Cet hôtel est vieux de 132 ans. Il est classé monument historique par l’UNESCO
L’hôtel Florita est un grand bâtiment peint en bleu et blanc logé à la rue du Commerce à Jacmel.
Florita, pour petite fleur, vient du prénom de la fille de l’actuel propriétaire de l’hôtel, l’américain Joe Cross. « Il vivait à Panama pendant de longues périodes, explique Jean Ruid Sénatus, un employé de l’institution. Comme on parle l’espagnol là-bas, il donna le nom Flora à sa fille et s’en est inspiré pour dénommer l’hôtel. »
Cet édifice est en effet une fleur pour Sénatus qui y habite depuis plus de 30 ans. Il a passé la majeure partie de sa jeunesse dans cette propriété revêtue d’une architecture du passé. L’hôtel Florita est fait de bois et de briques. À l’intérieur, les briques de couleur rouge donnent au bâtiment un aspect exotique.
Dans la grande salle de réception, des étrangers de passage à Jacmel prennent des verres, seuls ou en couple, ce dimanche 29 octobre. 90 % des visiteurs de l’hôtel ne sont pas du pays, selon Sénatus. « Certains Haïtiens considèrent que notre style n’est pas assez moderne, dit l’homme. Ils nous demandent parfois pourquoi on ne peint pas les briques. Alors que quand les étrangers débarquent ils sont émerveillés par tout ce qui est ici », avance l’homme de 52 ans.
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Jean Ruid Sénatus pense qu’il ne faut pas changer le décor de l’hôtel parce qu’il constitue un patrimoine national. « Florita est du même style que l’Oloffson à Port-au-Prince. Nous avons un escalier fait en fonte, ce qui est unique dans la Caraïbe », dit-il fièrement. La technique de fabrication de cet ouvrage a débuté à la fin des années 1820.
Collection de pièces et objets anciens
L’hôtel comprend une partie de l’histoire du pays. Il regorge d’anciens objets comme des pompes à gaz manuelles et un grand meuble contenant de multiples tiroirs. Ce grand coffre-fort appartenait à l’Américaine Catherine Dunham qui vivait dans l’habitation Leclerc à Martissant. « Nous collectionnons des pièces et des objets anciens pour les montrer aux générations futures», déclare Sénatus.
La plupart des chambres de l’hôtel ont au moins deux lits. C’est parce que généralement, l’établissement les loue à des familles. Il faut au moins 78 dollars américains pour passer une nuit dans l’une de ces chambres. « Nous offrons un petit déjeuner aussi pour le prix, dit Sénatus en souriant. À cause du coronavirus, nous pouvons faire des rabais. Si vous venez, nous ne vous laisserons pas partir ».
La réception ainsi que les onze chambres de l’hôtel regorgent de peintures haïtiennes. Certaines de ces images, oeuvres d’artistes différents, montrent le Christ cloué, agonisé ou glorieux. Pour Sénatus, ces images n’ont rien à voir avec la religion, chaque visiteur peut en forger sa propre interprétation.
Il y a également des tableaux du peintre Jacques Pierre qui ont des bricolages avec des têtes de personnalités politiques comme Jean Bertrand Aristide, Michel Joseph Martelly et Joseph Lambert. Les responsables de l’hôtel réfléchissent avant de faire le choix d’une œuvre, parce qu’ils veulent qu’elle soit amusante et qu’elle raconte une histoire.
Aucun propriétaire haïtien
Bien que l’hôtel Florita soit un patrimoine national grâce à son style architectural et ses nombreuses années d’existence, force est de constater qu’il n’a jamais eu de propriétaires haïtiens. Le Docteur ès lettres Jean-Elie Gilles qui est aussi recteur de l’Université publique du Sud-est explique que la propriété appartenait en 1888 à une Française qu’on appelait la veuve de Jules Lamarre.
« C’était une grande dame spiritiste dont le mari était décédé, rapporte Dr Gilles. Elle faisait des tables tournantes, c’est-à-dire qu’elle invoquait des esprits. Au crépuscule de sa vie, la veuve de Jules Lamarre a vendu la maison à Jean Baptiste Vital qui était d’une riche famille belge. »
À l’époque, on parlait d’hôtel particulier. Et aucune personne de couleur, sauf le personnel de soutien, ne fréquentait l’établissement.
« Jacmel a pendant longtemps été une ville raciste, selon Dr Gilles. Beaucoup de grands propriétaires de la commune étaient d’origine juive. Il y avait des rivalités entre noirs et blancs. Ce n’est que vers les années 1950 que la tendance a changé parce qu’il y avait beaucoup d’intellectuels noirs qui prenaient leur place au sein de la ville », ajoute le recteur.
Ère Rodman
Après Jean Baptiste Vital, c’était au tour du grand écrivain Selden Rodman d’occuper la maison dans les années 1971. « Selden Rodman a fait de grandes galeries d’art au bas de l’hôtel avec des collections d’œuvres de peintres haïtiens. Il a écrit sur de grands artistes peintres haïtiens, dont Hector Hyppolite. À l’époque, de jeunes Américains de famille riche passaient leurs vacances dans la propriété. Ma mère travaillait dans la maison et c’est elle qui cuisinait pour eux », révèle Jean-Élie Gilles.
En 1988, l’américain Joe Cross a fait l’acquisition de cette grande propriété et en est encore le propriétaire.
Jean Ruid Sénatus, le gestionnaire de l’hôtel Florita habite la maison depuis que Selden Rodman y vivait. Il raconte que Joe Cross n’a pas porté de grands changements dans le bâtiment. « Bien que la maintenance des constructions en bois soit très coûteuse, dit-il, on a gardé le style architectural sans le support d’organe extérieur. »
Presque plus de clients
Ces derniers temps, l’hôtel ne rapporte pas beaucoup. La baisse progressive des revenus remonte à 2017.
L’insécurité qui sévit dans le pays est en train de tuer le tourisme, dénonce Sénatus. « Les instabilités socio-économiques font peur aux touristes. De nos jours, à partir de 10 h, 10 h 30 du soir, on ne trouve plus personne dans les rues à Jacmel. C’est dommage parce qu’une ville touristique doit garantir une vie nocturne. »
En dépit de tout, Sénatus croit que les portes de l’hôtel Florita resteront toujours ouvertes « parce qu’on aime ce qu’on fait ».
Laura Louis
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