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Le gros danger des mauvais médicaments importés en Haïti

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Les responsables perdent le contrôle de la situation qui peut potentiellement causer la mort en masse de citoyens

Haïti n’a aucun contrôle sur les médicaments qui rentrent dans le pays.

Techniquement, la Direction de pharmacie, de médicaments et de médecine traditionnelle (DPM/MT) au ministère de la Santé publique et de la population autorise la rentrée et la vente des médicaments en délivrant une Autorisation de mise sur le marché (AMM) aux fabricants nationaux et internationaux.

En réalité, cette instance qui s’occupe de la politique pharmaceutique nationale manque de ressources humaines et de moyens logistiques pour procéder à l’analyse des dossiers et mener les tests que doivent subir ces médicaments, révèle le pharmacien Jean Maurice Dérisma, un ancien cadre de l’entité.

La DPM/MT ne peut pas non plus contrôler les médicaments sur le marché après autorisation.

« En général, les médicaments illégaux sont des contrefaits ayant l’apparence de médicaments authentiques. Les [malfrats] les font rentrer dans le pays pour pouvoir concurrencer les pharmacies qui vendent la version originale et légale du même médicament. Le plus souvent, ces produits viennent de la Chine ou de la République dominicaine », raconte Jean Maurice Dérisma.

Il y a seulement dans la direction de pharmacie et de médicament deux inspecteurs pour tout le pays.

Le véhicule affecté à ces inspecteurs n’était pas climatisé. « Les inspecteurs ne contrôlent que les pharmacies autorisées par la DPM/MT. À ce stade, les entités illégales fonctionnent mieux et beaucoup plus à l’aise que les entreprises légalement enregistrées et autorisées dans ce secteur d’activité. »

Sans contrôle

La frontière reste une passoire.

« Il n’existe aucun contrôle dans les différentes portes d’entrée du pays, que ce soit à la douane, à la frontière et même dans les aéroports », rapporte un ancien cadre du ministère, requérant l’anonymat, à cause de la sensibilité du sujet.

Une partie des informations susmentionnées ont été corroborées auprès d’un haut cadre du MSPP.

La responsable de la direction de pharmacie, Gisette Lethélier, n’a pas accepté les demandes d’interview, cinq jours avant la publication de cet article. « J’attends l’autorisation du DG du MSPP pour répondre aux questions », avait-elle déclaré.

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Ralph Edmond, responsable des laboratoires Farmatrix, confirme les propos de l’ancien employé de la DMP/MT sur le contrôle régulier des laboratoires pharmaceutiques reconnus en Haïti.

« Chaque trois ans, des employés du MSPP débarquent pour un contrôle de qualité. Ils utilisent la grille d’évaluation de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) », fait savoir Ralph Edmond.

« C’est autour des principes de bonnes pratiques de fabrication de l’OMS que s’accentue l’évaluation. Ainsi, le MSPP exerce un contrôle sur chaque produit que nous souhaitons mettre sur le marché. Cela étant, le dossier complet du produit est envoyé au ministère pour que le laboratoire ait l’autorisation de mise sur le marché. »

Des règles établies

Les laboratoires étrangers qui souhaitent vendre un médicament en Haïti doivent envoyer le dossier complet et l’échantillon de leur produit à la DPM/MT.

« La direction de pharmacie procède de son côté à l’analyse du dossier et porte une vérification internet sur certaines choses. Mais, le médicament n’est pas soumis à aucun test laboratoire », dit le pharmacien Jean Maurice Dérisma.

Les laboratoires à l’extérieur du pays obtiennent l’autorisation si la DPM/MT trouve que les spécifications du médicament, ses molécules respectent les procédures de fabrication.

Normalement, la rentrée des médicaments en Haïti devrait être faite par les agences pharmaceutiques.

Le pharmacien Wellington Derameau, chercheur en pharmacovigilance, explique que : « les agences pharmaceutiques reconnues par la DPM/MT, sont les seuls en Haïti ayant l’autorisation d’importer des médicaments dans le pays. Ces agences entretiennent des relations étroites avec des laboratoires étrangers accrédités qui les approvisionnent ».

Catastrophes à répétition

Les dysfonctionnements dans le système de contrôle a priori conduisent l’État à agir après les dégâts.

En mars 2019, le Ministère de la Santé publique et de la population (MSPP) avait demandé à la population de ne plus acheter et consommer le comprimé Clarithromicyn dosé à 500 mg.

Le médicament en question qui circulait dans le pays était illégal et portait un faux logo. Pour éviter les médicaments contrefaits, le MSPP avait invité la population à se rendre dans les pharmacies autorisées par l’État.

