Ce n’est pas encore l’heure des adieux pour le Centre Pétion-Bolivar d’Haïti
La nouvelle de la fermeture du Centre Pétion-Bolivar d’Haïti, au début du mois de novembre 2020, a choqué plus d’un.
Cela fait 34 ans déjà qu’Arnold Antonin a mis sur pied ce centre. Le numéro 12, impasse Bazelais, Delmas 60, est aussi un espace culturel et politique avec accès à internet et électricité. Il offre une belle bibliothèque, qui met le focus sur l’Amérique latine en général, et sur la relation entre Haïti et la République dominicaine. Le centre était ouvert à tous.
Ses salles polyvalentes ont hébergé un cours sur le cinéma, l’équipe du Festival écologique « CinéColo », « SinemaNou », l’Association Haïtienne des Cinéastes, l’organisation Culture et création et un Ciné-Club qui fonctionnait le jeudi. La fermeture de l’espace aurait mis une partie de ce petit monde dans les rues.
Mais, au bonheur de tous, le centre a reçu beaucoup d’offres de soutien, après l’annonce de sa fermeture. Elles viennent d’universités, de religieux, du secteur privé, ou encore du Centre Aimé Césaire de la Martinique. De nombreuses autres associations d’Haïtiens à l’étranger ont également contacté les responsables.
Une institution qui s’appelle “La Route de l’Esclave“ nous a pratiquement offert d’absorber le Centre
« Je ne sais pas si je dois déjà vous le dire, mais une institution qui s’appelle “La Route de l’Esclave“ nous a pratiquement offert d’absorber le Centre, et de continuer avec le travail que nous faisons, annonce Arnold Antonin. Je laisse tout entre leurs mains et celles d’un Institut de formation et de recherches sur l’Amérique Latine et les Caraïbes en voie de création. Car même si je veux continuer à faire des films, je suis fatigué de tenir toutes ces responsabilités sur mes épaules. »
Le gardien de la mémoire disait vivre la fermeture du Centre comme un deuil, mais aujourd’hui, c’est plus une renaissance.
Beaucoup d’activités
Le Centre a été le théâtre de grands débats et de formations civiques et politiques. Arnold Antonin l’a transformé en un carrefour où les gens des milieux syndicaux, politiques, culturels, ou des droits humains se fréquentent, et se forment.
Des rencontres avec les organisations de Droits humains entre fin 1986 et début 1987 ont mené à la création du Réseau national des Droits de l’Homme (Renadwam). Le centre a continué son travail de formation sur divers sujets pour des militaires, sénateurs, députés, maires ou des CASEC. Il a contribué à donner naissance à la Confédération des CASEC démocratiques.
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Avec cette structure, Antonin s’est aussi engagé avec les organisations politiques et sociales de base en Haïti, par des cours sur la formation syndicale et la gestion de petites entreprises. Il donnera naissance à la Coordination syndicale haïtienne qui regroupait quatorze organisations syndicales. Sans oublier les travaux de rapprochement et de dialogue entre la République dominicaine et les Haïtiens.
C’est aussi le centre qui est à l’origine du Forum libre du jeudi (1987-2018), « une école politique, un lieu de rencontre et de débat sur tous les problèmes fondamentaux à l’état de droit et de développement en Haïti », décrit le documentariste.
À côté de tout cela, Antonin s’est lancé aussi au sein de la structure avec d’autres collègues dans la production de films. À cause du manque de moyens en Haïti, il abandonna l’idée de les faire sur pellicule, comme il le faisait à l’étranger. Environ 55 films ont été produits grâce au Centre Pétion-Bolivar d’Haïti durant ses 34 années.
Sans subvention de l’État haïtien
Tout ce travail a été réalisé, très souvent, grâce à l’aide de volontaires. Antonin leur est reconnaissant pour l’avoir aidé à maintenir sa « folie créatrice ». Il n’a reçu aucune aide ou subvention de la part de l’État haïtien pour l’aider à faire fonctionner le centre Pétion-Bolivar. Il y a quelques années, l’institution a même essuyé un vol de matériels équivalant à 40 000 dollars américains.
Depuis le mois de mars 2020, à cause de la pandémie du Covid-19, Arnold Antonin a envisagé la fermeture du centre. À cause de la situation économique, sociale et politique du pays qui s’est autant dégradée, l’envie de continuer à se battre s’est fanée.
