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Les semences de riz empoisonnés de Natcom sont le symptôme d’un plus gros problème

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Si une semence contaminée peut détruire des champs entiers dans tout le pays, l’État haïtien n’exerce pas suffisamment de contrôle sur l’importation de ces produits

En 2018, des paysans de l’Artibonite ont commencé à se plaindre, à cause d’une semence de riz qui leur a été procurée. Cette semence d’origine asiatique a été introduite en Haïti par les responsables de la compagnie Natcom, de concert avec des parlementaires.

Le riz Jasmine 85, à cause de son odeur, a attiré les rats, qui ont ainsi dévasté des parties de leur champ. Ce riz, à cause duquel une procédure judiciaire a été introduite contre Nguyen Quynh, directeur de la Natcom, est entré dans le pays sans suivre les procédures normales.

Ce n’est pas la première fois que des semences non autorisées à l’avance rentrent dans le pays. Même s’il existe des mises en place pour toute institution qui veut importer des semences, l’État n’en a pas toujours le contrôle.

D’après l’agronome Vely Blaise, directeur du service de quarantaine du Ministère de l’Agriculture et des ressources naturelles, les personnes ou institutions qui souhaitent faire rentrer des semences sont censées contacter son bureau au moins quinze jours à l’avance. Ainsi, la direction de la quarantaine a tout le temps nécessaire pour se préparer. Mais, à cause de la contrebande, et certaines institutions qui ne respectent pas les règles, ce processus est court-circuité.

Certaines semences qui rentrent dans le pays si elles sont contaminées peuvent contribuer à détruire des champs situés à des centaines de kilomètres de distance, à cause des maladies ou insectes qu’elles introduisent.

Sans contrôle

Gasner Démosthène est le directeur du bureau national semencier. Il regrette le manque de contrôle de l’État sur des semences qui rentrent. La procédure est pourtant tracée. « Normalement, toute semence doit passer par la douane, explique Démosthène. Elle doit être accompagnée d’un certificat phytosanitaire, qui assure qu’elle est saine et de bonne qualité. »

Arrivée à la douane, la semence doit être mise en quarantaine, afin d’effectuer des tests pour confirmer ce que dit le certificat. Ce n’est qu’après ces tests qu’on peut produire une autorisation d’importation. Mais, assure Démosthène, cela n’est pas toujours le cas. « Très souvent, on ne contacte pas le service national semencier pour des semences qui rentrent. Et je ne sais pas non plus si après nos tests, dans l’éventualité où on aurait rejeté une semence, elle ne puisse quand même rentrer dans le pays », regrette-t-il.

Quant à Vely Blaise, il confirme que la contrebande est un problème, dans la question des semences. « En tant que directeur, je ne suis pas là pour me plaindre, dit Blaise. Mais il est vrai que des semences peuvent entrer sans contrôle, surtout à cause de la frontière non sécurisée. »

 

Manque de moyens

La plupart du temps les semences que le service national semencier teste sont dépourvues de problèmes. « On vérifie le taux de germination de la semence, ou encore la quantité d’eau qu’elle renferme, au cas où on souhaite la conserver », rapporte le directeur du SNS, Gasner Démosthène. En de rares occasions toutefois, certains résultats sont anormaux. « Le taux de germination peut ne pas être optimal, c’est le principal problème. »

D’après Vely Blaise, un taux de germination peu élevé est une condition pour rejeter une semence. « Le taux de germination est le pourcentage de graines qui vont germer, sur la quantité de graines disponibles, explique l’agronome. Ce taux doit être de 70 % environ. Il est vrai que ce n’est pas une condition sanitaire, mais plutôt agronomique, mais une semence qui germe à moins de 70 % peut être une perte économique pour le planteur. »

Lire aussi: Monsanto a-t-elle voulu profiter du séisme pour envahir le marché haïtien ?

Pour conduire toute cette panoplie de tests, les moyens ne sont pas toujours adéquats. Après le tremblement de terre de 2010, la compagnie américaine Monsanto avait offert 475 tonnes métriques de semences de maïs aux agriculteurs haïtiens. Ce cadeau a suscité à l’époque de fortes vagues de protestation, surtout des paysans du plateau central, mené par le Mouvement paysan Papaye.

Des doutes subsistent jusqu’à présent sur la nature de ces semences, dénoncées comme génétiquement modifiées par certains, et défendus par d’autres, comme l’ancien ministre de l’agriculture Joanas Gué.

Le bureau national semencier n’a pas les moyens de conduire des tests qui peuvent déterminer le degré de modification génétique d’une semence. « Même pour vérifier la pureté de la variété, ou encore la germination, nous pourrions avoir un laboratoire plus équipé. Donc il est probable que des semences OGM soient arrivées à la douane, et qu’elles soient autorisées à entrer parce qu’on ne peut pas les vérifier. Ce qui est sûr, c’est qu’il y a des OGM dans le pays », assure Gasner Démosthène.

Éviter les pestes

D’après le directeur du SNS, le Ministère de l’Agriculture et de l’Environnement devait mettre des semences à la disposition des agriculteurs. « Les semences de base devraient être disponibles, explique-t-il. Le ministère les vendrait aux agriculteurs. » Mais c’est en partie à cause de l’incapacité du ministère à procurer ces matières de base que des boutiques agricoles ont ouvert dans le pays, ce qui agrandit le risque de semences de mauvaise qualité.

En matière de semence, une seule graine contaminée est un grand danger. « Une maladie peut se propager rapidement, dans tout le pays, et détruire les plantations de la même espèce », explique Démosthène.

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Selon le directeur de la quarantaine, plusieurs pestes sont en surveillance dans le pays, pour empêcher à tout prix leur entrée sur le territoire. « Une peste ne voyage pas seule, explique Vely Blaise. Elle peut être introduite lors d’échanges commerciaux, ou des voyages. Actuellement nous surveillons de près une peste redoutable, appelée Trogoderma granarium, ou dermeste des grains. »

Dans le cas où dans une cargaison de semences, on découvre l’un de ces insectes dangereux pour les cultures, il faut détruire toute la cargaison. « C’est par enfouissement dans la terre, ou par incinération qu’on procède. Nous avons un incinérateur artisanal, parce que l’incinérateur industriel ne fonctionne pas à cause de quelques problèmes », dit Vely Blaise.

En juillet, les États-Unis avaient interdit d’entrée les mangues haïtiennes sur leur territoire, à cause d’un insecte appelé mouche des fruits, découvert dans des containers de mangues francisque.

Jameson Francisque

Photo couverture : UN / Haiti 

Journaliste. Éditeur à AyiboPost. Juste un humain qui questionne ses origines, sa place, sa route et sa destination. Surtout sa destination.

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