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Le statut des joueurs, le grand problème du football haïtien

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Depuis quelques années, le football haïtien est traversé par plusieurs crises qui paralysent son fonctionnement. Lorsque ce ne sont pas les problèmes conjoncturels qui empêchent la poursuite régulière des activités footballistiques dans le pays, ce sont de questions fondamentales longtemps restées sans réponse qui expliquent ces nombreux dysfonctionnements. À ce titre la définition du statut des joueurs de football en Haïti et ses nombreux corollaires continuent de hanter les Instances fédérales, les Clubs ainsi que les joueurs, les principaux acteurs du spectacle du ballon rond. Pendant que le football est en « processus de normalisation » n’est-ce pas le moment de régler définitivement la question épineuse du statut des joueurs.

La question du statut des joueurs est finalement l’arbre qui cache la forêt dans le vaste océan de désorganisation du Sport haïtien, en général et du football en particulier. Il est donc, impossible de la traiter, de manière isolée, sans tenir compte de la problématique de l’organisation du sport en Haïti. Pour mieux analyser la situation, il faudra aborder certaines questions qui lui sont liées portant notamment sur la professionnalisation du football, sur le traitement institutionnel du statut des joueurs, sur le contentieux des transferts ainsi que sur d’autres sujets essentiels à une prise en compte effective de la complexité du problème.

Professionnel ou Amateur ?

Elle est peut-être là, la vraie question à se poser sur le football haïtien.

En France, la Convention collective nationale du Sport (CCNS) du 7 juillet 2005, étendue par arrêté du 21 novembre 2005 distingue les sportifs professionnels, personnes employées pour exercer, à titre exclusif ou principal, leur activité au sein d’une entreprise (généralement un Club) ayant pour objet la participation à des compétitions et les sportifs amateurs qui ne vivent pas forcément de leurs activités.

C’est un peu ce que résume la pensée très explicite de Blondin : « le professionnel est un homme qui fait du sport pour gagner de l’argent ; l’amateur est un homme à qui on donne de l’argent pour faire du sport ».

 

Selon l’article 2.1 du Règlement du Statut et du Transfert des Joueurs (RSTJ) de la FIFA, les joueurs participant au football sont soit amateurs, soit professionnels. Ainsi, « est considéré comme joueur professionnel tout joueur ayant un contrat écrit avec un club percevant, pour son activité footballistique, une rétribution supérieure au montant des frais effectifs qu’il encourt. Tous les autres joueurs sont considérés comme amateurs ».

Dans l’optique de la FIFA, le statut professionnel de joueur de football exige deux conditions essentielles : l’existence d’un contrat écrit et la contrepartie d’un salaire autre que les frais perçus. Cette exigence posée par la FIFA et la précision apportée quant à la nature de la rétribution ne sont pas anodines dans l’appréciation du statut réel des joueurs. Elle permet à la fois de combattre « l’amateurisme marron » et le « professionnalisme déguisé », c’est-à-dire s’opposer, d’une part, à toutes velléités du joueur ou de son employeur de se faire passer pour un amateur tout en se faisant rémunérer comme un professionnel et d’autre part, de faire prétendre le joueur à un statut de professionnel tout en refusant de le traiter comme tel.

En Haïti, le statut juridique du sportif professionnel n’est pas précisé par la loi. Cependant, les règlements généraux de la Fédération haïtienne de Football établissent clairement la distinction entre le joueur professionnel et celui dit amateur.

Au sens desdits règlements, largement frappés de désuétude, « est joueur professionnel tout joueur ayant obtenu cette qualité par l’enregistrement d’un contrat le liant à son Club (…) ; alors que « est amateur tout joueur qui, s’adonnant à la pratique du football sans but lucratif (…) les joueurs de catégories U18, U17, U13 et suivant sont généralement des joueurs amateurs sauf exception faite aux catégories des U18 s’ils ont l’autorisation de la puissance parentale ».

Au-delà des dispositions des Règlements généraux qu’il faudra sans doute mettre à jour, l’appellation du Championnat national de Première Division (D1) masculine laisse entendre qu’il s’agirait d’un championnat professionnel.  D’ailleurs, il est organisé par la Commission d’Organisation du Championnat de Football professionnel (COCHAFOP). Si l’on s’en tient à la logique de la Fédération haïtienne de Football, ce championnat serait organisé pour des Clubs Professionnels et joué par des joueurs professionnels.

À ce titre, l’inscription d’un Club au Championnat national de Première Division masculine (D1) est assujettie à certaines formalités, dont la communication à la FHF d’une liste de 25 joueurs au moins et de 30 joueurs au plus régulièrement licenciés, enregistrés et liés au Club par un contrat professionnel d’une durée de 1 an à 5 ans ou tout au plus par un contrat de prêt.

