Les monuments historiques peuvent être dégradés, incendiés ou touchés par d’autres catastrophes. La restauration permet de conserver ces monuments pour pouvoir les transmettre aux générations futures
La restauration du patrimoine permet de perpétuer la mémoire d’un peuple. C’est un vaste domaine qui regroupe entre autres les métiers d’architecte, de maçon et d’ingénieur civil. En Haïti, l’Institut de sauvegarde du patrimoine national (ISPAN) existant depuis 1979 est chargé de restaurer le patrimoine de la République.
L’architecte Patrick Durandisse, le directeur de l’ISPAN croit qu’il est important pour un peuple de savoir que ses monuments historiques sont conservés et protégés. Selon lui, cela renforce la légitimité du peuple sur son territoire. « Nos monuments nous rappellent qui nous sommes quand nous les conservons, nous nous identifions aux héros de la nation, aux sacrifices qu’ils ont consentis pour que nous soyons libres. Leurs prouesses peuvent nous inspirer à accomplir d’autres ouvrages pour laisser aux générations futures. »
Premières tentatives de restauration en Haïti
En Haïti, depuis sous l’administration de Stenio Vincent, il y a eu une volonté de préserver les monuments historiques. À l’époque plusieurs monuments ont été réparés dont la chapelle de Milot qui a été incendié récemment. Cependant les premiers travaux de restauration du patrimoine national ont officiellement commencé sous l’instigation de l’architecte Albert Mangonès dans les années 1970.
En 1972, le créateur du marron inconnu est nommé conservateur des sites et monuments historiques. Selon l’architecte Frédérick Mangonès, le fils du feu Albert Mangonès, il s’agissait d’un titre honorifique qui ne charriait ni bureau ni salaire. Albert Mangonès avait pour mission de superviser le marron inconnu. Fort de ce titre, il a commencé un mouvement de restauration de tous les monuments historiques. L’initiative a débuté au niveau de la citadelle et du palais sans souci avec l’ambition de conserver tous les monuments en Haïti.
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À l’époque il n’y avait pas de moyens pour lancer les travaux. Mangonès a écrit à l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Organisation des États américains (OEA). Au début, seule l’OEA a répondu. L’organisation a employé deux architectes cubains, l’équipe de Mangonès disposait déjà de deux architectes haïtiens, ensemble ils ont établi des termes de référence pour un éventuel projet de restauration. Mais, il n’y avait pas assez de fonds pour lancer le projet.
En 1976, le président sénégalais Léopold Sédar Senghor est venu en Haïti. Pendant son séjour, le chef d’État africain a visité la Citadelle Laferrière. « Léopold S. Senghor a été tellement impressionné par le monument qu’il a fait un don de 50 000 dollars américains au pays. Vu l’ampleur des travaux, nous ne pouvions pas faire grand-chose avec ce fonds. Mais il nous a quand même servi à lancer le projet de restauration. Au fur et à mesure, l’UNESCO s’y est impliquée », raconte Frédérick Mangonès.
À ce stade, il a fallu une institution publique pour gérer le projet. C’est ainsi que l’ISPAN a été créé en 1979. « Le projet commun ISPAN-UNESCO ou le Parc national historique (Citadelle Sans-Souci Ramier) a été lancé. L’idée était de créer un parc autour de ces bâtiments historiques pour qu’ils soient protégés. Ce projet qui a débuté en 1979 n’a pris fin qu’en 2004. L’initiative ISPAN-UNESCO était l’un des projets les plus longs de l’UNESCO », continue Mangonès.
Depuis, il y a eu d’autres projets de restauration en Haïti non seulement au niveau du patrimoine bâti, mais aussi dans d’autres domaines.
En quoi consiste concrètement le métier de restauration du patrimoine ?
La restauration n’est pas de l’art pour de l’art, argumente Patrick Durandisse, de l’ISPAN. Selon l’architecte, ce métier est un mouvement d’affirmation. « On s’affirme à travers ses monuments. On s’affirme en tant que nègre, en tant que descendant d’esclave, en tant que combattant pour la liberté. »
Pour sa part, Frédérick Mangonès explique qu’il faut connaître l’histoire d’un pays pour pouvoir restaurer ses monuments. La restauration des bâtiments historiques dit-il, doit refléter le système constructif du pays. « Même quand on a étudié à l’étranger, l’on doit développer une spécificité par rapport aux bâtiments locaux. Il faut connaître son histoire. »
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D’après Durandisse et Mangonès, la restauration d’un bâtiment doit commencer par l’identification des traces que celui-ci a laissées. Pour ce faire, les professionnels collectionnent toutes les informations qu’ils peuvent trouver sur le bâtiment en question notamment des photos, des dessins, des documentations sur les types de matériaux qui ont été utilisés à l’époque de la construction.
