SOCIÉTÉ

Les matelas se vendent bien quand il fait froid et autres confidences des artisans de Delmas 30

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Nous sommes allés à la rencontre des professionnels du sommeil

À l’impasse Michel, Delmas 30, les réparateurs de matelas ne chôment pas. On y entend des pédales de machine à coudre, des bruits de marteau sur les bois qui forment le sommier des matelas, mais aussi de la musique rabòday à crever les tympans que les boss écoutent dans leur petit récepteur. L’ambiance stimule le travail.

Certains travailleurs portent des vêtements usagers, d’autres sont torses nus. « Nous travaillons, nous nous amusons, nous buvons notre “gwòg” aussi», témoigne Magalie Chauvet, une dame de 47 ans qui dirige l’atelier.

Magalie Chauvet, 47 ans, dirige l’atelier de Delmas 30. Photo: Valérie Baeriswyl/Ayibopost

Mouchoir et tablier bien ajustés, Chauvet ne répare pas de matelas. Elle coopère avec les boss et vend les matelas aux marchands. «Quand les boss sortiront d’ici cet après-midi vous n’allez pas pouvoir les reconnaître, dit la dame. Ils changeront de vêtement et partiront dans leur propre voiture ou sur leur moto ».

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L’atelier a pris naissance, il y a de cela trente ans. C’est la mère de Magalie, Lucide Louis Chauvet, qui a instauré l’établissement dans le coin. Une fois, la dame s’est essayée à la vente d’un matelas. La rapidité de liquidation du mobilier a donné naissance au business.

Quand il y avait des déchirures dans certains matelas, Lucide Louis Chauvet faisait appel à des gens pour les réparer. « C’est ainsi que l’atelier a commencé, déclare Magalie Chauvet. Nous en avons eu d’autres à Cité soleil et à Delmas 17. »

Photo: Valérie Baeriswyl/Ayibopost

En quoi consiste le travail?

En Haïti, les travailleurs, les artisans de matelas sont appelés réparateurs parce qu’ils se servent en grande partie de matériaux provenant des lits importés de l’étranger. Pour s’approvisionner, ils achètent des « kabann kraze » à des particuliers.

Généralement, ces matelas sont démontés pour subir les interventions à haute précision des professionnels. Les matières premières sont principalement les ressorts, la toile de couverture, des pailles, mais aussi des cartons. « Il n’y a que les ressorts que nous ne pouvons reproduire, car ils sont faits d’acier que l’on ne trouve pas ici en Haïti, témoigne Magalie Chauvet. Sinon, nous pouvons remodeler toutes les pièces d’un matelas selon la demande du client. »

Photo: Valérie Baeriswyl/Ayibopost

Le client peut choisir la couleur et les dessins qu’il souhaite sur le tissu de son matelas. Bernard Charles, 48 ans, est l’un des artistes de l’équipe. Avec sa machine à coudre, il peut faire dix à quinze toiles par jour. « Autrefois, je pouvais dessiner 20 à 22 toiles quotidiennement, explique le boss qui travaille dans l’atelier depuis plus d’une quinzaine d’années. Avec une machine électrique, la quantité peut tripler pour le même temps ».

C’est aussi le client qui choisit la taille de son matelas. Il en existe de plusieurs dimensions. L’on compte des lits de queen size (lit de deux places) et des king size (plus de deux places, extra large), mais aussi des lits d’une seule place pour enfants et adultes.

Photo: Valérie Baeriswyl/Ayibopost

« Nous avons également des lits orthopédiques qui n’absorbent pas de mouvement, précise Magalie Chauvet. Ce genre de lit est généralement conçu pour des gens qui ont des fractures par suite d’un accident ».

Matelas en vrac et saleté

La taille et la qualité du matelas déterminent les prix. Pour une seule place, le lit coûte 5 000 gourdes. Le prix minimal d’un lit double est de 12 500 gourdes. Pour les king et queen size, le montant peut grimper jusqu’à 40 000 gourdes.

Les matelas sont stockés dans des maisons situées non loin de l’atelier que les travailleurs louent à cet effet. Ceux qui sont en réparation restent en vrac dans l’atelier à même le sol, près d’une ravine d’immondices. « Il y avait des maisons ici, l’État les a rasées, explique Magalie. Très bientôt je vais nettoyer la ravine et monter une passerelle ».

Photo: Valérie Baeriswyl/Ayibopost

Bien que le local de l’atelier laisse à désirer, les matelas sont très vendus selon les témoignages des réparateurs. Ils croulent sous les clients, particulièrement en hiver. Bernadel Charles est l’un des réparateurs de matelas. Il travaille dans l’atelier depuis 2003. « En décembre, il y a beaucoup plus de ventes, dit-il. C’est le mois où les gens se marient beaucoup plus, les fiancés viennent faire leur commande chez nous. Il y a des passants qui tombent sur nous et veulent bénéficier de notre service. »

Quand il a commencé, Charles n’avait que 19 ans. Il venait de quitter la maison familiale à Miragoane pour emménager avec un oncle à Port-au-Prince. « Mon oncle travaillait dans la réparation de matelas aussi. C’est de lui que je tiens le métier. »

Le client peut choisir la couleur et les dessins qu’il souhaite sur le tissu de son matelas. Photo: Valérie Baeriswyl/Ayibopost

C’est la vente et la réparation des matelas qui permettent à Bernadel Charles de subvenir à ses besoins et de prendre soin de sa famille. Comme les autres réparateurs de l’atelier de Delmas 30, il formule le vœu de voir l’entreprise grandir.


Les matelas qui sont en réparation restent en vrac dans l’atelier à même le sol, près d’une ravine d’immondices. Photo: Valérie Baeriswyl/Ayibopost

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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