Je retiendrai toujours l’odeur délicat du parfum qui accompagna son franc sourire lorsqu’il se baissa et m’aborda ce jour-là, perdue parmi la foule, essayant de m’amuser malgré le rituel de ces nuits en boite, ni trop fort, ni trop masculin, ni trop envahissant. Je comprendrais un peu plus tard que celui qui le portait incarnait la même description. Il fut direct sans fioritures et me demanda de lui accorder la prochaine danse. J’espère aussi qu’un jour, je ressentirai ce frisson qui m’a parcouru l’échine en levant mes yeux vers lui pour lui répondre. J’ai été électrifiée par l’ardeur de son regard qui s’attarda d’un air familier sur moi comme s’il en connaissait déjà tous les recoins et leurs promesses cachées. Je baissai rapidement les yeux tout en le suivant d’un air docile.
Je ne suis pas sûre de ce qu’aurait dit la société bien-pensante de l’élite haïtienne quant à la suite des évènements mais qu’importait les jugements hypocrites des « zuzus » qui, eussent-elles été à ma place auraient fait même pire. Bravant les interdits, je me serrai langoureusement contre lui provoquant ainsi une moite chaleur en moi.
« Je ne fais pas cela d’habitude » me suis-je crue obligée de dire en guise d’excuse et parce que malgré tout, je demeurais captive de l’éducation stricte que j’avais reçue et de la pression des standards imposés par cette maudite société. Surpris peut-être par l’innocence perçue sous ces propos, il me pressa encore plus près et je pus sentir toute l’intensité de ce que ce moment représentait pour lui. Alors, tous mes doutes s’envolèrent… Pourquoi devrais-je m’excuser pour un désir éveillé naturellement, une attraction entre deux adultes consentants? Et de quoi aurait-on pu m’accuser sinon que d’être une jeune femme normale, faite et fournie?
Et en tant que femme, il n’y a pas plus érotique pour moi qu’un homme qui sait se mouvoir sur une piste de danse. C’est pour moi un avant-goût de ce que je peux espérer pour de plus intimes rencontres. Et ce soir-là, nous dansâmes et dansâmes et dansâmes comme si nos vies en dépendaient. C’était notre moyen de communication, notre langue commune et cela nous plaisait. Tout s’était évanoui autour de nous, nous avions créé notre propre monde avec nos propres règles. A la fin de la soirée, l’envie de la prolonger en des lieux plus propices me tenaillait et vu l’intensité de son regard, il était plus qu’évident que c’était un désir mutuel…
Alors nous fîmes fi des doutes et nous nous enfuîmes en riant sous cape comme des adolescents en quête d’adrénaline. Ce n’était pas tous les jours que la connexion était aussi pure entre deux âmes qui venaient de se rencontrer ni que l’alchimie défiait les lois gravitationnelles nous poussant vers une forme de cohésion inexplicable. D’ailleurs, pourquoi nous serions-nous retenus de vivre cette expérience qui était à portée de main et que peu d’entre nous aurions l’occasion de vivre? Oui, nous aurions pu jouer le jeu par peur du « qu’en dira-t-on » et faire toutes les étapes du guide amoureux… Mais, nous avions juste décidé d’être nous-mêmes et de vivre l’instant présent en nous offrant mutuellement une fin magique à cette soirée.
Certaines histoires sont faites pour ne durer qu’une nuit mais leur souvenir ne se meurt jamais et c’est toujours avec un frisson d’interdit qu’on en reparle.
Nous avons ri, nous nous sommes aimés dans la passion d’une nuit et l’aube du matin nous a retrouvé languissants, repus mais rassasiés. Nos personnalités nous ont tourné vers une nuit à nulle autre pareille. Je suis sûre que son souvenir de moi ne sera jamais tâché par un quelconque jugement piteux de son esprit ou par la conception que toute femme spontanée est dépourvue de sérieux. J’espère qu’un jour, il lira cet ode qui n’est dédié qu’à lui seul et à ce parfum envoûtant dont mon corps est encore imprégné et j’ose croire que la société se taira devant la simplicité de mes aveux. Je veux aussi croire qu’elle comprendra que tout humain est en droit de consentir à mener sa vie selon ses propres termes aussi longtemps que cela ne nuise à la liberté d’autrui. Et que cela ne devrait en aucun cas dépendre de la peur d’être marginalisé par les cancans d’une hypocrisie cachant les vices les plus vils.
Lorsque vint le jour, nous nous quittâmes silencieusement comme avec un accord tacite, sans vaines paroles, mais si j’avais dû ajouter quelque chose pour clôturer un si doux intermède, je l’aurais fait d’une voix frissonnante et haletante sous laquelle l’impatience d’une seule question aurait pointé brûlant mes lèvres gonflées de caresses:
« Quel est le nom de cet enivrant parfum? »
Marguerite Jean
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