Chers parents, aimez-moi comme je suis!

Chers parents,

Ça fait bientôt deux ans depuis que je suis coiffée « Sainte-Catherine » comme tu le répètes si souvent maman. Je sais que tu en souffres au moins autant que moi, si ce n’est plus. Ne pas avoir de copain n’était pas un problème, jusqu’à ce que tout le monde s’en mêle. À l’aube de la nouvelle année, les sincères et chaleureux vœux de la famille et des amis ont vite fait de me le rappeler.

« Qu’enfin cette année tu trouves le bon! »

J’ai répondu merci en serrant les dents, et en me forçant à sourire même si, en réalité j’ai cessé de l’attendre.

Ça fait tantôt cinq ans que vous attendez « l’homme de ma vie ». Celui qui n’hésitera  pas à demander ma main au plus vite, qui me libérera du joug du célibat et qui vous épargnera la grande déception de n’avoir pas pu marier votre fille! Mais je ne semble pas attirer les prétendants que vous croyez que je mérite. Je ne suis pas difficile pourtant, je n’ai pas mauvais caractère non plus. Seulement vous aviez des critères bien établis, et ceux que j’ai rencontrés jusque-là n’ont pas su y répondre. Entre les vieillards vicieux, les hommes mariés, les divorcés, les jeunes désintéressés aux engagements sérieux et les amis indécis, ni vous ni moi ne nous étions retrouvés.

Pour la Saint-Valentin cette année, je vous ai réservé une excellente nouvelle. Fini les faux-semblants, les mensonges effrontés. J’ai longtemps hésité mais je n’en peux plus de vous cacher mon bonheur. Je suis aimée par une personne formidable, que vous avez rencontrée déjà sans le savoir. J’admire sa joie de vivre, son courage, sa capacité à faire fi de la société, de ses prescrits et de ses interdits. Depuis deux ans, nous avons tissé une relation amoureuse discrète, au cours de laquelle j’ai muri et appris à m’assumer. Pour la première fois, j’ai appris à connaitre et à aimer mon corps qui m’a longtemps été étranger. J’ai embrassé pleinement ma sexualité et me sens aujourd’hui femme.

Mes expériences précédentes avaient été peu concluantes tant au niveau relationnel que sexuel. Vous en étiez attristés, et moi je me sentais si mal de vous décevoir à chaque fois. J’avais préféré m’abstenir jusqu’au jour où je me suis faite draguée ouvertement par cette personne exceptionnelle. J’ai décidé de me laisser-aller, écoutant par-dessus-tout ce que me dictait mon cœur.

Chers parents, la personne que j’aime ne répondra pas à toutes vos attentes, je m’en excuse d’avance. Cette société dont les règles vous tiennent en otage, me pointera du doigt. Je serai incomprise, discriminée, traitée de tous les noms et pourtant personne ne saura m’obliger à renier ma propre nature. Je sais que mon choix dans une société comme la nôtre est une condamnation bien pire que celle infligée par Dieu à Sodome et Gomorrhe, néanmoins personne ne m’obligera à mener une double vie pour répondre aux exigences de tant d’hypocrites et d’amoraux érigés en censeurs.

Vous ne vous en êtes peut–être jamais douté, mais moi j’ai toujours su que j’étais  différente, et ce, depuis l’enfance. À l’école primaire, je m’étais entichée de ma meilleure amie. Elle ne l’a su que des années plus tard, lorsque je le lui ai avoué, alors qu’elle venait de me confier ses sentiments pour le grand frère d’une camarade. Elle est partie quelques mois plus tard définitivement aux Etats-Unis, et avec elle se sont envolées ma déclaration d’amour et notre amitié. Il ne m’était resté qu’un profond dégout pour ma personne.

Pour la Saint-Valentin cette année, j’ai compris que l’amour de soi et l’acceptation de soi étaient les maîtres mots pour vivre sereine et libre. J’ose espérer être encore digne de votre amour inconditionnel. Alors, chers parents, séchez vos larmes, gardez vos conseils, vos ruses pour attraper «  le bon », car j’ai trouvé la femme de ma vie !