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L’évangile selon Sister M

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Sa bonne humeur contagieuse n’est pas le seul atout de Myria Charles

On la connaît pour son rire. Pour cette joie de vivre qui semble transpirer dans ses paroles et ses gestes. Myria Charles, Sister M, a acquis cette attitude zen à coup d’expérience, de renonciation… et de sagesse. Elle le comprend bien : nous ne sommes pas maîtres de nous-mêmes. « C’est la vie qui nous mène, dit-elle. Bien sûr nous ne restons pas passifs, nous faisons des efforts de notre côté. Mais par exemple, quel pouvoir avons-nous sur les éléments ? Aucun. Quand j’ai compris cela, c’était réellement une grande révélation. »

Mais évidemment il n’est pas facile de toujours prendre les événements comme ils viennent. Sans trop s’en plaindre. Sans trop s’y attacher non plus. « Vivre avec ou sans stress ne nous épargne pas la mort. Alors, je ne vois pourquoi il faut se tuer nous-mêmes, en laissant tout nous déranger. J’essaye de rester “cool” par rapport à ce qui m’arrive, et par rapport aux options que me donne la vie », explique Myria Charles.

Maintenant, elle s’attache à ses « ti mesye grafis », au « figi lari a », slogans devenus assez célèbres sur les réseaux sociaux, et qui sont repris sans cesse. « Les gens m’envoient spontanément toutes sortes d’images, dit-elle en riant. J’essaie moi-même de faire du graphisme, mais cela n’est pas mon fort. »

À 55 ans, comme le bon vin, Myria Charles cherche à être meilleure. Pour elle, et pour autrui aussi. Et quand on lui demande si elle va bien, notamment après une intervention, elle répond tout simplement : « Je n’ai pas à me plaindre ».

Revendiquer son origine

Myria Charles n’a pas honte de le dire, elle est paysanne. « Je suis née à Plateau central, dans une localité qui s’appelle Baptiste. D’ailleurs dans mon acte de naissance, il est écrit paysan. »

Dans la famille, il y a quatre enfants. Et tous, y compris Sister M, se mettent à la musique parce que c’est une obligation familiale.

À huit ans, Myria Charles se rend à Port-au-Prince. Elle fréquentera entre autres le Collège Saint-Pierre. Mais près de sept ans plus tard, la vie lui porte l’un des coups durs dont elle seule a le secret. Elle devient orpheline de sa mère. Son père se remarie, mais les relations entre Myria Charles et sa belle-mère ne sont pas toujours au beau fixe. « J’ai dû très tôt dans ma vie savoir m’adapter. À la mort de ma mère, j’ai compris que je devais apprendre quelque chose rapidement, et c’est pour cela que je me suis formée dans le secrétariat ».

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En plus du secrétariat et la gestion, elle en profite pour étudier quelques langues étrangères comme l’allemand, l’anglais, ou encore le portugais.

On est alors sous la dictature de Jean Claude Duvalier, mais la jeune Myria Charles s’épanouit quand même. Elle se rappelle notamment ses virées en province, une fois les vacances scolaires déclarées.

Excellente élève, elle a été lauréate des lauréates de son école de secrétariat. Récompense : une bourse pour aller étudier le commerce à Boston. Mais Myria n’en fait aucun cas, parce que partir pour l’étranger, ne venait pas en tête sur sa liste de priorités.

Musicienne accomplie

La musique, qui n’était au début qu’une obligation familiale, elle l’a finalement étudiée. Très tôt, elle met ses connaissances en application. « Je fréquentais l’église Baptiste de la rue de Réunion. J’étais dans la chorale. Mais comme il n’y avait pas de cours de musique à l’église, j’ai décidé d’en donner. J’ai pu former des jeunes musiciens. Puis, lorsque le maestro de la chorale est parti, on m’a proposé de la diriger. J’avais seize ans et en plus je suis une femme. Les gens s’étonnaient que je sois dans cette position, dans une église aussi conservatrice. »

C’était insolite à l’époque, mais ce ne sera pas la seule « révolution » de Myria Charles. Elle maniait la contrebasse, cet instrument joué en majorité par les hommes. « J’étais comme une bête de foire lors des concerts, plaisante-t-elle. Ces concerts étaient souvent retransmis par la télévision nationale. Le réalisateur attardait sa caméra sur moi, et cela a contribué à ce que je sois connue. »

C’est donc grâce à la musique qu’elle devient connue. Mais Facebook va aussi l’aider à toucher un autre type de public : celui des réseaux sociaux. Après le tremblement de terre de 2010, Facebook commence à être connu en Haïti. Myria Charles y voit un instrument intéressant. Elle ouvre une page appelée Foto Lari a. « Je bougeais beaucoup. Je publiais des choses bizarres, comiques. Beaucoup de personnes ont commencé à me suivre », se souvient-elle.

Une expérience de journaliste

Karl Foster Candio, à l’époque rédacteur en chef de Ticket Magazine, qui semble être fan de la page, la contacte. Il veut son humour dans le magazine. « J’ai accepté, mais j’ai insisté pour garder ma façon d’écrire, avec ce langage qui avait fait le succès de la page. J’ai collaboré donc avec Ticket, puis le Nouvelliste, dans une rubrique qui faisait à peu près la même chose. »

C’est ainsi qu’une collaboration de plusieurs années commence, entre Myria Charles et le seul quotidien du pays. Mais entretemps, elle fait le plateau des télévisions comme à l’émission Café du soir avec Djhannah Charles et Cynthia Jean Louis.