« Nous n’avions vu aucune alternative à la fermeture, partage le cinéaste. En même temps, il y a un paradoxe. Les centres culturels sont obligés de fermer parce qu’ils ne peuvent plus tenir. En même temps, d’autres initiatives culturelles continuent de fonctionner ou de naître carrément. À côté d’Artisanat en fête, de Livres en folie, du Festival 4 chemins, notez la quantité de rencontres autour du livre et de la lecture, des festivals de cinéma en Haïti, et tout ce qu’arrive à faire la Fokal. »
Tout ce travail a été réalisé, très souvent, grâce à l’aide de volontaires.
Ces initiatives sont des choses incroyables, au regard des conditions difficiles dans lesquelles ces opérateurs culturels travaillent.
Antonin remarque aussi que les sociétés savantes comme la société d’Histoire et de Géographie sont en difficulté. Ou encore, le fonctionnement cahin-caha de l’Université d’État d’Haïti. Pour lui, c’est une crise générale des institutions culturelles et productrices de savoir du pays, liée à la crise générale et à l’effondrement des institutions publiques et privées.
Retour d’exil
L’idée de créer le Centre Pétion-Bolivar d’Haïti a germé dans la tête d’Arnold Antonin lorsqu’il était en exil à Caracas, entre 1976 et 1986. Le centre fonctionnait déjà au pays de Carlos Andres Perez et d’Hugo Chavez. Si bien qu’il avait même créé une chaire de Créole à l’Université Centrale du Venezuela.
Dans ce pays, Arnold Antonin rencontra Michaëlle Ascencio, une Haïtienne, professeure et universitaire qui lui fut d’une grande aide. Il a également reçu l’appui de plusieurs autres personnalités du Venezuela pour mener à bien ce projet. Lorsque le cinéaste est revenu au pays, en mars 1986, après la dictature des Duvalier, il a décidé de légaliser le Centre Pétion-Bolivar en Haïti. Rapprocher l’Amérique latine et la Caraïbe, dont les Haïtiens ne se sentaient nullement partie intégrante, est l’un des objectifs du centre.
En 2020, lorsque le documentariste regarde son parcours, il assure qu’il n’aurait changé sa décision pour rien au monde. Il ne regrette rien. « Quand je suis revenu en 1986, l’accueil que m’ont donné les gens était formidable, se remémore-t-il. Je me sentais Ulysse à Ithaque. Je n’avais aucune autre perspective que de créer le centre. »
Alexandre Pétion et Simon Bolivar
Alors qu’il était au Venezuela, Arnold Antonin dit avoir remarqué un vrai culte de Simon Bolivar. Et aussi on l’associait toujours à Alexandre Pétion. « Il y a des statues de Bolivar sur presque toutes les places publiques, même dans les petites villes », rapporte-t-il.
Ce lien vient sans doute de la visite du libérateur en Haïti en 1815 puis en 1816. Il y a reçu de l’aide matérielle, des armes, et des volontaires pour mener la lutte de libération de sa patrie. En les recevant, Simon Bolivar demanda : « Dois-je faire savoir à la postérité qu’Alexandre Pétion est le libérateur de ma patrie ? » Pétion a répondu qu’il voulait garder l’anonymat, en lui disant : « Non, promettez-moi d’abolir l’esclavage des Noirs là où vous commanderez ».
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Comme Jean Jacques Dessalines, Simon Bolivar fut mis à l’index dans sa patrie et dans la grande Colombie en général, pendant des années. Personne ne pouvait citer son nom après sa mort, pendant des décennies, raconte le réalisateur.
En tant que militant socialiste démocrate et homme féru d’histoire, le Venezuela fut une destination intéressante pour lui, mais pas assez pour le retenir lorsque son exil arrivait à son terme.
« Quand j’ai quitté le Venezuela, j’ai coupé les ponts, explique Arnold Antonin. Je me suis dit que j’étais à l’étranger parce qu’il y avait la dictature en Haïti. Maintenant, il n’y a plus de dictature, je n’ai plus de raisons de rester à l’étranger. J’ai tout laissé derrière moi, toutes mes activités. »
Depuis, c’est Haiti sa demeure. « Haïti, c’est chez moi, je l’aimerai toujours, son destin ne cessera de m’intéresser », déclare le réalisateur.
« Haïti, c’est mon film préféré. On ne s’y ennuie jamais. Je connais le commencement, je suis de près le développement mais je veux découvrir la fin de l’histoire. Voir comment tout cela va finir. Toutes les personnes qui ont dédié leurs vies à se battre, comme moi, se demandent : est-ce que tous ces sacrifices, toute cette douleur, toutes ces femmes et tous ces hommes tombés en cours de route, tout ceci aura été en vain ? Moi, je veux un happy- end ».
Hervia Dorsinville
Les photos sont de Arnold Antonin
Cet article a été mis à jour. 22.12.2020 11.10.
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