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50 personnes handicapées devaient intégrer l’État. Deux ans après le concours, elles attendent encore.

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Encore une promesse non tenue des autorités haïtiennes. « Si on était des proches des hauts dignitaires de l’État, on serait vite intégrés dans le calme le plus parfait », se plaint une lauréate

En 2018, l’Office de management et des Ressources humaines (OMRH) en partenariat avec le Bureau du Secrétairerie d’État à l’intégration des personnes handicapées (BSEIPH) ont réalisé un concours en vue d’intégrer 50 personnes en situation de handicap au sein de l’Administration publique.

Sur 93 candidats ayant pris part à la compétition, 50 lauréats ont été choisis.

Deux ans plus tard, ces lauréats se retrouvent devant les locaux de l’OMRH pour réclamer ce qui leur est dû. Ils sont aujourd’hui 49, parce que l’un d’entre eux, qui est ingénieur, a rejoint le corps des ingénieurs  dans un autre groupe de  l’OMRH.

Le concours de 2018 a eu lieu conformément à la loi du 13 mars 2012 portant sur l’intégration des personnes handicapées.

Les candidats aux meilleures performances devaient occuper au sein de l’administration publique des emplois divisés en trois catégories distinctes (A, B, C).

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La catégorie A regroupe 10 fonctionnaires devant détenir au moins une licence ou un titre universitaire équivalent à ce grade. Ils occuperaient entre autres des postes de direction et de coordination.

Les groupes B et C regroupent chacun 20 fonctionnaires. Ceux du premier groupe (B) doivent disposer d’un diplôme de fin d’étude universitaire de trois ans au minimum et devraient faire des travaux d’application. Ceux du deuxième groupe (C) doivent avoir au moins le niveau de troisième cycle de l’école fondamentale et seraient chargés des travaux d’exécution.

L’OMRH devrait garantir aux lauréats des trois catégories une formation de courte durée tandis que le BSEIPH leur garantirait des matériels de travail adaptés à la déficience de chacun des lauréats. 

Brûler des étapes pour rien

Johanne Merisier, une lauréate d’une trentaine d’années se plaint du fait qu’après tout ce temps elle n’a toujours pas sa lettre de nomination. Merisier a presque passé toutes les étapes du processus. « Je fais partie du groupe B parce que je n’avais pas de licence. Je n’ai reçu aucune formation comme cela a été prévu. On a entendu que l’OMRH n’a formé que les lauréats de la catégorie A. Mais jusqu’à présent l’institution n’a fourni aucune explication à ce propos », dit-elle sur un ton triste.

Les processus d’inscriptions au concours de l’OMRH ont eu lieu entre novembre et décembre 2018, selon Merisier. « La première phase du concours, la phase écrite, a pris place le 24 mars 2019 pour tous les candidats. On a publié les résultats à la fin du mois d’avril. Au début du mois de mai, l’OMRH nous a convoqués pour la dernière phase, l’épreuve orale, qui s’est déroulée au début du mois de mai. En juillet 2019, les résultats définitifs ont été publiés », explique-t-elle.

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À la fin du mois de juillet 2019, la jeune femme relate que tout n’était pas clair. Dans une réunion au BSEIPH, uniquement pour les groupes B et C, elle a appris que l’OMRH et le BSEIPH n’avaient aucune date prévue pour la nomination des lauréats. « Je pensais qu’on allait nous parler des postes que nous devrions occuper en fonction de notre déficience. Mais au contraire, on nous demandait d’être patient parce qu’il s’agit d’un processus de l’État. Depuis, on n’a jamais eu de nouvelles ni du BSEIPH ni de l’OMRH jusqu’au 20 janvier 2020. »

En janvier 2020, continue la dame, une cérémonie de graduation devait avoir lieu au palais national pour soumettre aux lauréats leur lettre de nomination. La cérémonie a été avortée. Une autre cérémonie prévue pour 12 mai 2020 n’a pas eu lieu non plus.

Avant de réussir le concours de l’OMRH, Johanne Merisier a eu un parcours universitaire de 4 ans. C’est une organisation caritative qui a financé toutes ses études. « Quand j’ai entendu parler du concours de l’OMRH, je pensais qu’enfin je pourrais vivre de mes propres moyens. J’ai préparé le concours avec acharnement. Il faut maintenant que je foule le sol pour mon intégration », se lamente-t-elle.

Aucune faveur

Carline Jean, une autre personne en situation de handicap faisant partie du programme de l’OMRH estime que l’État ne fait que bafouer les droits des personnes handicapées.

« Haïti a ratifié le 23 juillet 2009 la convention relative aux droits des personnes handicapées qui dispose en son article 27 que les personnes en situation de handicap ont le droit de travailler sans discrimination dit Jean. L’État haïtien dispose d’autres instruments juridiques allant dans le même sens. En plus on a réussi un concours, ce n’est pas une faveur que l’État nous fait. »

Carline Jean dénonce le népotisme qui sévit dans l’administration publique malgré le décret du 17 mai 2005 exigeant à toute personne voulant intégrer les institutions de l’État de passer par voie de concours. « Si on était des proches des hauts dignitaires de l’État, on serait vite intégrés dans le calme le plus parfait », se plaint Carline Jean qui rajoute que toute sa famille compte sur sa nomination au sein de la Fonction publique.

Rien n’a abouti

De 2018 à nos jours, OMRH et BSEIPH ont changé de titulaire.

Quand le projet d’intégration des 50 lauréats au sein de la Fonction publique a débuté, c’est Josué Pierre-Louis qui était le Coordonnateur général de l’office. Depuis le 31 mars 2020, c’est l’ancien ministre de la Justice et de la Sécurité publique, Jean Roudy Aly qui a été nommé à ce poste. Quant au BSEIPH, Soinette Désir a succédé à Gérald Oriol Jr au poste de Secrétaire d’État à l’intégration des personnes handicapées.

Ayibopost a contacté les responsables des deux institutions. Le Coordonnateur général de l’OMRH n’a pas donné suite aux demandes d’entretien. Nous avons pris contact avec Henri Boucicaut, le coordonnateur de la Fonction publique au sein de l’OMRH, qui a travaillé sur le dossier depuis son lancement en 2018. Il a déclaré que seul Jean Roudy Aly, le coordonnateur général de l’institution, a le droit de communiquer avec la presse sur cette affaire.

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Pour sa part, Soinette Désir dit qu’elle tient à cœur le dossier. Elle souligne d’ailleurs que ce sont des organisations de droits humains de la société civile dont elle en fait partie qui ont lutté pour que les personnes en situation de handicap soient intégrées dont toutes les sphères de la vie nationale.

« Je suivais déjà en tant que militante le processus de l’intégration des 50 personnes handicapées au sein de la Fonction publique », rapporte la secrétaire d’État à l’intégration des personnes handicapées.

« Durant le premier conseil de gouvernement que le Premier ministre Joseph Jouthe a tenu, j’ai soulevé le dossier. J’ai aussi communiqué avec le coordonnateur de la Fonction publique de l’OMRH Henri Boucicaut. Il y a tout un processus, il faut écrire les ministères. C’est un groupe de 200 personnes. Je sais maintenant que l’on travaille là-dessus. Je ferai part à Ayibopost de toutes les avancées du dossier. »

Jusqu’à présent, aucune avancée concrète n’est enregistrée dans ce dossier.

L’administration haïtienne compte plus de 80,000 travailleurs, dont 56,000 fonctionnaires et 25,000 contractuels. Elle est régulièrement dénoncée pour son manque d’efficacité, son archaïsme et le manque de productivité de ses membres.

Les noms des lauréats ont été changés.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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