Détention préventive prolongée, déni de soin, violences et autres tracas des femmes emprisonnées en Haïti
Les 7 et 8 mars 2021, un drame s’est produit à la prison civile de Jacmel. Des organisations sur place rapportent que 25 détenues, dont deux mineures, ont été frappées par cinq agents pénitentiaires de ce centre carcéral mixte.
Marie Ange Noël, coordonnatrice de Fanm deside, une organisation féministe basée à Jacmel, explique que tout a commencé au moment où les détenues allaient prendre leur bain. L’une d’entre elles se plaignait qu’elle soit en détention préventive prolongée depuis 8 ans.
« L’inspecteur qui était en poste l’a menacé puis l’a frappé. Une autre détenue qui essayait de prendre la défense de sa codétenue a été frappée aussi. Le lendemain, le même inspecteur a fait croire qu’il avait perdu son téléphone. Lui et d’autres agents ont mis les détenus par terre pour les fouiller. Quand ils n’ont pas trouvé le téléphone, ils ont frappé les détenues », explique la coordonnatrice de Fanm deside.
Les officiels racontent une histoire bien différente. « Selon des témoignages que j’ai reçus, les détenues auraient planifié une évasion pour le 8 mars, car il y a toujours des activités en cette date à la prison. Les agents ont essayé de dévier le plan », rapporte le commissaire du gouvernement de Jacmel, Lionel Cherima.
Fanm deside et d’autres organisations à Jacmel ont pris le contre-pied de la déclaration du commissaire de gouvernement Cherima dans une note de presse. Le jeudi 11 mars 2021, elles ont organisé un sit-in pour demander justice pour les 25 détenues qui n’ont pas été soignées tout de suite après le drame.
Selon Marie Ange Noël, des détenues ont été brutalement frappées. Trois d’entre elles ont eu leur menstruation sur place. « Les responsables de la prison ne nous ont pas permis de conduire les détenues à l’hôpital à temps. En plus, elles ont été sanctionnées », continue Marie Ange Noël.
En attendant une enquête approfondie, Noël explique que des mesures conservatoires ont été prises à l’égard de quatre agents pénitentiaires. Ils ont été mis en disposition.
Détention préventive prolongée
Cet évènement illustre le chemin de croix que subissent les femmes dans les prisons haïtiennes.
Les 25 détenues en question sont toutes en détention préventive prolongée, c’est-à-dire, elles ne sont pas encore jugées. D’ailleurs c’est la situation de la majorité des détenus en Haïti. Et, les femmes sont les plus touchées par ce phénomène.
Il y a dix-neuf prisons dans le pays. Une seule d’entre elles est destinée aux femmes, c’est la prison civile de Cabaret qui se situe au département de l’Ouest. Treize de ces centres carcéraux sont mixtes et les hommes y sont majoritaires. Le plus grand centre carcéral du pays, la prison civile de Port-au-Prince (pénitencier national), ne reçoit que des hommes. Paradoxalement, les données montrent que statistiquement, les femmes sont les plus touchées par le phénomène de la détention préventive prolongée qui sévit dans les prisons.
Le 28 janvier 2021, le Réseau national de défense des droits humains (RNDDH) a recensé 10 625 hommes incarcérés sur tout le territoire national. 1 743 de ces détenus étaient condamnés alors que 8 822 d’entre eux étaient en détention préventive prolongée.
Parallèlement, l’organisation a dénombré 496 femmes en détention, 10 condamnées et 396 en détention préventive prolongée.
« Apparemment les hommes sont plus nombreux à attendre un jugement. Cependant, en interprétant les chiffres, on trouve 83,5 % d’hommes en détention préventive prolongée par rapport à 97,53 % de femmes. Ce n’est pas nouveau. En octobre 2020, parmi les hommes incarcérés, il y a avait 82,37 % en attente de jugement contre 89,15 % de femmes dans la même situation », relate Marie Rosy Auguste, responsable de programme au RNDDH.
Selon l’avocate, les juges accordent un traitement particulier aux dossiers suivant qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Et en situation de mains levées, les autorités judiciaires se penchent généralement sur le cas des hommes incarcérés. « Elles pensent que l’urgence est du côté des hommes puisqu’ils sont plus nombreux. Mais en réalité, les autorités ne se rendent pas compte que les femmes sont [statistiquement] plus touchées par la détention préventive prolongée. »
Violences de tout genre
Mais à côté de la détention préventive, Marie Rosy Auguste souligne que même en prison, les femmes continuent à subir des violences classiques de la société patriarcale.
Idéalement, l’avocate avance qu’il devrait avoir des prisons distinctes pouvant recevoir exclusivement des hommes ou des femmes. Ou alors s’il s’agit de prisons mixtes, il devrait y avoir une séparation entre le bloc des femmes et celui des hommes.
Cependant, dans les prisons mixtes en Haïti, les cellules des femmes sont proches de celles des hommes. En cas d’accident, ces deux groupes de détenus peuvent se rencontrer. C’est ce qui est arrivé en 2019 à la prison civile des Gonaïves où dix détenues, dont une mineure, ont subi des viols collectifs.
Autrefois des agents pénitentiaires entretenaient des rapports intimes avec les détenues, ajoute Marie Rosy Auguste. En 2003, une jeune fille de dix-sept ans était enceinte d’un agent de la prison de Fort national. Le dossier avait fait un tollé. La ministre à la Condition féminine de l’époque, Ginette Rivière Lubin et des organisations féministes avaient dénoncé l’incident à la presse. « Les féministes ont mené une campagne pour que ce soient des femmes qui gèrent les prisons des femmes. À Cabaret, c’est une femme qui est responsable de la prison et les agents sont majoritairement des femmes. »
Par ailleurs, la santé sexuelle et reproductive des femmes n’est pas prise en compte dans les prisons en Haïti. Selon Marie Ange Noël de Fanm deside, ce sont des associations religieuses et caritatives qui apportent des serviettes hygiéniques aux détenues.
Il n’y a pas de moyens pour ces femmes de faire des diagnostics pour examiner leur état de santé. Si par exemple, une femme était diagnostiquée d’un cancer du col de l’utérus avant d’entrer en prison, il n’y a aucune garantie qu’elle aura la possibilité de continuer à suivre un traitement de son médecin.
Laura Louis
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