L’immunité est une protection constitutionnelle spéciale dont jouissent les sénateurs et les députés, contre tout acte qui viserait à les gêner dans leurs fonctions. Le débat est lancé depuis quelques jours sur l’opportunité de lever cette immunité, dans le cas du sénateur Gracia Delva, mis en cause pour ses relations avec le chef de gang Arnel Joseph.
Selon de récentes révélations, il existerait entre le chef de gang Arnel Joseph et le sénateur de la République Gracia Delva des relations étroites. Le nom de l’élu de l’Artibonite est cité dans une affaire de kidnapping, perpétré à la solde d’Arnel Joseph. Ces spéculations relancent le débat sensible de l’immunité parlementaire. Sept organisations de défense des droits humains et de la société civile demandent au Sénat de procéder à la levée de l’immunité du parlementaire. Si la Constitution de 1987 explique dans quels circonstances la demande de levée d’immunité peut être effectuée, ce sujet a toujours créé de vives controverses.
Selon Patrice Dumont, sénateur de la République, si la justice estime qu’il y a lieu d’entendre Gracia Delva, conformément au rapport de la DCPJ, le Sénat devra statuer sur l’opportunité de lever l’immunité du sénateur. Quant à l’aboutissement d’une telle séance, Patrice Dumont est clair: « Si le Pouvoir Judiciaire sollicite la mise à sa disposition du sénateur sur une base sérieuse, la réaction de chacun de nous est d’être solidaire avec la société, donc de faire en sorte que le collègue défende son honneur devant les tribunaux de la République. »
Si la justice estime qu’il y a lieu d’entendre Gracia Delva, conformément au rapport de la DCPJ, le Sénat devra statuer sur l’opportunité de lever l’immunité du sénateur. – Sénateur Patrice Dumont
Il ajoute que selon les articles 55, 55, 56 et 57 des Règlements intérieurs du Sénat, un sénateur peut présenter une motion pour mettre en cause la conduite répréhensible d’un collègue hors des séances plénières ou travaux en commission.
Une protection inscrite dans la Constitution
L’immunité est consacrée dans la Constitution par les articles 114 et suivants. L’article 114 se lit ainsi : « Les membres du Corps législatifs sont inviolables du jour de leur prestation de serment jusqu’à l’expiration de leur mandat, sous réserves des dispositions de l’article 115, ci-après. » Les alinéas qui suivent détaillent cet article.
Ainsi on apprend que le parlementaire est irresponsable, au sens que les opinions et les votes qu’il exprime pendant l’exercice de ses fonctions ne peuvent en aucun cas être utilisés contre lui. Il est dit aussi que pendant ce mandat, « aucune contrainte par corps ne peut être exécutée contre un membre du Corps législatif ». En d’autres termes, il ne peut être emprisonné, particulièrement dans le cas où il aurait des dettes.
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En même temps qu’elle consacre l’irresponsabilité et l’inviolabilité d’un parlementaire, la Constitution prévoit comment cette immunité peut être levée. Dans l’article 115, les constituants précisent qu’il est possible d’arrêter un parlementaire, pour une infraction quelconque, avec l’aval de l’assemblée à laquelle il appartient : « Nul membre du Corps législatif ne peut, durant son mandat, être arrêté en matière criminelle, correctionnelle ou de police pour délit de droit commun, si ce n’est avec l’autorisation de la Chambre à laquelle il appartient, sauf le cas de flagrant délit pour faits emportant une peine afflictive et infamante. Il en est alors référé à la Chambre des députés ou au Sénat sans délai si le Corps législatif est en session, dans le cas contraire, à l’ouverture de la prochaine session ordinaire ou extraordinaire. »
Les cas sont rares
Au cours des dernières années, le Parlement haïtien a plusieurs fois eu l’occasion de lever l’immunité de l’un des siens. Dans la plupart des cas, les honorables ont refusé de mettre l’un de leurs collègues à la disposition de la justice. L’un des cas les plus récents est celui de l’assassinat du policier Walky Calixte. Deux parlementaires, Rodriguez Sejour et M’Zounaya Jean-Baptiste Bellange ont été mis en cause comme présumés auteurs intellectuels du crime. La justice avait formellement demandé à la Chambre basse de lever leur immunité. En dépit du fait que les deux députés auraient eu de constants appels téléphoniques avec les suspects du meurtre, la chambre des députés avait, à l’unanimité, refusé la levée de l’immunité.
Dans la plupart des cas, les honorables ont refusé de mettre l’un de leurs collègues à la disposition de la justice.
D’autres cas similaires ont été enregistrés. Ainsi, mis en cause dans l’assassinat du journaliste Jean Léopold Dominique, l’ancien sénateur Dany Toussaint, alors en fonction, n’a pas eu à se présenter devant le juge Claudy Gassant. Le Sénat de la République avait refusé la demande la justice.
Il faut remonter à 2002 pour trouver une tentative réussie, pour lever l’immunité d’un parlementaire. Le député lavalas Jocelyn Saint-Louis, suspect dans le meurtre du maire de Saint-Raphael de l’époque, Sernant Sévère, a vu tomber les protections que son statut de parlementaire lui offrait.
Des cas d’arrestations
Le mercredi 26 octobre 2011, le député Arnel Belizaire a été arrêté alors qu’il rentrait au pays. Le nom du député figurait sur une liste de repris de justice, évadés du pénitencier national. Cette arrestation a constitué l’une des premières polémiques de la présidence de Joseph Michel Martelly. Après une nuit passée au pénitencier national, Arnel Belizaire, député en fonction, sera finalement remis en liberté.
Guy Philippe complète la liste d’arrestations polémiques de parlementaires. L’élu de Pestel, soupçonné de trafic de drogue et de blanchiment d’argent, a obtenu son arrestation le jeudi 5 janvier 2017 par la Brigade de lutte contre le trafic de stupéfiants (BLTS), pour être livré aux autorités américaines. Dans le cas de Guy Philippe, fraîchement élu, le Parlement n’a pas eu à statuer sur son immunité, vu que son pouvoir n’était pas encore validé par ses pairs. Selon l’article 114 de la Constitution, les parlementaires sont inviolables à partir du jour où ils ont prêté serment, jusqu’à la fin de leur mandat.
Dans le cas du sénateur Gracia Delva, la question de l’immunité se pose, même si elle n’est pas encore officiellement abordée. Mis en cause dans un dossier de kidnapping, en relation avec Arnel Joseph, le sénateur a déjà renoncé à sa charge de vice-questeur du bureau du Sénat.
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