Il y a donc une volonté exprimée dans les dispositions règlementaires de la Fédération haïtienne de Football de clarifier le statut des Joueurs, tout en optant pour une professionnalisation, au plus haut niveau. Mais, à l’évidence, que ce soit dans l’organisation du championnat ou dans la solidité des relations contractuelles qui existent entre les Clubs et les joueurs, on ne peut pas affirmer sans risque de se faire démentir que les exigences du niveau professionnel sont respectées dans le football en Haïti. C’est ce qui explique, à bien des égards, les différents conflits qui surviennent à l’occasion des opérations de transfert comme on a pu le voir dans le cas de Damaël Dorvil ou plus récemment avec Clifford Thomas et Olnick Alesy.

Dans ces trois cas, les Clubs ont contesté les transferts de leurs joueurs qu’ils disent être sous contrats ; alors que les joueurs justifient leur engagement avec leurs nouveaux clubs pour manquement aux obligations contractuelles de la part de leur employeur précédent notamment en ce qui concerne leur rémunération. Les contrats ne seraient dans le football haïtien, qu’une formalité, qu’un moyen de se conformer aux exigences de la FHF pour s’inscrire aux différents championnats et rien de plus. En tout cas, cela en a tout l’air.

Professionnel ou amateur ? La question reste posée.

Cette difficulté sur le statut réel des joueurs de football haïtien se traduit non seulement dans les relations contractuelles entre ces derniers et leurs Clubs employeurs, dans les opérations de transfert, mais surtout dans le règlement des litiges relatifs à ces transferts.

Le contentieux du statut et du transfert des joueurs, l’impasse quelle issue ?

Conformément à l’article à l’article 59 des Statuts de la FHF, les commissions de discipline, d’éthique et des recours constituent les organes juridictionnels de la FHF. Les membres de ces trois entités doivent être sélectionnés en fonction de leurs connaissances, leur capacité et leur expérience, qui doivent permettre le bon accomplissement de leurs missions, doivent être des juristes qualifiés et doivent remplir les critères d’indépendance tels que définis dans le règlement de la gouvernance de la FIFA.

À travers l’article 49 de ses statuts, traitant de la commission du statut des joueurs, la FHF semble vouloir tacitement se doter d’organes décisionnels ainsi qu’il est prévu à l’article 46 de la FIFA. En effet, la commission du statut des joueurs et la chambre de résolutions de litiges constituent, au sens de la disposition précitée, les organes décisionnels de la FIFA. Ils ont pour mission de traiter tous les litiges contractuels et/ou règlementaires qui opposent des associations membres, des clubs, des officiels, des joueurs, des intermédiaires et des agents organisateurs de matchs licenciés. Plus spécifiquement la commission du statut du joueur, comme prévu par la FIFA, établit et veille à faire respecter le règlement du statut et du transfert des joueurs. Elle vise aussi à déterminer le statut des joueurs lors des diverses compétitions de la FIFA. La chambre de résolution de litiges est composée à parts égales de représentants des joueurs et des clubs, ainsi que d’un (e) président (e) indépendant (e). Elle fournit quant à elle des services d’arbitrages et de résolution de litiges.

En Haïti, le statut juridique du sportif professionnel n’est pas précisé par la loi. Cependant, les règlements généraux de la Fédération haïtienne de Football établissent clairement la distinction entre le joueur professionnel et celui dit amateur.
Dans l’organisation du football haïtien, le contentieux du statut et du transfert des joueurs relèvent de dispositions ambigües (a) et peuvent être considérées à certains égards comme étant tout bonnement inexistants (b).

a) L’ambiguïté des dispositions statutaires de la FHF en la matière

La Fédération haïtienne de football s’est dotée, suivant les standards de la FIFA, d’une commission de statut des joueurs. Cette commission permanente (Article 40.H, Statuts de la FHF [éd. 2019) a pour but d’établir, de veiller à faire respecter le règlement des transferts conformément au règlement du statut et de transfert de la FIFA et de fixer le statut des joueurs lors des diverses compétitions de la FHF. Le comité exécutif se réservant le droit d’établir un règlement spécifique régissant les compétences juridictionnelles de la commission du statut du joueur. Au deuxième alinéa de l’article 49.1 de ses statuts, la FHF dispose que « les litiges relatifs au statut des joueurs, impliquant l’association, ses membres, joueurs, officiels et agents de joueurs et de matches doivent être réglés par un tribunal arbitral conformément aux présents statuts ». Les lettres de cet article font intervenir les acteurs majeurs du contentieux des transferts. Elles s’inscrivent dans la continuité des dispositions relatives au transfert des joueurs comme prévu au premier alinéa et conformément aux normes de la FIFA en la matière. Cependant, elles font référence à un tribunal arbitral dont on ignore la spécificité. Il n’est donc, pas possible, d’affirmer qu’il s’agit là d’une chambre arbitrale chargée d’intervenir sur ce type de différends, à l’instar de la chambre de résolution des litiges de la FIFA ; ou encore, s’il s’agit plus généralement d’un tribunal arbitral spécifique au Sport ou plus particulièrement à l’organisation du football en Haïti ; ou tout simplement, si la FHF fait référence à un tribunal arbitral compétent pour tous les litiges liés au football. En tout état de cause, cette instance arbitrale n’existe pas. Les statuts ont donc créé une ambiguïté sur l’organe de résolution des litiges, plus particulièrement ceux des transferts.

