Si occuper l’espace public représente une conquête, trouver un travail relève du miracle, selon des interviews menées par AyiboPost avec trois personnes atteintes de nanisme
« Anomalie biologique ».
« Mi-femme ».
Et autres qualificatifs blessants…
Les rues de Port-au-Prince éclatent les tympans de Muriette Jean-Baptiste.
Cette constante violence verbale et psychologique se mue parfois en agression physique jusqu’au sein de sa famille.
En 2017, une hémorragie vaginale foudroie la jeune femme pendant huit jours, après une violente et injustifiée attaque de son propre frère.
« Personne n’a songé à m’emmener à l’hôpital, car je suis une mal-aimée dans ma famille à cause de mon handicap », déplore Jean-Baptiste à AyiboPost.
Atteinte de nanisme, les docteurs ont diagnostiqué à la dame une ostéologie imparfaite. Il s’agit d’une maladie du collagène, entraînant une fragilité anormale et généralisée des os.
Les personnes touchées par ce handicap héréditaire sont souvent de très petite taille.
Mais la société haïtienne, dont les lois ne punissent pas systématiquement les discriminations, ne fait pas toujours preuve de mansuétude.
Personne n’a songé à m’emmener à l’hôpital, car je suis une mal-aimée dans ma famille à cause de mon handicap.
Le corps de Jean-Baptiste, 1m18, garde encore la mémoire des maltraitances familiales : sa bouche manque quatre dents — conséquence des coups répétés de sa mère au niveau de son visage, selon ses dires.
D’autres familles, comme celle de Wesley Ed Isidore, font plus dans la bienveillance.
Cependant, les rues demeurent hostiles.
Pour sortir, l’étudiant en technique informatique dans une école professionnelle à Port-au-Prince se fait souvent « accompagner à cause des moqueries des gens ».
Les gestes déplacés ne sont jamais bien loin. « Dans la rue, dit Isidore, des gens parfois sortent leurs portables et me prennent en photo ou en vidéo sans que j’y consente : cela m’agace. »
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Plusieurs personnes atteintes de nanisme n’arrivent pas à boucler leurs études à cause de la moquerie et du harcèlement dans le milieu scolaire, explique à AyiboPost Sheilla Privert, vice-présidente de l’Association Athlétique des Personnes de Petite Taille d’Haïti (AAPPTH).
Esther Simon, qui vit encore de l’assistance de ses parents à 31 ans, dit avoir subi cette situation.
« Mes camarades de classe m’ennuyaient sans cesse », déclare Simon. « Parfois, je les injuriais pour qu’ils me laissent tranquille », se remémore la dame qui a finalement mis un terme à ses études après ses examens officiels de 6e année.
Les allusions et agressions sexuelles sont aussi fréquentes. « Souvent, des inconnus me regardent et disent qu’ils m’imaginent dans leurs lits », raconte Vastie Jean, 30 ans, qui souffre d’une incurvation au niveau des jambes.
Les membres de la communauté sont parfois obligées d’adopter des mécanismes de défense.
Selon Pascal Nery Jean-Charles, président de l’association haïtienne de psychologie (AHPSY), ils « se mettent souvent à l’écart, car ils anticipent les parenthèses de moquerie des gens. Tout comme, continue le spécialiste, ils peuvent adopter un comportement agressif et violent par rapport à la charge discriminatoire à laquelle elles font face ».
Si occuper l’espace public représente une conquête, trouver un travail relève du miracle, selon des interviews menées par AyiboPost avec trois personnes atteintes de nanisme.
Nitoyson Exantus, 1m34, fait partie des exceptions dans cette communauté où les préjugés semblent maintenir les membres dans le chômage, beaucoup plus que le resserrement global du marché de l’emploi en Haïti.
Le relatif succès d’Exantus n’a d’ailleurs pas été un long fleuve tranquille. Avant d’avoir rejoint l’administration publique comme comptable au ministère de l’Éducation et de la Formation professionnelle (MENFP), suite à un concours, en octobre 2020, Exantus avait, six ans auparavant, réussi — selon ses dires — avec brio une compétition pour travailler dans une banque aux Gonaïves.
À l’époque, Exantus n’avait pas obtenu le poste. Si aucune explication officielle n’a été donnée, le licencié en comptabilité de l’Université publique aux Gonaïves (UPAG) apprendra de personnes proches de l’institution des détails peu flatteurs sur le processus de recrutement.
« On n’a pas jugé bon de s’ennuyer avec quelqu’un de ma stature parce qu’il m’aurait fallu une chaise beaucoup plus haute pour que je voie les clients et une petite banquette pour mes pieds qui, autrement, ne toucheraient pas le sol », rapporte Exantus.
Aujourd’hui, l’homme tente d’aider sa communauté en présidant l’Association athlétique des personnes de petite taille d’Haïti (AAPPTH), créée le 15 décembre 2018.
Cette institution qui regroupe près d’une vingtaine de personnes atteintes de nanisme à travers le pays s’attèle à forcer l’État haïtien à respecter la Convention internationale sur les droits des personnes handicapées adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 13 décembre 2006.
Ratifiée par le gouvernement haïtien en 2009, cette convention interdit la violence, l’exploitation et la maltraitance des personnes qui vivent avec un handicap.
L’État fait peu pour combattre les discriminations, ou pour encourager l’embauche des membres de la communauté selon l’AAPPTH.
Depuis 2018, l’Office de management en ressources humaines (OMRH) et le bureau de la secrétairerie d’État à l’intégration des personnes handicapées (BSEIPH) organisent annuellement un concours pour employer 50 personnes handicapées dans la fonction publique.
Bien que bienvenue, cette initiative fonctionne aléatoirement, selon des témoignages. Dans un article publié par AyiboPost le 5 juin 2020, 50 lauréats réclamaient, deux ans après le concours en 2018, leur effective intégration dans l’administration publique.
La caisse d’assistance sociale (CAS), une institution étatique d’aide aux plus démunis, n’arrive pas à remplir correctement sa mission dans un contexte où l’actuel ministre des Affaires sociales et du Travail qui coiffe l’institution, Pierre Ricot Odney, ainsi que d’anciens cadres sont inculpés pour corruption par un juge de l’instruction.
Souvent, des inconnus me regardent et disent qu’ils m’imaginent dans leurs lits .
Lorsque le petit commerce de cheveux postiches de Muriette Jean-Baptiste fait faillite en 2022, après cinq ans de difficile fonctionnement, elle s’est rendue en dernier recours au CAS.
« On a pris mes papiers, et ce fut le silence complet », déplore Jean-Baptiste qui dit n’avoir pas eu de chance non plus auprès de la BSEIPH.
Contacté par AyiboPost, Boyer Breithner, le responsable logistique et communication de la CAS soutient que l’institution déploie des efforts pour soutenir financièrement les personnes démunies.
Genard Joseph, le secrétaire d’État à l’intégration des personnes handicapées a été injoignable avant publication.
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Des spécialistes appellent à des campagnes de luttes contre la discrimination envers les personnes atteintes de nanisme. Ils demandent également des programmes effectifs pour les embaucher, ainsi que des mesures effectives pour combattre les harcèlements.
Dans l’attente, les membres de la communauté continuent de faire preuve de résilience face aux discriminations.
« Je n’ai pas choisi d’être ainsi », affirme Nitoyson Exantus. « Je m’évertue chaque jour à me mettre en accord avec cette vérité. En mal de changer ma réalité, j’ai décidé de la vivre », conclut-il.
Par Junior Legrand
Image de couverture : Quatres personnes atteintes de nanisme | © Nesochi Okeke-Igbokwe
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