Les conflits terriens sont récurrents en Haïti. Le cadastre est le premier outil, et probablement le plus important, qui peut résoudre cette insécurité foncière. Michèle Oriol et Martine Prinston, deux spécialistes du Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT), expliquent en quoi consiste exactement cet outil.
Le territoire haïtien est de 27 750 km2, sans compter les délimitations des eaux maritimes du pays. Cette étendue de terre, en grande partie montagneuse, est délimitée en parcelles. Ces parcelles appartiennent au domaine de l’État, ou à des particuliers. L’un des enjeux de toute l’histoire foncière du pays a été l’identification de ces parcelles, la base matérielle de tout projet d’aménagement du territoire. Ce processus d’identification est le cadastre.
L’ONACA, l’office national du cadastre, créé en 1984 grâce à la coopération allemande a pour mission principale la réalisation du cadastre du territoire national de la République. Cette mission difficile, pour des raisons diverses, est essentielle à la sécurité foncière. Pour y arriver, l’ONACA et le Comité interministériel d’aménagement du territoire (CIAT) ont travaillé ensemble sur la réalisation d’un cadastre simplifié, appelé Plan foncier de base (PFB).
En quoi consistent le cadastre et le plan foncier de base ?
Le cadastre est l’identification et la localisation précises des parcelles de terre. Il détermine les limites et les angles des terrains en utilisant le GPS, des enquêtes de terrain, des photographies aériennes. Les enquêteurs recueillent aussi toutes les informations relatives au propriétaire ou à l’usager de la propriété s’il s’agit du domaine privé de l’État. Chaque parcelle est numérotée puis représentée sur une carte où toutes les propriétés voisines sont aussi relevées. Des précisions sur la nature des terrains (vides, construits) et des propriétés (bâties, non bâties, vendues, etc.) sont aussi apportées. Il relève aussi les cours d’eau, les chemins, les canaux d’irrigation, etc. Le cadastre de certaines zones, notamment les communes de Camp-Perrin et Bahon, a déjà été complété.
Le plan foncier de base, ou cadastre simplifié, recueille les mêmes informations que le cadastre, mais ne tient pas compte de la valeur du terrain ou de la propriété. Il n’est pas non plus un instrument juridique. Il se borne à délimiter les parcelles, les identifier, et relever leur statut juridique. Il est un document administratif dont l’objectif principal est la sécurisation des droits fonciers. Des zones comme le Bas Peu-De-Chose, ou encore Baillergeau ont déjà leur plan foncier de base. Elles font partie des quatre zones pilotes visées par le CIAT, les deux autres étant le centre-ville de Port-au-Prince et Pernier.
Quelle est l’importance du cadastre ?
Il garantit la sécurité foncière. Les conflits terriens sont monnaie courante en Haïti. La faiblesse du système judiciaire, la spoliation, la multiplicité des titres de propriété pour un même terrain sont selon le CIAT des problèmes inhérents au système foncier haïtien. Un cadastre à jour est une garantie institutionnelle contre ces aléas. Des investisseurs, étrangers ou nationaux, se heurtent souvent à l’insécurité foncière. C’est une cause du manque d’investissements dans des secteurs clés comme l’industrie ou l’agriculture.
Si le cadastre des collectivités territoriales est à jour, les communes pourront s’appuyer sur les relevés pour prélever le paiement de la contribution foncière des propriétés bâties (CFPB), un moyen d’augmenter leurs recettes fiscales. Du point de vue écologique, le cadastre a également de l’importance. D’après le CIAT, les propriétés privées sont mieux maintenues que les terres appartenant à l’État.
Quels sont les difficultés et les défis ?
Réaliser le cadastre mobilise beaucoup de compétences dans des domaines divers, et l’utilisation de technologies nouvelles et coûteuses. Le cadastre de la commune de Bahon, d’environ 7000 ha, a coûté près de 3 000 000 de dollars américains.
Historiquement, deux grands problèmes rendent difficile la réalisation du cadastre. Premièrement, ce sont les propriétaires absents. Au Bas Peu-De-Chose par exemple, environ 50 % des propriétaires sont à l’étranger. Deuxièmement, il y a l’indivision. Beaucoup de terres et de propriétés, laissées en héritage, n’ont jamais été séparées formellement entre les héritiers. À un moment de la durée, il y a tellement d’héritiers que la répartition de cet héritage et l’identification des propriétaires deviennent impossibles.
L’une des entraves est aussi le manque de confiance des propriétaires, qui confondent parfois le cadastre et la réforme agraire (redistribution des terres). Le CIAT, conscient de cette difficulté, a pris un certain nombre de mesures dans la réalisation des plans fonciers de base. Ainsi, les titres de propriété sont scannés sur place et après que toutes les étapes sont franchies, il y a une séance de validation communautaire. Les habitants de la zone se réunissent pour consulter la carte finale, et relever de possibles erreurs.
Compte tenu de la topographie du pays, constituée en grande partie de montagnes, le cadastre demande aussi de gros efforts physiques. Enfin, malgré son importance stratégique, il n’est pas au cœur des priorités des gouvernants. Quatre projets de loi, depuis plus de trois ans, n’arrivent pas à être votés au Parlement.
Contrairement à ce qu’on peut penser, il n’y a pas beaucoup de grands propriétaires fonciers en Haïti. Le pays a de préférence un système de minifundia, c’est-à-dire de très petites parcelles privées. C’est un frein au développement réel de l’agriculture. Il existe plus de parcelles privées que de terres appartenant au domaine de l’État, et cela rend difficile une quelconque réforme agraire. La plupart des travaux de terrain des quarante dernières années contredisent l’existence d’un grand domaine de l’État indûment approprié par les privés, et qu’il suffirait de reprendre pour le rendre disponible pour une large redistribution1.
Références : Les cahiers du foncier du CIAT
1.Définir une politique agro-foncière pour Haïti : éléments d’orientation. (No. 1, novembre 2014)
2.Le plan foncier de base à Baillergeau, les leçons apprises. (No. 3, juillet 2018)
Jameson Francisque
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