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Métamorphose du Nigéria

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Je n’ai pas su déceler de la qualité sous l’aspect fort maladroit à la fois des individualités et la collectivité nigériane lors des deux premiers matchs contre l’Iran (0–0) et la Bosnie (1–0). Circonstances aggravantes : des prestations calamiteuses en juin 2013 à la Coupe des Confédérations, répétition générale de la Coupe du Monde qui titille aujourd’hui nos émotions. Impossible et douloureux, alors, d’établir la relation citoyenne entre les Emeruo, Yobo, Emenike, Musa, Babatunde et des devanciers de la carrure des Keshi, Kanu, Siasia, Oliseh, Amunike, Yekini, encore moins Jay Jay Okocha, incarnation de l’art fait footballeur. Taribo West, de l’ancienne génération, était à mes yeux le seul du même niveau d’indigence technique que l’équipe actuelle et, a contrario, Enyeama, le portier, aurait certainement bonifié les champions olympiques 1996.

Mes sentiments de désolation s’étaient à peine atténués quand du mieux surgit du match contre la Bosnie (1–0), but d’Odemwingie. Que celui-ci, bien connu auparavant durant son passage en France et lors de quelques rares prestations en équipe nationale, fût réserviste contre l’Iran, je fus tout simplement désorienté tant ses qualités de technique cinétique dépassait à mes yeux Azeez ou même Victor Moses, titulaires en la circonstance. Ce mieux n’a pas suffi à me dessiller les yeux : je me confortai dans ma perception négative d’un football africain en mal de développement dont le seul intéressant représentant était le Ghana au jeu d’une rare limpidité, fautif seulement de n’avoir pas été concentré au coup d’envoi contre les États-Unis, ce qui lui a coûté d’encaisser le but le plus rapide de la compétition (32e seconde) et finalement la défaite compromettante de la qualification en 1/8e de finale.

Et le match contre l’Argentine (2–3) me réconcilia avec le football nigérian. Comme l’Argentine s’est offert des habits de lumière pour ce dernier match, tandis que les Ambrose, Oshaniwa, Onazi, Babatunde, Emenike et, surtout, Musa, proposèrent l’expression d’une bande de joyeux lurons sûrs de leur art, le spectacle des 90 minutes fut authentiquement somptueux. J’oublierai volontiers les défaillances de placement et les fautes d’antijeu qui ont amené plusieurs coup-francs argentins dont celui du deuxième but de Messi. Pour me confesser, je veux retenir les fulgurances du gaucher Babatunde, même corpulence que notre Jeff Louis, qui laissa sur place tout le bloc argentin pour conduire une accélération-contre-attaque en complicité avec Musa, bénéficiaire de sa passe à partir de laquelle, d’une position excentrée après un crochet dévastateur aux dépens d’un Zabaleta pourtant vigilant, ce dernier atteignit d’une frappe acier trempé le petit filet gauche de Romero, pourtant angélique dans sa vaine détente. J’en suis à pleurer la grave blessure au coude de Batatunde qu’on ne verra pas, semble-t-il, en 1/8e de finale contre la France.

Je retiendrai aussi l’ensemble des actions hardies de Musa sur son aile gauche où il livra un duel épique avec Zabaleta, mais aussi ses incursions et manœuvres dans l’axe qui le retrouvèrent à point nommé pour exploiter un étirement de la défense argentine en s’y engouffrant, feindre une frappe à pied ouvert qui embarqua défenseurs et gardien, avant de frapper victorieusement au ras du sol à pied fermé.

Je retiendrai, enfin, mais ce n’est que pour écourter mon texte, la force, la vitesse, la détermination et le dribble d’Emenike, déjà tortionnaire de la défense bosnienne, le capitaine Spahic en particulier. Il a fait souffrir Garay et Fernandez, a arpenté tout le front de l’attaque, créant des brèches ici, la panique là, bref un authentique successeur de Yekini, mais avec l’avantage d’être plus technique.

Aujourd’hui, je voudrais réparer ma faute de perception en me préparant sincèrement à jouir pleinement du prochain spectacle nigérian contre la France en souhaitant tout simplement : que le meilleur gagne, car les deux sont bons.

Patrice Dumont.

Patrice "Pepé" Dumont est professeur d’Histoire, Relation internationale et Communication. Journaliste et commentateur sportif, il dirige l’émission Sportissibo à Radio Ibo. Reste toujours impliqué dans la vie politique et sociale d’Haïti.

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