La chimiothérapie et la radiothérapie que nécessite le traitement du cancer sont couteuses. Puisqu’Haïti ne dispose pas de centre pour la radiothérapie, les malades doivent se rendre à l’étranger pour une prise en charge onéreuse
Le centre de radiothérapie de l’État haïtien devrait être inauguré en 2009. « En 2007, les autorités avaient déjà posé les premières pierres de l’initiative » informe Dr Jean Cantave, président de la Société haïtienne d’oncologie (SHONC).
« Rien ne s’est passé depuis, regrette le chirurgien cancérologue. En 2013, j’ai entendu qu’on a relancé le projet, mais jusqu’à présent rien n’a été fait. C’est honteux pour nous. Haïti est l’un des rares pays qui ne disposent pas d’un centre de radiothérapie. »
En 2014, le Ministère de la Santé publique et de la population (MSPP) a publié un document sur les projets qu’il a déjà réalisés et ceux qui sont en cours pour la période de 2011-2014. Dans ce document, il y a une section qui traite de la lutte contre les principaux cancers. On parle d’un montant de dix millions de dollars américains disponible à travers le fonds de la reconstruction d’Haïti « pour la mise en œuvre du projet de Centre de chimiothérapie et de radiothérapie ».
Les mêmes dispositions se retrouvent dans le Plan stratégique national de santé sexuelle et reproductive (2019-2023) du MSPP publié en mars 2019. Contacté par Ayibopost, le gynécologue et directeur général du ministère Lauré Adrien dit ne pas être au courant d’un tel projet. « Si vous l’avez, envoyez-le-moi s’il vous plaît », répond le médecin au téléphone.
Souffrances énormes
L’indisponibilité d’un centre de prise en charge bien équipé dans le pays amplifie la souffrance des victimes du cancer et vide rapidement les comptes en banque de leurs proches.
Rachelle Jean Philippe a souffert pendant environ trois ans avec un cancer du sein. En 2010, elle fait une biopsie — prélèvement pour examen — mais à cause du séisme du 12 janvier de la même année, elle n’a pas reçu les résultats à temps. L’année d’après, Jean Philippe apprend qu’elle est touchée du cancer du sein à un stade avancé, 3b.
Son époux, le journaliste Pierre Renel René, l’a accompagné pendant tout le processus de la prise en charge. « J’avoue que ce n’était pas facile, se rappelle-t-il. En 2011, je venais tout juste d’avoir un salaire relativement décent. Un seul médicament pour la chimiothérapie valait un mois de mon salaire. Sans parler des suppléments dont ma femme avait besoin pour maintenir son corps en santé. Cela pesait lourd sur notre économie parce qu’en parallèle, nous avions un enfant à élever. »
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Le centre de traitement utilisé par Rachelle Jean Philippe recevait seulement cinq à dix patientes par jour. La dame devait s’y rendre très tôt le matin pour avoir la chance d’être auscultée. « À l’époque je n’avais pas encore de voiture, raconte Pierre Renel René. Je m’assurais de trouver quelqu’un pour la déposer à temps. Parfois on allait à moto quand je ne trouvais personne pour nous emmener en voiture ».
Après toutes les péripéties passées en Haïti, le journaliste se rend à Cuba puis aux États-Unis pour sauver sa femme, sans succès. Le cancer du sein a réclamé la vie de Rachelle Jean Philippe en 2014. « La maladie de ma femme a été un défi que j’ai voulu relever avec elle. Après son décès, j’étais comme ruiné économiquement. Six ans plus tard, j’élève notre enfant seul sans elle », déclare le journaliste Pierre Renel René, sur un ton ferme.
Traitement hors de prix
« La prise en charge intégrale des patientes atteintes d’un cancer du sein n’est pas effective ici », analyse la gynécologue Rodrine Janvier. La spécialiste explique qu’il n’y a aucun centre de radiothérapie en Haïti. Pour ce suivi obligatoire à un stade avancé du cancer, les patientes doivent se rendre à l’étranger.
« Pour une prise en charge intégrale, il faut des centres standard avec accès à la chimiothérapie et la radiothérapie. Quand on demande à des patientes qui ont fait la chimio ici d’aller faire la radio ailleurs, c’est comme si le traitement n’était pas complet », argumente Dre Janvier.
La prise en charge intégrale des patientes atteintes d’un cancer du sein n’est pas effective. Il n’y a aucun centre de radiothérapie en Haïti. Pour ce suivi obligatoire à un stade avancé du cancer, les patients doivent se rendre à l’étranger
Selon la gynécologue, le traitement du cancer du sein est couteux. Il y a selon Rodrine Janvier, des patientes qui ont fait la chimio, mais ne peuvent pas se payer un billet d’avion pour se rendre ailleurs pour la radiothérapie. Pendant que d’autres femmes, faute de moyens, ne peuvent même pas s’offrir la chimiothérapie disponible en Haïti.
Dépistage tardif
Le diagnostic tardif pèse très lourd dans la balance. « Le traitement du cancer est très onéreux parce que les patientes se rendent [souvent] à l’hôpital à un stade très avancé et l’accès aux soins de santé reste un luxe pour beaucoup dans le pays », explique le professeur Jean Cantave.
Selon ce dernier, quand les patients sont à un stade très avancé, la chance de guérison diminue et le coût de la prise en charge augmente. « Nous vivons dans une société de misère et de souffrance. Quand les gens n’ont pas de fortes douleurs, il est très probable qu’ils ne se rendent pas à un centre de santé. Or, la majorité des femmes souffrant d’un cancer du sein ne ressent aucune douleur », avance le membre la ASCO (American Society of Clinical Oncology).
Selon Dr Cantave, le prix d’une mammographie qui est la radiographie du sein que toute femme âgée d’au moins 40 ans devrait subir pour détecter un cancer du sein varie entre 3 000 et 9 000 gourdes en Haïti. Le médecin ajoute que cette somme représente beaucoup pour la grande majorité des femmes dans le pays.
400 prises en charge sur 3000
L’institut haïtien d’oncologie (IHDO) qui a été créé en 1999 sous l’impulsion de la SHONC que le Dr Jean Cantave dirige soigne des patients souffrant de cancer. L’IHDO a un partenariat avec l’institut d’oncologie régional du CIBAO de la République dominicaine, ce qui permet aux patients haïtiens de faibles moyens de faire la radiothérapie en République voisine.
« Nous avons environ 400 patients, en particulier des femmes qui bénéficient de la radiothérapie à Santiago, dit Dr Cantave. Je dois vous dire que ces 400 patients sont issus d’une liste d’environ 3 000 nécessitant le même soin. Mais pour se rendre ailleurs, il faut un passeport, le visa, des frais pour l’hébergement et une cotisation à verser pour la prise en charge. Et tout cela constitue un luxe pour plus d’un. »
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S’il y avait un programme national de lutte contre le cancer, on pourrait faire des miracles, souligne Jean Cantave. L’État, selon le médecin, pourrait s’organiser de manière à doter chaque département du pays d’un matériel de mammographie. Le secteur privé pourrait se joindre à l’État pour rendre les soins de santé comme la radiothérapie accessible aux petites bourses. Tandis que les organisations de la société civile pourraient mobiliser les femmes à aller se faire dépister.
Le vrai problème, c’est un manque de volonté du côté de l’État, du secteur privé et de la société pour protéger les victimes du cancer sans fortune dans le pays.
Laura Louis
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