Depuis 2019, les agriculteurs ont du mal à cultiver leurs terres en raison de la violence des bandes armées qui sévissent dans des zones cruciales
La production de légumes à Kenscoff, l’une des principales zones maraîchères d’Haïti, est menacée par les blocages routiers imposés par des bandes armées et le manque d’intrants agricoles.
Située à 24 km de la ville de Port-au-Prince et élevée à 1 500 mètres d’altitude, cette commune bénéficie d’un climat montagnard frais et agréable, favorable à ces cultures. Cependant, la région riche en potentialités est aujourd’hui confrontée à un problème d’insécurité. Les bandes armées qui sévissent dans les environs, notamment à Fort-Jacques, Fermathe et Grand-Fond, ont un impact direct sur la production maraîchère, et plus particulièrement sur la production de légumes. Cette situation est préoccupante et affecte profondément les paysans de la région, qui subissent les conséquences de cette insécurité flagrante au quotidien.
«En janvier 2023, j’ai dû quitter la localité de François suite à l’envahissement de la zone par la bande armée « Kraze Baryè » de Vitel’homme [Innocent]», relate Danley Hilaire, propriétaire de l’entreprise agroalimentaire «Sachet Vert» et producteur de légumes sur 1 carreau de terre à Greffin, une localité de Kenscoff.
Cette situation est préoccupante et affecte profondément les paysans de la région, qui subissent les conséquences de cette insécurité flagrante au quotidien.
«Depuis 2019, les agriculteurs ont du mal à cultiver leurs terres en raison de l’insécurité», explique Johnny Cheristil, propriétaire de la ferme «Agrinobel» et éleveur de lapins à Kenscoff.
La situation est également très tendue sur la route menant à Kenscoff, où le trafic se fait au ralenti. La fluidité des échanges de produits de la zone avec d’autres communes est grandement perturbée.
Cela prive les paysans de la possibilité d’acheminer leurs produits vers les grands centres commerciaux de l’aire métropolitaine ainsi que les marchés habituels tels que Croix des Bossales et Pétion-Ville.
La fluidité des échanges de produits de la zone avec d’autres communes est grandement perturbée.
Dans d’autres régions du pays, les agriculteurs sont également confrontés à des défis similaires, ce qui entrave la production de cette filière agricole. Presque toute la région du sud se trouve dans l’impossibilité de franchir la route de Martissant en raison de l’activité des groupes armés.
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D’autres endroits tels que la plaine du Cul-de-Sac, la vallée de l’Artibonite, la plaine de l’Arbre, la plaine des Cayes, le plateau Carice-Mont Organisé, hébergent également une importante production de cultures maraîchères.
Toutefois, «la sécheresse et l’insécurité sont deux nouveaux facteurs du problème», relate l’agronome Talot Bertrand. À cause de l’insécurité, il y a un manque criant dans l’approvisionnement en intrants au niveau de ces zones. De plus, il existe un problème d’absence de semence à cause de la fermeture des boutiques d’intrants agricoles à Kenscoff.
Par conséquent, les paysans sont confrontés à des difficultés pour renouveler leur campagne agricole.
Daphné, agricultrice a Léogâne, cultivant environ deux carreaux de terre, relate qu’à cause de la situation de sécheresse, «les plantes rabougrissent ou s’assèchent tout simplement, depuis janvier 2023». Ce qui affecte le rendement de la récolte, jusqu’à causer sa perte, dit-elle.
Les paysans sont confrontés à des difficultés pour renouveler leur campagne agricole.
Le refrain de la perte se chante presque partout. «Dans la troisième semaine du mois de janvier, j’ai semé deux mesures de poivrons à 7 500 gourdes. Cependant, au moment de transplanter les plantules, j’ai dû m’enfuir pour raison sécuritaire », raconte Danley, cité précédemment. Il déclare n’avoir pas pu récolter sa production.
Bien avant la situation actuelle, les plantations maraîchères étaient attaquées par des ravageurs, ce qui a ralenti le rendement de ces produits, souligne le responsable de l’association Promotion pour le Développement (PROMODEV) Talot Bertrand.
Pourtant, ce secteur pourrait contribuer grandement à résoudre le problème de l’insécurité alimentaire en cours dans le pays. C’est ce que soutient Jean Luc Saint Pierre dans son travail de recherche intitulé : «Contribution au maraîchage périurbain par l’analyse de la production maraîchère dans la commune de Kenscoff (Haïti) : Cas de la section communale de Grand Fond» (2022).
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En 2020, Haïti a cultivé environ 26 000 hectares de légumes, ce qui a donné lieu à une production estimée à 120 748 tonnes, d’après les dernières statistiques de la FAO sur la production de légumes dans le pays.
Ces mêmes données relatent que la production a chuté de 125 000 tonnes en 2013 et 120 000 tonnes environ en 2020 pour la culture des produits tels que : chou, laitue, tomate, poireau, piment, poivron, épinard, pomme de terre, carotte, etc.
Le refrain de la perte se chante presque partout.
Cette baisse de régime traduit l’état des rendements de la production. Si l’insécurité reste un handicap majeur, le problème d’intrants, d’infrastructures agricoles, de la non-disponibilité de prêt agricole, sont également considérables. Ce qui affecte directement la condition de vie des agriculteurs à Kenscoff. «Ces problèmes m’affectent sur le plan économique et ont une répercussion sur la condition de vie de ma famille», raconte Danley.
La plupart des planteurs se rendent en République Dominicaine ou aux USA dans le cadre du programme «Humanitarian Parole» lancé en janvier 2023 par les USA. D’autres deviennent conducteurs de taxi moto.
«À cause de l’insécurité, j’étais obligée de faire le déplacement vers la République Dominicaine en avril 2023», dit Sofia Archille, qui cultivait sa plantation à Fort Jacques.
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Certains paysans s’organisent en «mutuel de solidarité» afin de résister, relate Johnny Cheristil, propriétaire de la ferme «Agrinobel».
Tout n’est donc pas perdu. Pour Talot Bertrand «l’État doit garantir la sécurité d’abord, puis accompagner les paysans». En ce qui a trait à la culture maraîchère, Haïti dispose des ressources nécessaires pour cette production, poursuit-il. Donc, l’État doit définir une politique en ce sens. Il faut, selon l’agronome Bertrand, rétablir les boutiques d’intrants accessibles aux paysans, mettre en place des crédits agricoles, créer des systèmes d’irrigation afin de mieux gérer l’eau.
Photo de couverture : Une femme tenant des carottes | © Freepik
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