes comme Les Shleu Shleu, Les Ambassadeurs, D. P. Express, Scorpio, Tabou Combo, Skah-Shah ou encore Bossa Combo ont fait valoir cette tendance dans le Compas.

Selon Ralph Boncy, dans son livre titré La chanson d’Haïti : «  les Mini-Jazz voulaient raffiner le Compas avec leur style ». Les textes et les mélodies des Mini-Jazz étaient passés à la moulinette.

Fabrice Rouzier dont l’enfance a été bercée par ces jeunes groupes musicaux n’a pas tari d’éloges sur eux dans une entrevue accordée à Ticket Magazine, publiée le 12 octobre 2017. «  Les musiciens issus des « Mini-Jazz » ont eu un élément commun : avant de penser à l’argent, ils pensaient à la qualité du produit », a expliqué le Claviériste innovateur de Mizik Mizik.

L’âge d’or du Compas

La fin des années 1970 et le début 1980 sont l’une des périodes les plus prolifiques de l’histoire du Compas. D’ailleurs, Fabrice Rouzier, ce grand savant de la musique et tant d’autres connaisseurs considèrent cette époque comme l’âge d’or de la musique haïtienne. C’est la période de la vague cuivre et du synthétiseur dans le Compas direct.

Durant cette période, des groupes comme Tabou Combo, Magnum Band ou encore Zèklè ont montré une autre facette du Compas. Cette décennie a vu poindre beaucoup d’appellations dans ce genre musical. Parmi lesquelles nous pouvons énumérer :

– Le Compas stéréo de Scorpio

– Le Compas Malouk de Shoogar

– Le Compas Ting Ting de Frères Dejean

– Le Compas Machiavel ou Karamèl de System Band

– Le Compas Mamba de Coupé Cloué

– Le Compas Mélas de Septentrional

— Le Compas Roussi de Tropicana

Malgré la créativité des groupes musicaux dans le choix de ces appellations, le Compas n’a jamais disparu. Au contraire, il a gardé toute sa fraîcheur et se portait comme un charme.

L’ère du Compas digital

Après 1986, le Compas allait connaître une autre transformation avec une kyrielle de groupes qui ont introduit un nouveau concept. Compas digital, ou nouvelle génération, est le nom approprié à cette tendance valorisée par des formations musicales comme Top-Vice, Sweet Micky, Papash par exemple.

Cette tendance est marquée par une quantité infime de musiciens dans les groupes et l’introduction du format « Drum machine ». La plupart des groupes de cette période n’utilisaient ni la section cuivre ni la section de percussions.

Pour certains, cette tendance est venue du ciel, car le format « full band » n’attirait plus la grande foule. Néanmoins, pour une énième fois, les mordus du Compas traditionnel (full band) étaient inquiets, voire pessimistes. En dépit de tout, le Compas est resté en vie et a attiré beaucoup de mélomanes durant cette période.

Le Compas d’aujourd’hui

Aujourd’hui le Compas connaît une autre génération de jeunes musiciens avec d’autres tendances comme c’était le cas avec les Mini-Jazz ou la période du Compas digital. Nous pouvons compter sur les doigts de la main les groupes jouant le Compas traditionnel. Les mordus de ce type de Compas ne veulent pas croire que des formations musicales comme Maestro, Enposib, 5 Lan ou encore J-Beatz jouent le rythme de Nemours. Selon eux le Compas est en voie de disparition.

Actuellement, le « Trap Konpa » est l’une des tendances qui se taillent une place dans le marché du Compas. « Le « Trap Konpa » est une invention de Badikamal et moi. Il est caractérisé par des instruments comme le « Kit 808 ou le Snare 808 », ou encore par des sujets sans un développement profond. Puisque tout genre musical est sujet à évolution, nous avons décidé d’apporter cette nouvelle couleur au Compas. L’idée du « Trap Konpa » n’est pas de détruire le Compas mais d’attirer plus de jeunes à sa consommation », nous a confié T-Ansytho, la figure de proue du groupe Maestro et l’un des initiateurs du « Trap Konpa ».

Actuellement, des groupes comme Klass, Disip et Mass Konpa jouent le Compas traditionnel avec plusieurs guitares, une section de percussions et une section de cuivres. Avec cette quantité minime de groupes musicaux, les gens dont l’enfance a été bercée par ce type de Compas sont inquiets pour l’avenir du genre musical.

