J’ai pensé apprivoiser ma fille. Elle est ce qu’on appelle un « garçon manqué ». Elle se bagarre souvent avec les plus grands qu’elle (surtout pour se défendre). Elle joue avec les voitures de son grand frère. Elle escalade les fenêtres. Elle exécute ces acrobaties qui, selon le commun des mortels, sont réservées aux garçons. De plus, elle a un tempérament bien trempé, c’est ma fille, quoi ! Avant de laisser la maison pour se rendre à l’école, je lui disais souvent « Soit gentille, ma chérie ». Je voulais qu’elle soit aimable, souriante, docile avec les autres… Bref, vous voyez, une petite fille sage comme sur les photos de publicité mais j’oubliais que la pose n’était que pour quelques secondes. Une petite fille modèle comme dans les livres pour enfants mais j’oubliais que, sitôt que l’auteur avait achevé l’histoire, elle n’existait que sur les papiers d’imprimerie et dans l’esprit des lecteurs…
Puis un jour, j’ai pensé à la vie et à la mort. Et, si c’était la dernière chose que je lui disais. Je voulais que mes derniers mots soient un leg puissant pour son avenir. J’ai pensé à comment cette phrase m’avait impacté au long de la mienne.
Plus jeune…
Elle était utilisée pour m’amadouer, « Si tu es gentille, le père Noel t’apportera plein de cadeaux », « Si tu n’es pas gentille, tu ne vas pas grandir ». Jusque-là encore rien de trop grave d’enrober le quotidien d’une gamine de mythes mais mes agresseurs l’ont aussi utilisé. C’était le mot de passe pour avoir raison de mon corps et de mon silence à chaque attouchement quand je mettais une forme de résistance. J’ai donc arrêté de le lui dire, parce que les autres n’ont pas ma motivation. Je ne voudrais pas que mes recommandations donnent lieu à une arme à double tranchant. Entendons-nous, je n’ai aucun problème avec les bonnes manières, j’en use très souvent. Par contre, certaines exigences faites aux femmes et aux filles cachent un côté hypocrite et malsain sans oublier sexiste.
Pas trop longtemps de ça…
« Sois gentille », c’est ce que mon père me répète. «Tu sais une femme de ta corpulence se doit d’être plus douce, tu n’es pas mal apprise mais tu manques de souplesse, ton autorité et peut-être ton physique peuvent déranger les autres ».
Suis-je responsable d’être une femme de forte corpulence ?
« Sois moins ouverte », c’est ce que me dit ma mère quand je clame ce qui me passe par la tête. « Tu sais les gens pourraient le prendre mal si tu dis ou que tu écris ce que tu penses ».
C’est un crime d’exprimer tout haut ce à quoi les autres pensent.
« Sois moins directe » me disent d’autres. Non pas parce que j’utilise des propos blessants, mais parce que selon eux, j’allais trop souvent droit au but.
Je ne reflète pas l’image de la femme correcte …
Dans ma vie, il y a toujours eu un «soit moins ci », un «soit moins ça ». J’étais soit trop grande, trop grosse, trop extravagante, trop sensuelle, trop sexuelle, trop sure de moi, trop intense, trop exigeante et j’en passe le nombre de qualificatifs dont j’étais en « trop » dans ma vie.
Notez bien qu’à ma place, un homme n’aurait pas subi ce genre de remarques.
Si je faisais tout ce qu’ils me demandaient, je serais « une femme comme il faut ». De là, débuta ma quête de répondre à leurs critères. J’ai essayé de plaire à ce beau monde. J’ai même tenté de suivre la norme (Fit in the box) pour ne pas choquer, pour ne pas déranger, pour être aimée (mais la boite était trop petite pour moi).
Le résultat était bien piètre, je ne me suis pas reconnue.
Chassez le naturel et il revient au galop!
Heureusement pour moi, cette phase n’a pas fait long feu. Est-ce que vous m’imaginez être une autre que celle que je suis aujourd’hui?
J’ai commencé à voir les choses autrement !
Et si j’étais une femme en dépit de ces standards de la société? Et si j’étais une femme avec des caractéristiques dites masculines ? Et si j’étais une femme qui ne pouvait pas avoir d’enfant ou ne le désirait pas? Serais-je moins femme? Est-ce que je dois être « moins » moi pour être une femme? Est-ce que je dois être « moins » moi pour qu’un homme se sente viril?
Je porte un cinq gallon, je conduis très bien une voiture shift, je tolère bien l’alcool, je parle de sexe ouvertement, je suis indépendante. Suis-je un danger ? Il faut se débarrasser du double standard dans notre société. Je sais, je rêve les yeux grands ouverts ! Il faut respecter l’unicité de l’être ! Il faut respecter l’égalité des genres dès la famille, c’est le berceau de la société. Vous conviendrez avec moi qu’un frère qui a plusieurs conquêtes sera considéré un « coq » dont on est fier mais sa sœur, « une fille volage » que l’on veut répudier. Ou encore que son autorité confirme sa virilité tandis qu’il enlève la féminité de sa sœur. S’il pleure, il est faible comme une fillette, vu que la sensibilité est un sentiment féminin. S’il aime la danse, il est efféminé, le rythme n’est réservé qu’à la gente féminine.
Pour m’aimer, j’ai dû m’apprendre que personne n’a le droit d’estimer ma féminité à travers mon physique, mes capacités motrices, mes propos et mes convictions. La biologie, mon acte de naissance confirme mon sexe et Dieu m’a créée ainsi, qui êtes-vous pour le contredire ? (Encore un long débat mais c’est mon texte, écrivez le vôtre).
Alors, j’ai décidé de ne plus demander à ma fille d’être gentille. Je ne veux pas perpétuer le schéma que l’on m’a imposé. Je lui dis de préférence « Prends soin de toi » ! Elle est sa priorité, n’est-ce pas ? Je veux qu’elle soit forte, qu’elle pense à ce qu’elle veut, qu’elle l’accomplisse par son travail. Je veux qu’elle accepte de ressentir ce qui la traverse tout en respectant le droit des autres. Je veux qu’elle vive sa vie sans chercher à prouver à qui que ce soit qu’elle attend leur approbation pour exister. Au diable leurs standards, car je tiens le même discours à mon fils ! Le monde est bien trop rempli de vipères masquées pour que je les laisse se faire mordre en réfrénant leur personnalité et leur potentiel pour ne pas intimider quiconque.
En tant que mère, j’essaie de partager avec mes enfants ma compréhension du bien et du mal. À mon avis, c’est un bien plus important et noble héritage. La recherche de combler à tout prix les attentes des autres est un piège dans lequel j’ai failli me faire prendre plus d’une fois.
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