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Un des plus importants peintres de l’histoire de l’art en Haïti vient du Cap

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Mort en 1986, Philomé Obin trône comme un pilier de l’art naïf dans le pays

Le 5 juillet 1934, un président américain du nom de Franklin Delano Roosevelt accoste son navire dans la rade du Cap-Haïtien. FDR, par ses initiales, profitait d’une pérégrination dans l’étendue maritime régionale pour rendre visite à son homologue haïtien Sténio Vincent.

À côté du décorum strict, des salves de canons et du rhum revigorant, la descente de FDR en Haïti occasionne une annonce surprise : la fin, dans un mois à six semaines, de l’occupation américaine d’Haïti qui avait commencé dix-neuf ans auparavant.

Mise à part son implication politique profonde, la descente historique de l’occupant donnera naissance à un tableau qui rentrera dans les annales de l’histoire de l’art en Haïti. Intitulée «L’arrivée du président Roosevelt au Cap-Haïtien», l’œuvre porte la signature de l’artiste capois, Philomé Obin.

« L’arrivée du président Roosevelt au Cap-Haïtien » porte la signature de l’artiste capois, Philomé Obin

Ce tableau qui exprime la reconnaissance d’Haïti pour la fin officielle de l’ingérence des États-Unis sera envoyé au Centre d’Art, à la création de l’institution en 1944. Et l’image, ainsi que d’autres œuvres, facilitera la découverte, et le succès de l’art naïf haïtien dans la deuxième moitié du 20e siècle.

« Philomé Obin est l’un des artistes les plus importants de l’histoire de l’art en Haïti » pose Sterlin Ulysse, doyen à l’Institut d’Études et de Recherches africaines d’Haïti (IERAH-ISERSS). Quand il envoie son tableau au Centre d’Art, la peinture n’était pas à son âge d’or dans le pays.

Les intellectuels haïtiens qui ont créé le Centre avec l’américain Dewitt Peters cherchaient à revigorer la discipline. Découvrir Obin fut une révélation. La beauté simple de ses œuvres, la spontanéité de son expression, exerça sur Peters une fascination si profonde, qu’il fera du Centre un espace qui accueille et promeut les tenants de cet art dit naïf.

Un Centre capital

La peinture haïtienne compte trois générations. La première commence avec le Centre d’Art dans les années 1940 jusque vers 1950, pose Georges Nader Jr, un collectionneur, responsable de la Galerie Nader de Pétion-Ville. Les leaders de cette génération demeurent Philomé Obin et Hector Hyppolite, un peintre résolument vodouisant.

Une question, certes éloignée du débat public haïtien, anime les discussions d’experts sur la place à accorder l’américain Dewitt Peters dans l’histoire de l’art du pays. À chaque extrémité, une vision des choses différente.

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Certains estiment que l’art haïtien a commencé avec la « découverte » d’Hyppolite et de Obin par Dewitt Peters. D’autres rejettent cette argumentation. « Le lycée Pétion avait des cours d’art dès 1816, tout comme les écoles nationales de Henry Christophe dans le nord, expliquait en 1997 l’historien haïtien Michel-Rolph Trouillot. Plus important encore, Henry Ier a ouvert une académie d’art spécialisée à part entière. L’idée selon laquelle les Haïtiens ont dû attendre que M. Peters découvre leur talent caché n’est qu’une histoire d’arrogance de plus. »

Philomé Obin n’a d’ailleurs pas attendu le Centre pour se perfectionner. « Il était un peintre autodidacte », précise Jean-Hérold Pérard, auteur du livre Le Cap-Haïtien, 350 ans d’histoire. Pendant une partie de sa vie, Obin travaillait à la plantation Dauphin dans le nord-est, une structure dédiée à la culture du sisal. Quand la femme de JFK, Jacqueline Kennedy, rentre au Cap-Haïtien pour acheter des tableaux de l’artiste en 1966, l’homme aux seize enfants comptait 66 ans et il avait déjà abandonné l’usine pour s’adonner totalement à l’art.

Procession vers la Citadelle. Philomé Obin

Le fervent catholique

L’artiste puisait ses premières inspirations dans la religion. Fervent catholique, la plupart de ses productions étaient utilisées par des églises de sa communauté. Puis, il a parcouru le pinceau sur lui-même. Il se mettra en scène dans différentes situations quotidiennes avant de peindre la grandeur historique du Cap-Haïtien, sa ville. « C’est un des meilleurs peintres de l’histoire d’Haïti et des grands événements historiques », explique Sterlin Ulysse.

Crucifixion de Charlemagne Peralte pour la liberté. Philomé Obin

Le nouveau Centre d’Art offrira aux artistes de l’accompagnement technique et un marché où valoriser leur travail. L’endroit exalte l’art populaire haïtien et invite les curieux à sa découverte. Des personnages reconnus mondialement comme l’écrivain français André Breton, sur qui l’artiste Hector Hyppolite a fait un grand effet, promouvront la peinture naïve du pays à travers le monde.

En 1945, le critique d’art cubain José Gomez Sicre tombe sur des œuvres de Philomé Obin au Centre d’Art. Il envoie certaines peintures de l’homme ainsi que le travail d’autres contemporains à La Havane pour la première grande exposition d’artistes haïtiens. Obin devient une sensation dans les années suivantes.

Le boom touristique des années 1950 viendra sceller la réputation des artistes du pays à l’extérieur. L’on s’arrache les tableaux haïtiens. Philomé Obin ouvrira une enseigne du Centre d’Art au Cap-Haïtien la même année de son exposition à Cuba. L’endroit, aujourd’hui habité par des locataires ignorant l’histoire des lieux, accueillait à l’époque des apprentis artistes. La plupart d’entre eux sont des enfants et membres de la famille du patriarche. Ils vont former ce que les critiques d’art appellent l’Ecole du Nord : un courant artistique « naïf » pour émuler le style du maitre, Philomé Obin.

Il est considéré « comme le plus grand peintre naïf haïtien », affirme Georges Nader Jr. Cette catégorie esthétique se construit d’abord par son opposition à l’art savant, académique. Il s’agit d’une expression artistique picturale simple, sans fioritures, où le dessin bien tracé ne constitue pas la préoccupation première. Ceci donne quelque chose de poétique. C’est un « art sans gêne », analyse Sterlin Ulysse, reprenant une expression de l’expert Michel Philippe Lerebours. Cet « art non-académique » est souvent pratiqué par des gens qui ne sont pas passés par des écoles formelles de l’art.

Philomé Obin s’éteindra malade en Haïti. Malgré sa notoriété, l’homme préférait habiter son pays et toujours, il mettait ses enfants en garde contre la tentation du départ. C’était un « père inoubliable », se souvient Joceline Obin, 14e enfant de l’artiste. Assise au salon d’une petite maison au cœur de la ville historique du Cap-Haïtien, Joceline Obin ne conserve aucune trace physique de son « papa célèbre », à part quelques photos usées par le temps. Il nous a laissé une devise, signifie la dame. « Petit chez soi vaut mieux que grand chez les autres », disait-il toujours.

Widlore Mérancourt

Widlore Mérancourt est éditeur en chef d’AyiboPost et contributeur régulier au Washington Post. Il détient une maîtrise en Management des médias de l’Université de Lille et une licence en sciences juridiques. Il a été Content Manager de LoopHaïti.

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