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Photos | Des Haïtiens atteints de vitiligo témoignent

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« Mouton, visage brulé »… le vitiligo gêne dans la rue et occasionne des remarques blessantes. Les concernés ne désarment pas pour autant

À 38 ans, Micius Innocent s’est mis sur son 31 pour visiter AyiboPost, après un appel à témoignages dirigé vers les personnes atteintes de vitiligo diffusé sur les médias sociaux.

Il y a quinze ans maintenant depuis que l’homme, portant un maillot de longues manches et une veste noire, vit avec la maladie qui cause une disparition de la pigmentation de la peau.

Pour chaque sortie, Innocent exerce un rituel millimétré devant son miroir pour essayer de cacher les taches blanches de son visage. À cause de ces marques curieuses, il ne passe jamais inaperçu dans les rues et les tap tap.

Micius Innocent, 38 ans. Il a étudié le Génie électrique au centre technique de Saint-Gerard, mais il exerce le métier de ferrailleur. « Quand je prends le transport public, les gens me dévisagent comme s’ils n’avaient jamais vu un visage comme le mien avant »

« Mouton », « visage brûlé »… Innocent ne s’est toujours pas familiarisé avec les remarques désobligeantes des inconnus. Il n’a d’ailleurs presque pas de vie sociale, lui qui vit dans un endroit reculé de la ville et qui n’affronte la rue que pour aller travailler.

« Quand on m’appelle ainsi, je pourrais faire n’importe quoi, dit-il, en faisant référence aux insultes.  Quand je suis en transport public, les gens me regardent comme s’ils n’avaient jamais vu un visage comme le mien et cela me gêne ».

Un mal connu

La maladie se caractérise par une décoloration de la peau qui touche environ 0,5 à 2 % de la population mondiale. La décoloration qu’elle provoque peut-être segmentée, c’est-à-dire qu’elle se localise sur une partie du visage, ou d’un membre. Ou bien, elle peut s’éparpiller sur tout le corps. Dans ces cas, la décoloration est diffuse.

« Je pense que cette distinction est importante parce qu’un vitiligo stable est plus facile à traiter qu’un vitiligo rapidement évolutif qui a tendance à se disséminer dans tout le corps », explique Dr Jean Jacques Carré. Le dermatologue fait la prise en charge des personnes vivant avec le vitiligo depuis plus de cinq ans.

Louneda Timolien, 33 ans. « Certains sont aveugles, d’autres n’ont pas de jambes. Avant, j’avais honte, mais aujourd’hui je n’ai aucune gêne avec le vitiligo. »

Plusieurs facteurs concourent à l’apparition du vitiligo. Il s’agit avant tout d’une maladie auto-immune. Techniquement, on la remarque quand, pour des raisons inconnues, le système immunitaire détruit les cellules qui s’occupent des pigments de la peau.

D’autres facteurs notamment génétiques et environnementaux ne sont pas à négliger. Le docteur parle par exemple de l’exercice de certains métiers comme l’ébénisterie qui occasionne l’utilisation de composés chimiques contenant du Benzène (composé pour polir les meubles) qui vont agresser la peau, ou le stress.

« Quand je pleure, j’ai l’impression que la partie de ma peau qui est touchée par le vitiligo devient rose », explique Lovedyne Petius qui a des taches blanches en forme d’un collier sur son cou. Cette étudiante en sciences infirmières a grandi avec la maladie et ne s’est jamais rendue à l’hôpital.

Le maquillage comme échapattoire

L’art du maquillage constitue presque une obligation pour celleux atteints du vitiligo. « Dans les rues, les gens disaient à mon sujet que je suis une jolie fille, mais… Il y avait toujours un “mais” », déplore de son côté Lisa Dona Bonhomme.

En 2e année de médecine, la jeune femme de 22 ans vivait avec des taches au niveau de son visage. Aujourd’hui guérie de la maladie, elle se rappelle avoir fait recours au maquillage pour se sentir bien.

Lisa Dona Bonhomme, 27 ans, étudiante finissante en médecine. « Quand j’avais 21-22 ans, le vitiligo a commencé à apparaître sur mon visage. Dans les rues les gens disaient que je suis une jolie fille, “mais”… il y avait toujours un, mais »

Micius Innocent ne fait pas dans la dentelle, lui. Il cache minutieusement chaque tache avec un crayon de couleur noire ou marron. Puis, il utilise un fond de teint. Pour finir, il applique une couche de poudre. L’homme n’oublie jamais sa paire de gants pour cacher les plaques de la maladie sur sa main.

