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Les tribulations d’une localité haïtienne à proximité de la frontière dominicaine

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La commune de Savanette se trouve dans le département du Centre à proximité de la frontière haïtiano-dominicaine. En 2009, la population de la localité s’élevait à 32 929 habitants. Visite dans cette commune abandonnée par les autorités

Maryse Petit-Homme, une femme d’une trentaine d’années s’assoit dans la cour de sa maison avec un enfant entre les jambes. Il y a dans le lieu des plantations de maïs et de pois.

Petit-Homme vit avec sa famille à Lagoisse, une localité de Savanette. « Comme tous les habitants d’ici, nous faisons de l’agriculture, dit-elle. C’est la seule activité qui nous permet de gagner un peu d’argent à part bien sûr nous rendre à République Dominicaine en quête d’une vie meilleure. »

La dame s’est elle-même rendue illégalement à Hondo Valle, une commune du pays voisin. En moins d’un an, elle a trouvé un emploi. Maryse Petit-Homme est passée d’agricultrice chez elle à femme de ménage chez les dominicains.

« J’arrive à me procurer quelques vêtements pour moi et mes enfants, je peux couvrir d’autres dépenses aussi, ce que je ne pouvais faire avec le travail de la terre. Mais je ne peux pas vivre normalement vu que je n’ai pas de papier », dit la dame qui est rentrée à Savanette pour enregistrer la naissance de son fils qu’elle a enfanté en République Dominicaine.

À l’instar de Maryse Petit-Homme, beaucoup d’habitants de Savanette se rendent illégalement en République Dominicaine. Ils y constituent une main-d’œuvre « bon marché » importante dans les secteurs agricoles et industriels.

Parce qu’en réalité, la situation est loin d’être réjouissante dans la zone. Comme beaucoup d’autres localités du pays, cette commune de 174,83 km2, à peine plus grand que Pétion-Ville, fait face à des services sociaux amoindris et une précarité extrême. Elle illustre aussi la situation dans les communautés situées le long de la frontière, où la plupart des habitants sont obligés de se rendre en République Dominicaine pour trouver du travail ou jouir des services de base que l’État haïtien échoue à offrir.

La route menant à Savanette est catastrophique

Il est difficile lors d’un voyage en voiture ou à motocyclette de ne pas enregistrer une panne quelconque à Savanette, tant la route est mauvaise. Il y a sur tout le trajet à des points différents des gens qui réparent des pneus au cas où il y aurait un problème.

Sur la route de Savanette, il y a beaucoup d’impasses d’eau, pas un seul pont. Même à moto, à l’entrée de la ville, il faut se lever les pieds si l’on ne veut pas les mouiller. Si l’on fait le trajet à pieds, il faut payer un jeune homme dans les parages pour qu’il vous transporte. Ils sont nombreux à faire ce travail.

Pour Josué Prémisse, habitant de Savanette et chef de service fiscal à la mairie de la commune, le mauvais état de la route est le problème fondamental de Savanette. « À chaque période électorale, les candidats nous garantissent la construction du tronçon de route de Flandé jusqu’à la frontière. Quand ils sont élus, ils oublient toujours leur promesse », déclare avec colère Josué Prémisse.

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Pour sa part, le maire de la localité, Wisney Gaston, égrène un à un, les promesses non tenues. « En 1996 alors que j’étais magistrat, le président René Préval s’est rendu à Savanette. Lors de la visite, la voiture du président a eu une panne de pneus. C’est René Préval lui-même qui était au volant ce jour-là. En arrivant à Savanette, il a promis que la construction de la route était prioritaire pour lui. Son mandat a pris fin, il a été réélu président en 2006, la route est toujours en mauvais état », se plaint le maire de Savanette.

Le magistrat se rappelle aussi que le 3 mai 2018 le président Jovenel Moïse a promis qu’il construira le tronçon route menant de Flandé à Savanette. Mais jusqu’à présent, il n’y a aucun signe de construction. « Étant donné que le président est encore en fonction, on l’attend encore. Nous ne pouvons pas mettre la parole du chef de l’État en doute », dit-il.

Une mairie en difficulté

La mairie de Savanette est un grand bâtiment peint en beige et blanc. Elle a été construite en 2013 par la République fédérale d’Allemagne en partenariat avec le Fonds d’assistance économique et sociale (FAES). L’Office national d’Identification (ONI) y installe un bureau pour l’émission et la livraison de la nouvelle carte d’identité nationale unique (CINU). Deux employés de l’institution se chargent de servir les gens qui veulent obtenir la carte. L’un d’entre eux se plaint que l’ONI ne donne pas assez de moyens pour faire le travail.

