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Les petits secrets et l’histoire palpitante de l’hôtel Oloffson

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L’établissement centenaire est témoin d’un pan important de l’histoire culturelle du pays

L’inquiétude provient d’un message posté le 4 septembre dernier sur le compte Twitter de l’institution. « L’Hôtel Oloffson est officiellement fermé, mais nous avons toujours une partie du personnel à portée de main. Donc, si vous avez faim, soif ou avez besoin d’une maison loin de chez vous, appelez-nous et nous vous ouvrirons la porte. »

Lapidaire, le texte laissait supposer que l’hôtel historique allait fermer pour toujours. Dans un contexte où restaurants et établissements hôteliers importants mettent les clés sous la porte à cause des manques à gagner occasionnés par la pandémie du coronavirus et la crise économique, la nouvelle annoncée par Oloffson avait de quoi susciter de l’émotion.

Beaucoup de peur, mais le mal reste moindre. L’établissement, témoin d’un pan important des événements culturels du pays, restera debout. Ses administrateurs ont uniquement décidé de réduire les services. Désormais, il faut appeler avant de s’y rendre.

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Le propriétaire de l’hôtel depuis 1987, Richard A. Morse, a annoncé qu’il rouvrira les portes de l’institution de manière « officielle » bientôt, sans indiquer précisément une date. « ‘‘Peyi lòk’’ a commencé en juillet 2018 et depuis cette époque les choses sont vraiment difficiles », partage Richard A. Morse, fondateur du groupe musical RAM.

Certains frémissent de peur à l’idée d’une fermeture définitive de l’Oloffson, un hôtel qui compte plus de 100 ans d’histoire. Parce qu’à part son passé prestigieux et ses soirées enflammées lors de la fête des Gédés, le lieu offre quelque chose qui n’existe nulle part ailleurs. Des hôtels luxueux, modernes et tout confort, se retrouvent partout dans le monde, mais pas l’Oloffson.

Pour ses clients, l’Oloffson est vivant, il ressent, il communique.

Un lieu mystique

Le modèle architectural du bâtiment date du 19e siècle, avec ses tourelles, balcons et dentelures en bois. Le tout forme un décor en style gothique « pain d’épices », entouré de grandes cours et d’une végétation luxuriante.

C’est dans un tel décor, sans doute, que l’imagination de l’écrivain anglais Graham Green trouva un terrain fertile pour pondre en 1990 un livre comme « Les Comédiens» où la maison de l’Oloffson est décrite comme hantée.

Le mystique des lieux demeure d’ailleurs une constante. Le cinéaste Richard Sénécal se rappelle une expérience étrange faite il y a quatre ou cinq ans dans les locaux de l’hôtel.

« Ils m’ont donné une chambre, dit le professionnel de l’image. J’étais fatigué, je suis rentré, je me suis couché et j’ai senti l’odeur de quelque chose qui brûlait ». Il s’agissait du climatiseur qui avait un fil qui chauffait dedans. On lui a changé de chambre et le lendemain, Sénécal a eu une discussion avec Richard A. Morse. « Je lui ai expliqué et il m’a dit : ‘‘bon, tu avais choisi une chambre, mais l’hôtel avait déjà choisi une autre chambre pour toi. »

Fort souvent, les amis et parents du cinéaste l’associent au Loa vaudou Erzulie Dantor. Curieusement, il y avait un tableau d’Erzulie Dantor dans sa nouvelle chambre. Si Sénécal trouve l’histoire amusante, il ne porte pas la conviction que cette ancienne maison détient du pouvoir sur les choses et sur les gens.

Les expériences paranormales à l’hôtel Oloffson demeurent anecdotiques. Menahem Laurent y a vécu près de cinq ans, en tant que locataire. Il ne relève aucune apparition de zombies ou d’esprits. Cependant, Menahem Laurent explique que cette ancienne demeure de la famille de l’ancien Président Tirésias Simon Sam dégage une étrange et fascinante « énergie mystique ».

Une maison réquisitionnée par les Américains

La maison qui abrite Oloffson a été bâtie par Démosthène Simon Sam, un fils de l’ancien Président Tirésias Simon Sam. Les Sam y ont vécu jusqu’en 1915, après que Vilbrun Guillaume Sam fut nommé président. Ce chef d’État sera lynché par une foule en colère en juillet 1915. Les États-Unis se serviront de cet acte pour débarquer en Haïti.

Durant toute l’occupation américaine, de 1915 à 1934, la résidence Oloffson a servi comme hôpital militaire. Aujourd’hui encore, il existe une aile de l’hôtel qui s’appelle « la maternité » et qui compte à peu près dix chambres, révèle Richard Sénécal qui fréquente l’endroit depuis plus de 30 ans.

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À la fin de l’occupation, Wener Gustav Oloffson, un marin suédois, a loué l’espace aux mains de la famille Sam, qui avait récupéré la maison des Américains entre temps. Ce navigateur a transformé la bâtisse en un hôtel avec sa famille, d’où le nom d’Hôtel Oloffson.

Durant les années qui suivront, la propriété a été louée à plusieurs autres personnes, jusqu’à finir par fermer ses portes pendant la dictature répressive de Jean Claude Duvalier. À la fin du régime, soit en 1987, Richard A. Morse signa un bail pour l’hôtel, avec l’aide de son demi-frère Jean Max Sam.

Dormir dans la chambre de son idole

Au début de l’administration des Morse, Richard et sa femme Lunise, l’hôtel était déjà en déclin, notamment à cause de la chute des recettes touristiques entamée durant la décennie précédente avec la fausse information expliquant que le SIDA provenait d’Haïti. D’après les chroniques que rédigeait Aubelin Jolicoeur, Oloffson recevait quand même beaucoup de visites prestigieuses. Ce journaliste, mort en 2005, était un haut fonctionnaire du gouvernement de Duvalier. Jolicoeur a aussi œuvré sous le général Namphy. Il a fréquenté l’hôtel assidûment durant 40 ans.

Aujourd’hui, l’hôtel n’appartient plus à la famille Sam, fait savoir Richard A. Morse. La structure qui a commencé avec six chambres compte une vingtaine à présent. Richard Morse et sa femme ont aussi assuré durant des années une ambiance d’enfer à l’Oloffson avec la troupe de musique Rasin de RAM, les jeudis soir.

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À vue d’œil, l’endroit nécessite sérieusement un petit coup de peinture. Richard A. Morse annonce des plans de rénovations. Mais l’avenir est encore incertain, pour un espace qui a rassemblé durant des années, une bonne partie de la haute société politique et culturelle du pays ainsi que des visites régulières de certaines célébrités internationales.

Chacune des chambres qui ont été visitées par une célébrité est rebaptisée après elle. Aussi, l’Oloffson affiche des chambres dénommées : Jean Claude Van Damme, Edwidge Danticat, ou même Jacqueline Kennedy.

Séjourner dans ces chambres chargées d’histoire demeure une tradition pour certains clients. Richard Sénécal dort souvent dans la chambre du réalisateur Charles Najman. « C’était un cinéaste français, qui descendait souvent à l’Oloffson, raconte le professionnel. Il aimait Haïti et a fait beaucoup de films sur le pays. Donc, lorsque le hasard permet que je dorme dans la chambre de Charles Najman, cela me permet de me souvenir de lui. »

Hervia Dorsinville

Journaliste résolument féministe, Hervia Dorsinville est étudiante en communication sociale à la Faculté des Sciences humaines. Passionnée de mangas, de comics, de films et des séries science-fiction, elle travaille sur son premier livre.

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