C’est aussi lors de cette collaboration avec Ticket que le nom Sister M est devenu « officiel ». « Après le séisme, j’étais avec un groupe d’anciens élèves du Petit Séminaire. On se réunissait tous les dimanches. On voulait venir en aide. J’étais tellement dévouée que les autres disaient toujours que je manifestais beaucoup d’amour, et que j’étais quelqu’un qui aimait son prochain. De là, ils m’ont surnommée Sister Aime, la sœur qui aime. Par la suite quand j’ai voulu avoir un nom de plume, j’ai transformé le Aime en M, puisque je m’appelle Myria », explique-t-elle.

Aujourd’hui Myria Charles a deux enfants… et deux divorces. « Je dois dire que tous les torts ne sont pas à imputer à mes anciens maris, dit-elle. J’en ai eu aussi. Ce sont des leçons que je ne pourrai plus mettre en pratique, mais je peux conseiller des gens. »

Elle s’entend encore bien avec ses anciens maris. Elle ne voit pas pourquoi elle aurait dû passer son temps à lutter pour des choses matérielles. « Je ne suis pas une personne conflictuelle. Mais surtout je ne suis pas matérialiste. La plupart des divorces se passent si mal à cause de la séparation des biens. Mais moi je ne me fais pas de souci pour certaines choses. Il n’y a aucune raison d’entrer dans une bataille stupide avec quelqu’un parce qu’on perd beaucoup d’énergie dans ces luttes futiles. ».

S’accepter comme on est

Comme elle est très présente sur les réseaux sociaux, sauf pendant quelque temps pendant sa convalescence, Sister M s’en sert pour aider. Elle prêche notamment l’acceptation de soi. « Pour moi c’est important, même si c’est difficile. À la suite de multiples rejets, et aussi des discriminations dont j’ai été victime, ou que j’ai vu d’autres personnes subir, j’ai compris la méchanceté des gens. Ce n’est même pas une méchanceté volontaire. »

Déjà à l’école, la jeune Myria Charles subissait quelques harcèlements. Mais elle réagissait à sa manière : elle se bagarrait. « Mais j’ai eu une autre stratégie aussi. Quand quelqu’un me harcelait, j’essayais de l’imagine dans une situation saugrenue. Par exemple, il était un cabri qui courait dans la rue. L’image me faisait rire immanquablement. Et cela désarçonnait la personne qui ne comprenait pas pourquoi je riais. »

Puis, Sister M est tombée sur un livre, grâce à sa sœur. Et cet ouvrage a changé sa perception sur beaucoup de choses, notamment le regard qu’on porte sur soi-même, en comparaison à celui d’autrui sur nous. « Il s’appelle Les quatre accords Tolteques. C’est un livre sublime qui donne quatre principes : avoir une parole impeccable, ne rien prendre personnellement, ne pas faire de suppositions, et faire toujours de son mieux. Dit ainsi cela paraît simple, mais il faut beaucoup d’efforts. C’est ainsi que j’ai compris que ce que cet individu disait ne me concernait pas. C’était son opinion, pas la mienne. Je ne devais pas me sentir froissée. »

Et maintenant Sister M se fait l’avocat de cette acceptation de soi. « J’encourage les autres à ne pas accorder trop d’importance à ce que disent les gens, parce que ce n’est pas leur réalité. Il faut une estime de soi, mais surtout il faut travailler sur ce “soi” pour qu’il mérite encore plus cette estime. »

Chrétienne, par choix, comme elle le dit, Myria Charles accorde de l’importance à la spiritualité. Pour elle, c’est une grande aide pour respecter le mode de vie qu’elle prône.

«Je ne suis pas féministe»

Dans sa jeunesse, lorsqu’elle arpentait les salles de concert avec sa contrebasse, cet instrument qu’on croit lourd, les gens étaient étonnés qu’une femme puisse s’adonner à cet instrument. Aujourd’hui encore, les hommes ont tendance à lui proposer leur aide pour porter l’instrument.

Plus d’une trentaine d’années après les concerts retransmis par la Télévision nationale d’Haïti, dans lesquels elle participait, il y a certes eu de l’évolution dans la manière de voir la femme, mais pas tellement. Les choses n’ont pas changé drastiquement.

Mais Myria Charles le dit à qui veut l’entendre, elle n’est pas féministe. Par-là, elle ne signifie pas pourtant qu’elle est insensible face à ce sujet. « On ne peut pas me parler d’égalité parce que moi, déjà, je ne me sens pas inférieure aux hommes, explique-t-elle. Bien entendu, il est nécessaire de lutter pour nos droits. Il ne devrait pas y avoir d’écart de salaire entre un homme et une femme qui font le même travail, et qui ont la même formation par exemple. Mais en même temps, je comprends qu’un homme puisse se sentir plus confortable dans certains métiers. »

Selon Sister M, trop de personnes se cachent derrière cette lutte pour leurs propres intérêts. « On s’écarte des bases du féminisme, dénonce-t-elle. Même si je suis consciente qu’il peut y avoir une évolution. Mais parfois, la personne qui parle haut et fort sur les réseaux sociaux, il faudrait voir comment elle se comporte différemment chez elle avec son mari. »

Il faut changer certaines choses, croit-elle : « Dans cette lutte, il n’y aura jamais un vainqueur. De plus, une lutte n’est pas forcément une guerre. Il faut travailler plutôt sur notre mentalité, notre éducation. Et même peut-être que si on changeait de méthodes et d’attitude, il y aurait de meilleurs résultats ».

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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