La mairie de Savanette est un grand bâtiment peint en beige et blanc. Photo: Josué Prémisse

À part cette salle où travaillent les deux employés, tous les autres compartiments de la mairie sont vides. Il est pourtant deux heures de l’après-midi.

Le maire de Savanette, avance que les employés s’absentent parce que la mairie ne leur paie pas leur salaire. « Il y a 7 mois depuis qu’on n’a pas fait de payroll. Les employés sont découragés. Nous sommes obligés de faire des roulements avec le service de la voirie parce que la ville doit être propre. »

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Selon le maire bien que les mairies soient autonomes, il est des ressources que l’État central devrait mettre à leur disposition. « Les mairies fonctionnent à partir des recettes communales. Pour l’impôt locatif par exemple, la mairie donne un bordereau au contribuable pour qu’il aille payer à la DGI, dit-il. La mairie a 80% sur les impôts locatifs, les 20% restants sont à l’État.  Mais depuis mon élection en 2016, ces 80% ne me sont jamais revenus. »

Quand les contribuables refusent de payer leurs impôts, c’est la DGI qui devrait les contraindre, mais cela n’est jamais fait selon Wisney Gaston. Le budget de la Mairie de Savanette est de 12 000 000 de gourdes. « Avec ce budget, nous ne pouvons même pas fonctionner. C’est à l’aide d’une subvention du ministère de l’Intérieur et des collectivités territoriales (MICT) que j’arrive à payer les employés », continue le maire.

La justice fait face à des contraintes majeures 

Depuis 1997, le tribunal de Paix de Savanette est logé dans la cour du commissariat de la commune. Avant 1997, le tribunal se trouvait dans une dans une zone à risque tout près de la rivière du Fer à cheval qui inonde souvent la ville. « Pour éviter d’éventuels dégâts, nous avons loué deux pièces au commissariat où nous fonctionnons dans des conditions exécrables. Vu que la commune n’est pas électrifiée, parfois, nous prenons une prise de courant du panneau solaire du commissariat de police », nous apprend Ronald Bobo, le juge de paix suppléant de Savanette.

Selon le juge les autorités étatiques ont pendant longtemps essayé de doter le tribunal d’une propriété qui lui serait propre, mais la tentative a toujours échoué. « Il y a des conflits terriens majeurs ici à Savanette. L’État ne pouvait pas trouver de terre donc nous sommes obligés de louer au commissariat. »

Selon le juge les autorités étatiques ont pendant longtemps essayé de doter le tribunal d’une propriété qui lui serait propre, mais la tentative a toujours échoué. Photo: Josué Prémisse

À Savanette, les cas de viol sur les femmes sont fréquents

« Les filles notamment des mineures sont souvent violées par les voisins ou les membres de famille dans la commune. Un paysan qui en sortant laisse à son voisin de veiller sur sa famille peut en retour apprendre que sa fille a été violée par ce voisin-là », révèle le juge Ronald Bobo qui ajoute que le plus souvent, les victimes ne portent pas plainte ou le font trop tard.

« Après un viol, il faut obtenir un certificat médical dans les prochaines 72 heures or, les victimes à Savanette cachent l’agression. S’il s’agit d’une jeune fille, les parents vont voir le pasteur pour que la fille contracte un mariage avec l’agresseur qui dans un premier temps peut accepter, mais désister au jour du mariage. Quand le violeur refuse d’épouser la victime, c’est à ce moment que les parents viennent me voir, mais souvent il est déjà trop tard parce qu’il n’y a plus de preuve », continue le juge Bobo qui avance que lorsque les familles portent plainte à temps, les agresseurs sont arrêtés et jugés à Mirebalais.

La commune de Savanette est reléguée aux oubliettes

S’il y a quelque chose qui ne manque pas à Savanette, c‘est l’eau. Les habitants le canalisent pour faire l’agriculture qui constitue la première activité économique de la zone. Ils cultivent le pois, la banane et le café qu’ils vendent sur la frontière aux dominicains. Mais ces échanges commerciaux à eux seuls ne suffisent pas à développer la commune.

Pour voir une ampoule allumée à Savanette par exemple, il faut avoir un panneau solaire. En plus du problème de l’électricité, il y a la rivière du Fer à cheval qui inonde souvent la ville, ce qui entraîne souvent la perte de papiers importants comme les actes de naissance. La zone compte un seul hôpital public qui ne répond pas aux multiples besoins sanitaires de ses habitants.

Selon le juge de paix Ronald Bobo, il y avait dans les années 1990 des clubs littéraires, des championnats de football et d’autres activités de loisirs où les jeunes de la commune pouvaient s’amuser. De nos jours, pour la majorité des jeunes de Savanette, il y a une seule alternative, rentrer en République Dominicaine.

Maryse Petit-Homme est un nom d’emprunt.

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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