Avant la restauration, il convient de voir si le monument est récupérable, explique Frédérick Mangonès. « Si c’est possible de le reproduire à l’identique, il faut le faire, car l’idée est de préserver les monuments tels qu’ils avaient été créés. Il y a des maisons gingerbread dégradées qu’on a reconstruites telles qu’elles ont été créées. Toutefois, si l’on ne parvient pas à trouver assez de documentations pour faire quelque chose d’identique, il faut quand même préserver le monument. »
Si l’on fait quelque chose de nouveau, il faut que cela soit clairement identifiable comme nouveau, renchérit Mangonès. Il faut que ce soit clair que c’est un geste moderne qui n’est pas en conflit avec l’ancien ouvrage. « Il peut être difficile de trouver les matériaux qui ont été utilisés à l’époque où le bâtiment a été construit. Dans ce cas, il faut mentionner que vous avez utilisé de nouveaux matériaux. Parce qu’il faut éviter de duper les gens dans la restauration. En agissant ainsi vous rendez hommage aux travaux que les autres professionnels ont déjà faits avant vous », continue-t-il.
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Dans le cas de Sans Souci et de la citadelle, l’architecte raconte qu’ils ont fait beaucoup de recherches. Ils ont trouvé assez de traces de poteaux, d’escaliers et des morceaux de tuiles qui leur ont indiqué les dimensions et la couleur des tuiles originales. Ils ont fait plusieurs essais de charpentes et les ont soumis à des charpentiers du monde entier pour savoir si elles correspondent aux charpentes qui se faisaient à l’époque. Ainsi, ils ont pu reconstituer la charpente originale.
« Nous nous sommes efforcés pour trouver les matériaux de l’époque, dit Mangonès. Nous avons utilisé des mortiers de chaux tel qu’on les utilisait autrefois pour les constructions. Toutefois, à la Citadelle il y a des zones où nous avons fait des interventions d’étanchéité avec du béton, mais nous n’avons pas essayé de le cacher, tout le monde peut voir clairement qu’il s’agit d’une intervention moderne. »
Mangonès donne aussi l’exemple du dôme de la chapelle de Milot qui est parti en fumée le 13 avril dernier. Le dôme qui a été incendié récemment, raconte l’architecte, n’est pas celui qu’Henri Christophe a créé, mais celui que les marines américains ont mis en place quand ils ont restauré l’église sous l’administration de Sténio Vincent. Mangonès n’a aucune idée de comment le dôme original a disparu. Maintenant que le dôme a de nouveau disparu, Frédérick Mangonès se demande si l’ISPAN va opter pour le dôme original ou si l’institution va garder le style des marines quand elle doit restaurer la chapelle.
Difficultés de la restauration du patrimoine
Frédérick Mangonès déclare que la restauration du patrimoine fait face à toutes sortes de difficultés en particulier le financement. « Beaucoup disent qu’un peuple sans mémoire est un peuple sans futur. Mais il est évident que dans un pays comme Haïti, s’il faut choisir d’investir dans les hôpitaux, dans les écoles ou dans les monuments historiques, le choix est vite fait. Donc il est difficile de trouver des fonds pour la restauration, si ce n’est pas des monuments de même envergure que la citadelle. »
Pour sa part, l’architecte Patrick Durandisse relate que l’ISPAN fait face à d’énormes difficultés pour restaurer le patrimoine national. « Nous avons un travail technique, dit le directeur. Nous recrutons des ingénieurs et architectes formés en Haïti. Nous leur donnons des formations ici puis ils vont prendre des cours spécialisés à l’étranger. Mais nous n’avons pas assez de moyens pour les mettre en œuvre. L’ISPAN a un [budget] de fonctionnement, mais il n’a pas un [budget] d’investissement. »
Actuellement, l’ISPAN travaille sur un projet de restauration des sites potentiellement touristiques dans le Sud. Ce projet est financé par la Banque mondiale. Par ailleurs, il envisage de continuer la restauration de citadelle et du palais sans souci et d’aller plus loin.
Laura Louis
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