CULTURE

Les poteries sur la route de Bourdon sont-elles protégées la nuit par des « zombis » ?

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Six ateliers de création de poteries et de produits divers occupent la route de Bourdon. Ayibopost a visité l’un d’entre eux pour sérieusement poser la question. Sérieusement!

En début d’après-midi, jeudi dernier, nous avons fait une pause à Bourdon en vue de rencontrer des artistes qui exposent objets artisanaux et matériels utilitaires sur la route.

Une question nous taraude l’esprit : pourquoi personne ne vole ces magnifiques objets qu’on retrouve toujours sur la chaussée à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit ? L’énigme est vite résolue. « Ce n’est pas que nous plaçons des zombis pour surveiller les pots, c’est plutôt parce qu’ils sont très lourds. Personne ne va voler quelque chose qui peut l’embarrasser au point de se faire attraper », témoigne Constant Marc, l’un des hommes qui vend des pots sur la voie.

Marc est d’abord un artiste. Lui et son équipe conceptualisent et façonnent des travaux de toutes les couleurs et les exposent aux deux bords de la route de Bourdon. Des pots, mais aussi d’autres créations. Chez Sculpture standard, le nom de la compagnie de Constant Marc, chaque sculpture a une histoire. Quand ce n’est pas une dame qui est trompée dans une relation amoureuse qui se questionne, c’est la « Vierge Marie » qui pose avec son air habituel d’innocence, comme on la voit généralement dans les églises catholiques.

Constant Marc a aussi deux portraits de Charlot Jacquelin, le jeune militant politique et professeur à Cité Soleil qui avait été arrêté, et a disparu le 19 septembre 1986. « Il y a un an depuis qu’on m’a proposé de faire ces portraits, mais les clients ne les ont pas réclamés », affirme l’artiste qui exécute généralement des commandes de ses acquéreurs. Mais il peut aussi créer des œuvres à son goût dans l’espoir de trouver un acheteur.

Comment est effectué le travail?

C’est en 1998 que Constant Marc s’établit à Bourdon. Avant, sa spécialité consistait à peindre des tissus. Une fois, un de ses amis qui était dans le métier de poterie a reçu une commande d’un client qui voulait un dessin que seul un artiste pouvait réaliser. « Il m’a alors confié la tâche de dessiner le pot, puis tout le monde a vu que j’étais doué pour ce travail. Je ne me suis jamais arrêté. » C’est ce métier qui lui permet de prendre soin de sa famille.

Avec le temps, Marc a monté l’atelier Sculpture Standard qui compte aujourd’hui quatre jeunes dévoués au métier. Ce sont les produits finis qu’il expose sur la route de Bourdon. Pour voir où tout est façonné, il faut se rendre à la cuisine de la compagnie qui se situe en bas, où des marches d’escaliers étroits mènent vers un bidonville au bord d’une ravine.

Sous un lilas, Stopy, vingt ans, Maken et Herald, dix-neuf ans, travaillent sous la supervision de Stevenson, 25 ans, qui est l’assistant de Constant Marc.

Stevenson est le plus ancien des artistes. Il travaille dans l’atelier depuis 2010. Après avoir bouclé ses études en 2016, le jeune homme s’est consacré entièrement à la sculpture. Stopy, Macken et Herald ne se contentent pas d’exécuter les ordres de Marc et Stevenson. Dans l’atelier, chaque artiste se sert de son style et de son imagination pour créer ses propres œuvres. Aucun d’entre eux n’a appris à l’école comment fabriquer un pot, dresser le portrait d’une personne ou d’un animal.

Comme des maçons sur un chantier de construction, les jeunes gens portent des vêtements tachés de mortiers. Le ciment est la matière première du travail, relate l’artiste Marc, chef de l’atelier. Mais il y a d’autres matériaux comme le sable, le fer qui entrent dans la composition des œuvres de sculpture standard où une journée de travail peut se terminer à vingt-trois heures quand il y a beaucoup de commandes.

« À cause de l’insécurité, notre production s’est réduite. Les gens n’investissent presque pas dans de grandes constructions de nos jours », ajoute Marc qui relate que c’est le « secteur privé » qui constitue sa clientèle : des propriétaires d’hôtels, des gens qui ont de grandes maisons parce que les sculptures peuvent occuper une grande place.

Avec un faible moyen, l’on ne peut pas acheter chez l’artiste Marc où un pot de taille moyenne coûte environ 300 dollars américains.

Plus qu’un métier, une passion

Depuis 1998, Constant Marc s’adonne complètement à la sculpture. Il raconte que c’est un travail qu’il fait avec son cœur.

Les jeunes hommes qui travaillent avec Marc sont autant passionnés par la sculpture que lui. Stopy par exemple pense que ses rêves sont trop grands pour rester dans sa tête. Parallèlement à son travail dans la sculpture, il est en NS4. Il ne rêve pas de devenir médecin, ingénieur ou avocat comme beaucoup d’autres jeunes de son âge. À l’avenir, Stopy se voit encore dans la sculpture, mais avec de grandes réalisations. « Je rêve que mes travaux soient exposés dans les grands musées du monde. Je travaille beaucoup pour que mes rêves se réalisent. »

Quant à Macken et Herald, ils ambitionnent de monter leur propre atelier dans le futur, ce qui ne pose aucun problème à Constant Marc qui pense que les jeunes artistes doivent grandir pour pouvoir le remplacer.

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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