La FHF profite de cette ambiguïté pour renforcer son omniprésence dans le contentieux footballistique, mais elle manque l’occasion de faire intervenir d’autres acteurs notamment les représentants des joueurs et des clubs en vue de la mise en œuvre effective de la chambre arbitrale chargée de résoudre les litiges. Donc, sur fond d’ambigüité, les statuts laissent transparaitre voire supposer une instance pour le moins ineffective ou tout carrément inexistante. D’autant que, comme nous le verrons plus loin, les compétences qui devraient être celles de la chambre arbitrale de résolutions de litiges ont été dévolues au secrétariat général de la FHF par les règlements généraux de la FHF.

b) La quasi-inexistence du contentieux du transfert des joueurs

Le contentieux du transfert des joueurs n’est pas organisé dans le milieu footballistique haïtien, en ce sens, qu’il n’y a pas d’organes décisionnels chargés, en premier ressort, de trancher les litiges relatifs au statut et au transfert des joueurs. Même si, comme nous l’avions évoqué, les statuts de la FHF, à travers des clauses assez ambiguës laissent supposer l’existence d’une telle structure, ce, en violation des règlements de la FIFA sur le statut et le transfert des joueurs imposent aux associations de respecter les règles applicables en l’espèce.

Les contrats ne seraient dans le football haïtien, qu’une formalité, qu’un moyen de se conformer aux exigences de la FHF pour s’inscrire aux différents championnats et rien de plus. En tout cas, cela en a tout l’air.

En matière de contentieux du transfert de joueurs, c’est le Secrétaire général de la FHF qui est investi du pouvoir décisionnaire. À ce titre, « il est responsable de l’enregistrement des joueurs conformément aux règlements sur le statut et le transfert du joueur de la FIFA, du Code de transfert de la FHF » (Art. 15, Règlements généraux de la FHF). Il est chargé de « veiller au respect des procédures de la Fédération de la FHF en la matière» en se faisant aider dans la gestion de ces dossiers par le service juridique de la FHF. Ses décisions dans ce cas sont susceptibles d’appel par devant la commission de recours de la Fédération haïtienne de Football. Dans le cadre de ses attributions, toujours avec l’aide du service juridique, « il valide et veille au respect des contrats et accords ou conventions entre les membres de la Fédération haïtienne de Football, entre les joueurs et les Clubs, entre les entraineurs et les Clubs, les préparateurs physiques, et les Clubs, entre les Clubs et les Ligues, entre les Clubs et les Commissions d’organisation des Compétitions Nationales ». Là encore, son autorité en cette matière est susceptible d’appel par devant la commission de recours de la FHF.

Investir le Secrétaire général, qui appartient à un organe administratif (Art. 20.1.C, Statuts de la FHF), qui de fait, s’occupe des tâches administratives de la FHF, d’une mission décisionnaire ou juridictionnelle présente des enjeux majeurs. D’abord, la séparation des fonctions administratives judiciaires est un principe général de droit qui participe à l’indépendance et à l’impartialité du Juge ou du tribunal.

Donc, le Secrétaire général ne peut pas à la fois être chargé d’accomplir des formalités administratives et juridictionnelles relatives au transfert de joueurs.

 

De plus, les litiges relatifs au statut et au transfert des joueurs sont généralement de nature contractuelle. Ils peuvent valoir énormément d’un point symbolique ou financier. Pour sécuriser les procédures y afférentes, il parait risqué de confier la connaissance de ces conflits à la seule personne du Secrétaire général.

Il y a donc, dans l’organisation actuelle du football haïtien des obstacles majeurs au processus de professionnalisation. L’épineuse question du statut et du transfert des joueurs en fait partie. Le Don Bosco de Pétion-Ville, hier ; le Cavaly Fc et l’Arcahaie Fc, aujourd’hui, en attendant d’autres, demain… Les Clubs, les Joueurs continueront sans doute de se plaindre, de menacer, d’attaquer, d’accuser, mais le problème risque de demeurer entier sans une réforme profonde des dispositions règlementaires et statutaires ; sans la mise en place d’instances capables non seulement de garantir le statut des joueurs, professionnels ou pas, mais, aussi de régler valablement les litiges qui surviendront à l’occasion du déroulement des compétitions, particulièrement dans le cadre des opérations de transfert.

Le processus de normalisation initié depuis bientôt un an n’avance malheureusement pas pendant que les défis continuent de s’accumuler.

Spécialiste en droit du sport, Nathan Laguerre est avocat au Barreau de P-au-P. Il adore le football !

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