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Les gangs «non responsables» de la disparition des papillons en Haïti

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Sérieusement, où sont les papillons ?

La Rivière Froide, à une époque, était très connue pour son paysage écologique et les centaines de papillons colorés qui volaient dans les parages du torrent.

Ce samedi 1er avril 2023, un soleil brulant tape sur la rivière, pratiquement asséchée et encombrée de détritus nauséabonds. Aucun papillon ne se pointe à l’horizon dans la 11e section communale de la commune de Carrefour.

Une situation similaire est observée un peu partout en Haïti. «Il n’y a plus de fraicheur, il n’y a plus de fleurs ni de plantes, l’espace est devenu si aride, que même moi en tant qu’humain, je ne suis plus attiré par l’endroit, alors, que dire des papillons ? », déclare Rameau Luquereste, un quinquagénaire résident dans la zone de la Rivière Froide depuis 1985.

Une situation similaire est observée un peu partout en Haïti.

Une explication scientifique existe. Selon René Durocher, photographe animalier et biologiste, la régression des papillons est principalement causée par la pollution, la déforestation, l’urbanisation, l’agriculture intensive et l’utilisation de pesticides et de biocides.

L’espèce de papillon Phoebis-agarithe | © René Durocher

«Puisque les papillons se nourrissent du nectar des plantes, les pesticides sont comme un poison pour eux, précise Durocher. Une fois que les gens ont aspergé la plante du produit, le papillon qui consommera ce nectar sera automatiquement empoisonné.»

Ces insectes volants appartiennent à l’ordre des lépidoptères. Ils sont caractérisés par leurs ailes colorées et écailleuses, souvent ornées de motifs et de dessins complexes.

La régression des papillons est principalement causée par la pollution, la déforestation, l’urbanisation, l’agriculture intensive et l’utilisation de pesticides et de biocides.

– René Durocher

Les papillons jouent un rôle important dans la pollinisation des plantes. En volant de fleur en fleur pour se nourrir, ils transfèrent involontairement du pollen entre les fleurs, ce qui permet la reproduction de ces plantes.

Souvent associés à la beauté et à la liberté, les papillons sont considérés comme des symboles de transformation, de renaissance et d’espoir en Haïti.

Traditionnellement, la variété «Papillon Saint-Jean» apparaît massivement en début d’été. Cette espèce a une espérance de vie relativement courte, d’environ 29 jours.

L’espèce de papillon Saint-Jean à Môle St-Nicolas | © René Durocher

Selon «Le plan de gestion des pestes et des pesticides» publié en 2017 dans le cadre du Projet Territoires Productifs Résilients (TPR) du Ministère de l’Agriculture, des Ressources Naturelles et du Développement Rural, «l’utilisation non contrôlée des pesticides provoque un impact négatif sur la biodiversité» dans le pays. Parmi ces impacts, le texte mentionne : l’intoxication de la faune, la disparition d’espèces ou de groupes d’espèces, la rupture de l’équilibre écologique et l’érosion de la biodiversité.

Souvent associés à la beauté et à la liberté, les papillons sont considérés comme des symboles de transformation, de renaissance et d’espoir en Haïti.

William Cinéa est ingénieur forestier et fondateur du Jardin botanique des Cayes. Il ajoute qu’au-delà des causes citées plus haut, l’espèce des papillons est surtout menacée par le changement climatique et la régression des plantes natives.

L’espèce de papillon Ascia monuste à Marchand Dessalines | © René Durocher

«Les papillons se posent sur les plantes pourvues de fleurs et les plantes dites natives», déclare l’ingénieur forestier. «Ils ne se posent donc pas sur n’importe quelle plante comme on le prétend parfois.»

Les plantes natives sont souvent appelées «Raje» en Haïti. Elles sont d’une importance capitale dans l’écosystème.

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«Beaucoup d’agriculteurs ont tendance à déraciner ou à éliminer les plantes dites natives de leur végétation, malheureusement, ils ont tort !», déclare Cinéa, dont le Jardin botanique collectionne ces catégories de plantes.

L’espèce des papillons est surtout menacée par le changement climatique et la régression des plantes natives.

– William Cinéa

En réalité, une plante native est une plante indigène ou endémique à une région ou un territoire spécifique. Cela signifie qu’elle est originaire de cet endroit et qu’elle s’est adaptée aux conditions de cet environnement au fil du temps. Les plantes natives sont importantes car elles font partie de l’écosystème local et contribuent à maintenir l’équilibre écologique en fournissant de la nourriture et un habitat pour les animaux indigènes, en régulant le climat, en conservant les sols et en protégeant les sources d’eau.

L’espèce de papillon Kricogonia à Thomassin | © René Durocher

«La disparition des papillons de la Rivière Froide est un message fort lancé par la nature, disant que quelque chose ne marche pas. Malgré cela, on n’y peut rien, on est impuissant. Même auprès des autorités concernées, rien n’est fait», déclare Rameau Luquereste, le résident de la Rivière Froide.

Les papillons n’ont pas disparu totalement du pays. Parfois, ils migrent vers d’autres endroits très reculés pour survivre.

«Il y a quelques jours de cela, un ami m’a contacté pour m’informer du passage de près d’un millier de papillons survolant les hauteurs de Kenskoff, rapporte René Durocher. Ce qui veut dire qu’on peut remédier à ce problème si l’on adopte les mesures de restauration nécessaire en faveur de l’espèce », continue l’ingénieur.

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La nomination des aires protégées se retrouve dans la liste des mesures privilégiées. Une aire protégée, selon le photographe animalier, est une zone géographique spécifique dédiée à la conservation, la protection de la faune, de la flore, et des processus écologiques qui s’y produisent.

Ces zones sont créées dans le but de préserver la biodiversité, de maintenir les écosystèmes et d’assurer la durabilité des ressources naturelles pour les générations futures.

Dans le sixième rapport national sur la biodiversité d’Haïti élaboré par le Ministère de l’Environnement (MDE) en avril 2019, il est fait mention de plusieurs initiatives ayant permis d’augmenter le nombre des aires protégées dans le pays. Selon l’Agence Nationale des Aires protégées (ANAP), les aires protégées terrestres avant 2015 étaient au nombre de onze. Aujourd’hui, Haïti compte quatorze aires protégées terrestres délimitées et déclarées.

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Toutefois, ces aires protégées ne le sont que de nom. Pour l’ingénieur forestier William Cinéa, «la dégradation de l’environnement en Haïti est passée par un stade de non-retour : il nous faut vraiment une éducation environnementale effectuée à tous les niveaux, dans toutes les institutions, que ce soit à l’école, à l’église et même au sein de la communauté locale».

Par Lucnise Duquereste


Visionnez notre reportage spécial réalisé en mars 2021 avec le photographe animalier René Durocher en plein exercice de son métier en Haïti :


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Journaliste à AyiboPost depuis mars 2023, Duquereste est étudiante finissante en communication sociale à la Faculté des Sciences Humaines (FASCH).

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