Le secteur pharmaceutique en Haïti évolue dans un désordre total. L’analyse est de Pierre Hugues Saint-Jean, pharmacien et président de l’association des pharmaciens d’Haïti (APH).

Selon Saint-Jean, « ce sont les dépôts pharmaceutiques qui parfois posent problème. Leurs représentants traversent la frontière haïtiano-dominicaine pour s’approvisionner en médicament sans la reconnaissance de la DPM/MT. C’est le point de départ du désordre dans le système ».

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Dans la chaîne des médicaments en Haïti, il existe les laboratoires de productions nationaux et/ou internationaux, les agences pharmaceutiques, les dépôts, et les pharmacies.

« C’est à travers les dépôts que la distribution des produits pharmaceutiques des agences se fait en Haïti. L’ouverture d’un dépôt de médicament en Haïti requiert au minimum cinq agences pharmaceutiques », dit Pierre Hugues Saint-Jean.

Cela dit, les dépôts devraient offrir les médicaments produits pas les agences légalement représentées en Haïti. « Les choses sont tout à fait différentes dans la réalité », poursuit Saint-Jean.

Au fait, la direction de pharmacie n’a pas la capacité de vérification nécessaire sur tous les produits que détiennent les dépôts qui alimentent en médicament les pharmacies du pays, révèle le pharmacien Jean Maurice Dérisma.

Autorisation requise

Les normes et procédures de la DPM/MT conçues en juillet 2008 pour réguler le marché des médicaments en Haïti précisent que : « Tout produit pharmaceutique ou chimique importé, n’ayant pas reçu une autorisation de dédouanement régulière de la direction de Pharmacie, est un produit considéré comme dangereux et par conséquent, présente un risque pour la santé de la population ».

Malgré ces mesures, les médicaments falsifiés rentrent illégalement dans la chaîne d’approvisionnement des pharmacies du pays. Il est difficile de savoir de quel laboratoire ils proviennent et comment ils ont été fabriqués.

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 « Ces faux médicaments menacent gravement la santé. Ils ne contiennent pas les éléments actifs pour produire l’effet thérapeutique attendu ou le contiennent à une dose incorrecte », raconte le pharmacien Jean Maurice Dérisma. Les substances utilisées dans la fabrication de ces médicaments sont parfois très dangereuses et même mortelles.

En septembre 2019, trois femmes enceintes sont mortes après des interventions médicales à la maternité Esaïe Jeanty (Chancerelles). Les victimes semblent avoir consommé un médicament suspect.

Ce faux médicament était l’Alfa Methyl Dopa (AMD), un antihypertenseur utilisé chez les femmes enceintes souffrant de prééclampsie. Le directeur médical de l’hôpital, docteur Chantal Sauveur Junior Datus, relate qu’à l’époque la pharmacie de l’hôpital n’avait pas le vrai médicament en raison d’une rupture de stock.

Aucun budget

Un total de 128 pharmacies, trois laboratoires et quelque 300 pharmaciens sont autorisés en Haïti. Le nombre d’agences pharmaceutiques s’élève à 40 à côté des 39 dépôts de médicament autorisés dans ce secteur.

Un simple regard d’observateur permet de constater près d’une centaine de pharmacies à la rue Monseigneur Guilloux, en face de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti, communément appelé l’Hôpital général. Sont-ils tous autorisés ?

À part le secteur informel, le MSPP a-t-il un œil sur les médicaments que fournit le secteur humanitaire en Haïti ? Qu’en est-il du réseau bien organisé qui fournit des médicaments aux gens qui se font appeler agents de marketing dans la plupart des transports en commun du pays ?

« Du point de vue réglementaire, rien n’est respecté en Haïti, souligne le pharmacien Jean Maurice Dérisma. La direction de pharmacie n’a pas les moyens ni un budget lui permettant d’appliquer ses politiques d’intervention ».

La direction de pharmacie et de médicaments en Haïti forme une seule entité avec la direction de la médecine traditionnelle. D’où leur sigle DPM/MT.

En mai 2020, le docteur Patrick Jacques, responsable de la direction de la médecine traditionnelle, avait déclaré à AyiboPost que cette direction n’avait pas de budget. Son fonctionnement est conditionné aux frais du MSPP, en fonction de la pertinence d’un projet présenté aux autorités mieux placées. Certaines de leur proposition sont parfois rejetées ou fermées dans les tiroirs du ministère.

Journaliste à AyiboPost. Communicateur social. Je suis un passionnné de l'histoire, plus particulièrement celle d'Haïti. Ma plume reste à votre disposition puisque je pratique le journalisme pour le rendre utile à la communauté.

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