Le Compas est encore et toujours en vie

Les différentes transformations que subit le Compas ne datent pas d’hier. Le fait de penser que le Compas est en voie de disparition est une pilule à ne pas avaler, selon certaines personnalités importantes et respectées dans le secteur. Pour certains, ce genre musical subi beaucoup de variations, pour d’autres il est en danger et va mal, à l’image du pays. Mais ils rejettent tous l’idée que le Compas serait sur son lit de mort.

« Le Compas n’était jamais et n’est pas en voie de disparition, car c’est un genre musical qui fait beaucoup de pépinières. Des groupes comme Harmonik, Kaï, Ekip ou encore Zenglen ont beaucoup de jeunes musiciens talentueux. Il y a d’autres jeunes méconnus dans le milieu. Certes, des musiciens comme Richie, Gracia, Gazzman et tant d’autres sont quadragénaires ou quinquagénaires, mais le Compas ouvre ses portes aux jeunes et c’est un genre musical qui n’est nullement en voie de disparition », nous explique Adolphe janvier, un journaliste musical très connu.

Maestro Richie n’a pas hésité à donner son avis sur ce sujet. Le directeur musical de Klass fait mention d’une saturation mondiale et l’état actuel du pays qui affecte le Compas. « Je ne pense pas que le Compas soit en voie de disparition, dit-il. Les choses se faisaient mieux autrefois dans tous les domaines, pas seulement le Compas. Les haïtiens adorent ce genre musical, il y a une certaine alchimie entre cette nation et le rythme de Nemours. Pour que le Compas disparaisse, il faut qu’il y ait un autre genre musical dansant qui puisse le remplacer. Pour maintenant, le Compas est en vie et en pleine forme », a expliqué Maestro Richie.

Johny « Djecee » Célicourt se trouve dans le cercle des personnalités qui nourrissent de l’espoir pour le compas. Rejoint au téléphone la semaine dernière pour un entretien, le membre de Mardi Alternative admet que le Compas est en danger, certes, mais pas en stade d’extinction. « Je suis contre l’idée que le Compas soit en voie de disparition. (…) Aujourd’hui le Compas connaît beaucoup de mélanges qui dérangent les mordus du Compas « hardcore », lequel a marqué leur enfance. Le Compas est en vie et attire des milliers de mélomanes », a-t-il ajouté.

Philippe Saint-Louis, une encyclopédie ambulante de la musique haïtienne, répercute les mêmes d’idées. « Les transformations que subit le Compas ne sont pas nouvelles, rapporte-t-il. Plusieurs groupes étrangers ont influencé les groupes locaux. Les Aiglons et la chansonnette française dans les années 1970, Kassav puis les musiques américaines dans les années 1980 avaient de grandes influences sur le Compas. Pour moi l’avenir du Compas est incertain, car les enfants et les jeunes ne le consomment plus. L’État, les médias, les musiciens ou encore les promoteurs doivent rendre le Compas accessible aux jeunes. Je ne veux pas dire que le rythme de Nemours est en voie de disparition, mais il est en grand danger », a ajouté le patron de Alternative Plus.

Somme toute, nous sommes unanimes à reconnaître que le temps et le contexte du moment peuvent faire bouger une musique. Cela se produit dans toutes les industries musicales du monde. Le Compas faisait l’objet de transformations dans les années 1960, 1970, 1980, 1990, et au début des années 2000. Malgré tout, il était toujours le genre musical le plus populaire et qui réunit tous les Haïtiens.

Cette nouvelle mutation que subit le Compas est due à de jeunes musiciens nés en dehors du pays. Ils grandissent sous l’influence de la musique afro-américaine et lorsqu’ils jouent le Compas, ils apportent une nouvelle sonorité, un nouveau rythme qui n’ont rien à voir avec le Compas traditionnel. Toutes ces raisons et bien d’autres mettent ce genre musical en grand danger. Dire que le Compas est en pleine période de transformation est de loin plus admissible que de croire et divulguer qu’il est en voie de disparition.

Nazaire Nazario JOINVILLE, Communicateur social

Nazaire JOINVILLE est doté d'un baccalauréat (licence) en communication sociale à l'Université d'État d'Haïti. Il est actuellement étudiant à la maîtrise en Cultures et espaces francophones (option linguistique) à l'université Sainte-Anne au Canada. Il est aussi adjoint à la recherche à l'Observatoire Nord/Sud qui constitue le foyer principal des activités de la Chaire de Recherche du Canada en Études Acadiennes et Transnationales (CRÉAcT). Les recherches de Nazaire portent sur la musique haïtienne en particulier le Konpa, le contact des langues et la francophonie. Il est le responsable et créateur de la rubrique "Le Carrefour des Francophones" dans le Courrier de la Nouvelle-Écosse, un journal français au Canada.

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