Mario Benjamin a exposé dans plusieurs galeries d’art et musées à travers le monde. Il a participé à plusieurs biennales et installations en tant que peintre et commissaire d’exposition. En 2010, il reçoit à Dakar au Sénégal le prix de la Fondation Jean Paul Blachère de France. Le peintre a encore son passeport haïtien et vit en Haïti, mais il ne s’identifie pas à un peintre haïtien
Mario Benjamin nous reçoit dans le calme de sa résidence à Bourdon hier 11 août. À l’entrée de la maison, il campe de géantes sculptures de nus masculins créées par Marc Constant, un artiste qui travaille sur la route de Bourdon. Pour Benjamin, l’art haïtien est très pudique, le peu de nus qui existent représente la gent féminine. Il fait installer ces très remarquables portraits d’hommes nus pour délibérément faire dans la « provocation ».
Avant de commencer l’entrevue, le plasticien nous fait visiter sa résidence en lâchant : « ne vous pressez pas, j’ai tout mon temps. » Il nous fait chercher de la bière et du jus pour créer de l’ambiance.
Chez Benjamin, les meubles sont épars. Dans la première salle, il expose plusieurs portraits, un matelas à même le sol en face d’un miroir, des haut-parleurs. Il garde dans sa toilette une image de sa mère décédée il y a trois ans. « C’est l’endroit que je fréquente le plus dans la maison. À chaque fois que j’y viens, je vois ma mère », relate le peintre.
Nous faisons une petite tour dans son arrière-cour où il n’a pas fait le ménage depuis un bon temps.
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La visite de la demeure de Benjamin n’offre la vue de presque aucun tableau du peintre. L’artiste aime créer dans la solitude. « Quand je travaille, je ne veux être dérangé par personne », dit-il.
« Autrefois, je mettais de la musique, mais je ne le fais plus maintenant, continue Benjamin. Mon travail est une aventure solitaire, il n’y a que moi en face du tableau. Quand le travail s’achève, je laisse les tableaux hors de ma vue en attendant de les vendre », témoigne-t-il. Benjamin garde face contre mur les quelques œuvres non encore vendues dans l’une des chambres de la maison. Sur notre demande, il en sort deux.
Succès prématuré
Mario Benjamin s’installe sur la cour pour notre causerie, mais avertit qu’il ne pourra pas rester assis longtemps. Il est très énergique. Quand il parle, il doit se déplacer, bouger, s’exprimer avec son corps.
Cet homme vigoureux a grandi dans une atmosphère artistique. Ses parents, relativement aisés, ont été des amateurs d’art. Sa mère, Nicole Garnier, était pharmacienne, mais aussi comédienne. Fritz Benjamin, son père, était architecte et violoniste professionnel. Quand dans l’adolescence, le dernier-né de la famille Benjamin a fait ses premiers pas dans la peinture, ses parents ont été à l’écoute de son travail et leur soutien l’a aidé à aiguiser sa dextérité.
À seulement 16 ans, Mario Benjamin a connu son premier succès dans une exposition commune au Brésil. Un média international s’est servi de l’une de ses toiles pour la couverture de son reportage sur l’activité. Cependant, ce n’est que quatre ans plus tard que le jeune Mario connaîtra son grand exploit lors d’une exposition dans une galerie à Port-au-Prince. « J’avais vendu presque tous les tableaux ce jour-là. Plusieurs médias couvraient l’événement. J’étais très excité et ma mère aussi parce qu’elle était très fière de moi. »
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Sur ce point, l’artiste s’interroge si sa réussite n’était pas précoce. Il était juste un jeune homme de 20 ans devenu une star. Ses parents qui ont été très fiers de lui ont dû s’inquiéter quand le peintre a commencé à changer son style artistique et son mode de vie.
La rupture
« Quand Mario Benjamin a commencé à peindre, il était hyper réaliste, très académique, témoigne Judith Michel, administratrice de programmes culturels et collectionneuse d’art. Mario Benjamin vivait dans une famille bourgeoise et dans ce milieu, les gens sont très conservateurs », continue Michel qui pense que c’est ce qui faisait la fierté des parents de Mario Benjamin.
Quant à Sterlin Ulysse, professeur d’histoire de l’art, il pense que le jeune Mario était un technicien, quelqu’un qui maîtrisait les couleurs. « Mario Benjamin est devenu artiste quand il a fait la rupture avec l’esthétique de l’hyperréalisme », explique-t-il.
Au fil du temps, Benjamin s’est détaché de l’académisme pour développer son identité. Il s’est donné beaucoup plus de liberté dans son travail. C’est ce que Judith Michel appelle l’émancipation de l’art de Mario Benjamin. Il a rompu avec ces codes sociaux pour produire quelque chose qu’il n’avait jamais encore vu en Haïti. Quand il commence à développer son propre style, Mario Benjamin explique qu’il n’a eu le soutien de personne en Haïti. Ses parents ne le comprenaient plus.
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Mais c’est son nouveau style qui lui a valu sa renommée internationale. L’œuvre de Mario Benjamin a été saluée dans de grandes expositions et installations internationales. Même sa chambre a été publiée.
Bien qu’il vive en Haïti, Mario Benjamin refuse qu’on l’identifie à un peintre haïtien. Il n’entre pas dans les clichés qui associent la peinture haïtienne à un cocotier, une marchande avec un panier sur la tête, un paysan muni d’un outil pour labourer. On ne trouvera nulle part dans l’œuvre de Mario Benjamin de tels traits qu’on appelle couramment couleur locale. « Toutes ces formes de peinture qu’on assimile à l’art haïtien n’ont généralement pas de succès. Des artistes qui peignent toujours la même chose, ce n’est pas de la création », relate le peintre.
Benjamin ne se voit pas non plus dans des rôles de peintres naïfs, primitifs ou vodous. L’artiste de 57 ans n’est pas vodouisant, d’ailleurs il ne se réclame d’aucune religion. Il se voit plutôt proche de la réalité d’abstraction. Mario Benjamin pense qu’il est peintre, il ne s’identifie pas à une culture en particulier.
Pourtant, Mario Benjamin ne rejette pas le travail des artistes haïtiens. Il ne cache pas son admiration pour les travaux des artistes de la Grand-rue. D’ailleurs, il a collaboré avec Manno Eugène, Frantz Jacques dit Guyodo, Jean Hérard Celeur et d’autres membres de Atis rezistans. Benjamin apprécie aussi les talents de Nasson, un artiste de la rivière froide avec qui il a travaillé. Sans oublier Marc Constant qui a créé dans un atelier qu’il a dirigé les nus masculins qui se trouvent chez lui.
Des moments difficiles
Mario Benjamin n’a pas connu que des moments de gloire. Il a eu des problèmes de santé. À 40 ans, il a été diagnostiqué d’hypertension artérielle. Quelques années plus tard, c’est sa santé mentale qui a été affectée. Il a été diagnostiqué de troubles bipolaires. Il prend régulièrement des médicaments qui lui laissent des effets indésirables comme la somnolence. Pour garder son énergie, Mario Benjamin consomme beaucoup d’alcool et fume du cannabis quand il peint. Ces substances, selon l’artiste, le stimulent dans son travail.
Il a un moment interrompu l’entrevue pour envoyer quelqu’un lui acheter un médicament qu’il doit prendre le jour même. Ses douleurs l’affectent beaucoup, mais il en a fait ses stimulus.
Actuellement, l’artiste travaille sur son site web qui sera une fenêtre pour que le monde puisse voir son œuvre. « Mon travail a beaucoup été publié, il est important pour moi de montrer en priorité dans ce site mon travail actuel. »
Laura Louis
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