Pour la prise de photo d’illustration de cet article, le trentenaire pose avec les deux versions de son visage : celle où il est maquillé et l’autre sur l’écran de son téléphone où il montre son visage avec les taches blanches.

Des traitements aléatoires

Des traitements existent contre le vitiligo, mais leur efficacité n’est pas toujours définitive. « Il existe des médicaments qui peuvent moduler la réponse aberrante [du système immunitaire], bloquer cette réponse et aboutir à une stabilisation du vitiligo et éventuellement un traitement », dit le Dr Jean Jacques Carré.

L’expert recommande la photothérapie à ses patients. Avec une lampe specialisée, il utilise une partie du spectre solaire plus précisément les rayons ultraviolets pour faire le traitement.  Le plasma riche en plaquettes est un autre type de traitement du vitiligo que le médecin priorise.

À côté des traitements disponibles en Haïti, Lisa Dona Bonhomme a aussi tenté sa chance avec une offre populaire de Cuba. Ce pays commercialise un produit appelé Melagenina Plus qui est composé à partir d’extraits placentaires.

Sur le site cuban health, on estime que la Melagenina Plus est efficace à 86 % des cas traités. Bonhomme en a fait l’essai et les taches blanches sont aujourd’hui à peine visibles sur son visage. Richard O. Garrisson, 20 ans, s’est aussi rendu dans la république bolivarienne pour essayer ce procédé. D’après l’étudiant finissant en administration, le traitement a marché, mais il remarque encore des taches de la maladie sur sa main et sa bouche.

Richard Olguens Garrison, 20 ans, étudiant en Administration. « Avant on m’appelait bouche rose, mais aujourd’hui on me dit que le vitiligo me va bien. »

Toutefois, le Dr Jean Jacques Carré invite à la prudence. Selon lui, il y a très peu de recherches sur le composé offert à Cuba. « Les articles sur la melagenina datent des années 1990, dit-il. En plus, ce sont des placentas humains que l’on utilise pour le traitement. Ces placentas pourraient être infectés de bactéries. Les Cubains ne donnent aucune explication sur la purification de ces extraits placentaires. »

Prise en charge onéreuse

La prise en charge du vitiligo demeure couteuse. « Je payais 175 dollars américains par mois pour le traitement. En plus je devais être disciplinée. Il ne fallait pas manquer un rendez-vous, sinon, il faudrait tout reprendre », rapporte Lisa Dona Bonhomme.

Une personne qui a une bonne alimentation, même si elle a des antécédents de vitiligo, peut ne pas le développer

L’hygiène de vie compte aussi. « Une personne qui a une bonne alimentation même si elle a des antécédents de vitiligo, elle peut ne pas le développer, estime Dr Carre. Certains fruits et légumes notamment le céleri, le persil, le citron et la carotte contiennent du psoralène, le composé qu’on ingère aux patients avant la photothérapie. Certains médecins de feuilles pourraient aussi aider s’ils utilisent des plantes [spécifiques]. »

Lovedyne Petius, 22 ans, étudiante en 3e année de sciences infirmières. « Ma grand-mère m’a dit que j’ai le vitiligo depuis que j’ai 18 mois et demi. J’ai grandi avec ces tâches dans le cou, j’ai appris à les accepter même si je souhaite en guérir un jour. »

La prise en charge médicale reste importante. Mais elle n’évacue pas l’ensemble des besoins de ceux qui vivent avec le vitiligo. Ils ne souffrent peut-être pas physiquement, mais les remarques indécentes, le poids de la société reste énorme.

Jesumène Dorval, une infirmière-sage-femme qui vit avec le vitiligo depuis trois ans, administre la fondation Aimer ma peau. Avec cette institution, elle apporte un soutien psychologique aux personnes vivant avec la maladie. Pour elle, « il est important que les gens apprennent à s’accepter tels qu’ils sont. »

Dr Jean Jacques Carré

Laura Louis

Photo de couverture : Jesumène Dorval, infirmière sage-femme, 36 ans. 

Valérie Baeriswyl voudrait continuer sa série de photos portrait. Si vous êtes intéressé, vous êtes priés de la contacter ici.

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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