Les marchés publics constituent l’autoroute de la corruption en Haïti, déclare Claudie Marsan, avocate au Barreau de Port-au-Prince et spécialiste senior en Passation des marchés publics
Une grande partie de la commande publique en Haïti est soumise à des procédures de passation de marchés publics souvent exposés à des pratiques illégales.
La corruption est partout, mais les marchés publics sont l’une des façons les plus faciles de s’enrichir illégalement, souligne Claudie Marsan, avocate au Barreau de Port-au-Prince et spécialiste senior en Passation des marchés publics.
Les marchés publics sont des contrats administratifs conclus à titre onéreux entre les autorités contractantes et des opérateurs économiques publics ou privés qui acceptent de répondre aux besoins des personnes publiques en matière de services, fournitures et travaux.
La corruption est partout, mais les marchés publics sont l’une des façons les plus faciles de s’enrichir illégalement.
– Claudie Marsan
Le décret du 3 décembre 2004 réglementant les marchés publics a créé en ce sens la Commission nationale des marchés publics (CNMP) dont la mission est d’assurer la régularité des opérations et le contrôle de qualité du système de passation de marchés publics. Cette commission est composée de cinq membres travaillant à plein temps, rémunérés, servant pour une période de trois ans, renouvelable une seule fois.
Depuis sa création, la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP) est placée sous l’autorité du Premier ministre. Elle fonctionne sur le budget de la Primature et est donc un organe interne à l’administration centrale.
Certains spécialistes croient que cela rend la commission moins efficace.
La preuve est que dans un pays comme Haïti où la corruption gangrène les institutions publiques, il n’y a jamais eu de sanctions administratives prononcées contre des personnes impliquées dans ces pratiques illégales.
Depuis sa création, la Commission Nationale des Marchés Publics (CNMP) est placée sous l’autorité du Premier ministre.
Pourtant, l’arrêté du 26 octobre 2009 déterminant les modalités de fonctionnement du CNMP prévoit que la commission peut «imposer des sanctions administratives en cas d’irrégularités constatées dans la passation et l’exécution des marchés publics».
Selon la loi du 10 juin 2009, la CNMP est habilitée à sanctionner les contrevenants, acteurs fautifs (autorités contractantes et opérateurs économiques soumissionnaires ou titulaires de marchés).
Me Claudie Marsan, auteure du «Manuel de procédures de passation des marchés publics» et «l’Essentiel sur le droit des marchés publics en Haïti», pense ainsi qu’il faut une CNMP affranchie de l’exécutif pour accomplir pleinement sa mission.
«La CNMP, malgré tous ses efforts et la bonne foi de ses membres, n’a jamais su s’imposer pour exiger et garantir le strict respect des trois principes fondamentaux de libre accès à la commande publique, d’égalité de traitement des candidats, et surtout de transparence à tous les niveaux de la procédure», regrette-t-elle.
Il faut une CNMP affranchie de l’exécutif pour accomplir pleinement sa mission.
– Claudie Marsan
Claudie Marsan déplore aussi que le site web de la CNMP ne soit pas régulièrement mis à jour pour permettre aux intéressés de consulter tous les plans prévisionnels annuels de passation de marchés des Autorités contractantes, la liste des marchés passés ainsi que la liste des contrevenants.
L’experte demeure persuadée qu’une CNMP dotée d’un budget adéquat pour son fonctionnement et celui des CDMP, placée aux côtés de l’exécutif, sans aucun lien hiérarchique, aura la chance de non seulement réguler la commande publique en toute indépendance et sans faire face aux blocages de l’exécutif, mais également d’assister les Autorités contractantes de l’Etat, des collectivités territoriales, des organismes autonomes dans la passation des marchés publics.
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Dans d’autres pays comme la France, et des pays d’Afrique, il existe une institution chargée de contrôler les marchés ou d’assister les autorités contractantes.
Au Cameroun par exemple, le Ministère des Marchés Publics est placé sous l’autorité d’un Ministre Délégué à la Présidence de la République. Il est chargé des Marchés Publics dont il est responsable de l’organisation et du bon fonctionnement.
En France, il existe La commission consultative des marchés publics (CCMP) qui fournit aux services de l’Etat et des établissements publics autres qu’industriels et commerciaux, à leur demande, une assistance pour l’élaboration ou la passation de leurs marchés et de leurs accords-cadres. Ni le Président de la République, ni le Premier ministre ne peuvent exercer une autorité sur la CCMP.
La liste des personnes physiques ou morales qui auraient été frappées de sanctions administratives par la CNMP demeure vierge.
L’avocate préconise plutôt à la place de la CNMP une Autorité Administrative indépendante (AAI) pour sécuriser et réguler véritablement les marchés.
Florient Jean Mari est l’actuel coordonnateur de la Commission nationale des marchés publics. Selon lui, la CNMP pourrait être une institution indépendante et rester tout aussi faible. «Cela dépendra de qui est aux commandes», croit-il.
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«Certains projets de la Primature qui sont parvenus à la Commission ont été retournés par la suite à la Primature parce qu’ils étaient contraires à la loi», justifie Jean Mari qui n’a pas voulu identifier ces projets.
Le Coordonnateur reconnaît toutefois que le système a des défaillances mais soutient que la CNMP a toujours bien fait son travail.
Or, la liste des personnes physiques ou morales qui auraient été frappées de sanctions administratives par la CNMP demeure vierge. Une situation selon Me Claudie Marsan qui laisse croire que tout se passe toujours à merveille dans le cadre de la passation et de l’exécution des marchés publics en Haïti.
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«Les personnes physiques, agents publics responsables du contrôle à priori ou à posteriori dans des institutions de contrôle telles la CNMP, la CSCCA, l’IGF qui n’ont pas réalisé leur travail avec éthique, en recherchant leurs intérêts individuels, ce au détriment de la population haïtienne, devraient être sanctionnés. Ceux-là maintiennent la corruption », soutient la spécialiste.
Ainsi, Me Claudie Marsan déplore la passivité de la CNMP qui, dit-elle, est mieux que quiconque au courant des écarts, des fautes, des cas de corruption et des tentatives de corruption. L’avocate croit qu’il faut une campagne de moralisation des agents de l’Administration publique, des opérateurs économiques et de la société.
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