Le temps n’était pas beau, mais j’avais envie de me promener. Je marchais avec précaution, car on m’avait dit de faire attention. Je n’avais pas quitté mon quartier quand je me suis retrouvé au milieu d’une étrange activité. J`ai vu des photos exposées, avec des messages affichés. J’ai entendu des discours enflammés et des promesses déclamées.
Il y avait des hommes, il y avait des femmes. Il y avait des petits et des grands, des jeunes et des vieux. Beaucoup d`initiés et quelques profanes. Ici des nantis et là des crasseux. J’ai vu quelques partisans, mais beaucoup de courtisans. J’ai vu des érudits et pas mal d`ignorants. Aussi des prétentieux et une bonne poignée de sournois. Il faut de tout pour faire un monde. Ce qui est sûr, ils sont tous là.
Ils préparaient un événement. Il y avait beaucoup d’agitation. Je m’approchai pour demander quel était le bien-fondé de toute cette frénésie. Un passant me renseigna : « nous allons désigner un nouveau roi » . Il pointa du doigt l’estrade et me dit : vous voyez ce comité, ses 9 membres font la loi. Ils organisent une compétition et le vainqueur sera le roi.
Et sans même les chercher du regard, je vis apparaitre des seigneurs. Ce sont eux, les prétendants, ceux qui veulent être Rois. Ils étaient nombreux et avaient l’air fougueux. Malgré leur accoutrement couteux, on avait peine à leur accorder l’apparence d’hommes sérieux. Quand on pense qu`un roi se doit d’être vertueux, vu leur nombre et leur fougue, le contexte rassure peu.
Il semblait y avoir des règles et des critères de participation. C’était assez confus, mais je vais vous dire ce que j’ai compris. Celui qui voulait un roi devrait danser en sa faveur. Puis ces prétendants si nombreux se mirent à danser. De celui dont on a fait choix, il fallait imiter les pas.
Ce qui m’a d’abord surpris, c’est l’impulsivité du peuple. Avant même le signal de départ, comme des fous, ils se sont lancés. Oui tous, ils ont dansé. On ne connaissait même pas les pas, on ne suivait même pas le rythme, on ne savait même pas comment, on ne savait même pas pourquoi ; sans aucune orientation, sans aucune grâce, sans aucun sens… Tout le monde dansait.
Sans vouloir être prétentieux, je n’ai même pas hoché la tête. Non ! je ne voulais pas danser. Pas de rythme, pas de mélodie, aucune orchestration. Non merci. Mais j’observais avec attention et beaucoup d`intérêt ceux qui dansaient en espérant accéder à la royauté. Ce que j`ai ensuite remarqué, c`est que même s`il n`y avait rien d`artistique ni d`esthétique dans leurs mouvements, leurs gestes étaient, pour le moins, expressifs. Les pas ne vous sont peut-être pas familiers, mais une bonne observation permet d`identifier la danse performée. Certains de ces prétendants se sont même distingués dans toute cette agitation incohérente.
Il y en avait une qui faisait la danse de la substitution. Elle bougeait en permutant sa face à celle d`un ancien roi. Ce dernier qui en général danse le camouflage n`accepta de se montrer que pour sa protégée. Il y avait aussi cet autre, bruyant comme lui seul, qui entamait la danse de l`Histoire, celle de deux siècles avant. Oh ! Ce danseur prétend que du roi de cette période, il serait le descendant, ramenant aussi les conflits de cette époque patriarcale. Il était surtout connu pour avoir dansé la militance ces derniers 5 ans. Ancien coéquipier de la danseuse de substitution, leurs pas se ressemblent un peu. De cette équipe, il a d`ailleurs gardé le profil et la démarche. Pas trop grande différence. Il est juste un peu plus bruyant et puis son aïeul-roi, à ce jour, n`est plus vivant. Vif attaquant, mais gardien de but manquant.
L`attention de beaucoup se fixa sur un autre seigneur. Il est spécial celui-ci, car il dansait en silence. Il ne brisait ce silence que pour sortir des slogans, menaçant souvent d`éviter le scénario vécu il y a 5 ans. Aussi, il lançait souvent un grand signal d’alarme disant : c’est l’heure ! On a beau scruter l’horizon, mais rien ne suit son annonce. Mais tout en dansant, il ne cesse de répéter : « C’est l’heure ! » J’espère qu’il ne parle pas de Midi, car il est déjà 14 h. Quant à ses quelques discours, il n`y avait rien de différent. Aucune profondeur, aucun sens. Il parait plus intelligent quand il fait la danse du silence.
Oh ! Vous devriez le voir celui-là, c`est le dernier, mais non le moindre. Il performait avec assurance la danse des macaques. Déjà il promet à ses sujets de les gâter… s’ils sont des singes gourmands. Il est le protégé de l`actuel roi, un ancien chanteur qui a cru pouvoir danser comme il chante. Et après avoir vandalisé la piste, il veut nous proposer un Roi.
Au fait, ce dernier prétendant inspire un peu confiance. Par son discours et sa démarche, même l`esprit moyen déduira qu`il sait faire bien plus que danser. Il ne le remarque peut-être pas, mais la plus grande inquiétude du peuple, c`est qu`une fois désigné, il se mette à singer les déboires de son prédécesseur. On dirait le footballeur Cristiano lorsqu’il joue dans l’équipe nationale. Bon Joueur, mauvaise équipe.
Oh ! J’ai oublié de vous dire que cette grande compétition n’aurait pu être possible sans la miséricorde d’un grand mécène. Il se nomme : L’Étranger. Ce dernier qui avait tant déboursé voulait aussi participer. Beaucoup de seigneurs et des notables du peuple auraient voulu s’y opposer. Mais ce que tout le monde sait, mais que personne n’avouera, c’est qu’on a remué ciel et terre pour le convaincre d’être là. Ce genre d’événement est très exigeant en termes de ressources. Il y avait des seigneurs et des leaders parmi le peuple qui se plaignaient à l’imposant support que voulait fournir l’Étranger. Apparemment, ces seigneurs et leurs sujets ne voulaient que l’aumône, mais pas les bras, ni de coup de main sous aucune forme. « Donnez et foutez-nous la paix » croirait-on les entendre dire. C’est un mélange périlleux d’arrogance et de mendicité.
Comme pour toute compétition vient l’heure de proclamer des résultats. La suite est captivante. Celle-là je ne m`y attendais pas. C`est le comité organisateur qui investit la scène en dansant la danse de la procrastination. Ils remettent à plus tard la pilule de l`espoir. Tout le monde se fâche et commence à danser hostilement. Certains dansent la menace, d`autres la pression.
« Du calme » s`écrie le comité des 9. « Nous n`avons pas encore de roi. Nous allons confronter les deux meilleurs danseurs, et le gagnant sera votre roi. Les heureux finalistes sont : le danseur silencieux et l`homme aux pas de macaques. » Et ce dernier, bien sûr, ressemblait déjà au vainqueur. Avec ses pas de macaques, personne ne croyait qu`il arriverait jusque là. Et la croyance commune veut qu`il soit le favori.
Et c`est à ce moment que l`événement a pris un autre tournant. C’est la panique, c`est la peur. Non. Ce qui est arrivé, on ne le prévoyait pas. On s`attendait à un lion, mais ils craignent bien que la jungle ne soit assujettie à un singe. Les plus féroces se mettent donc à rugir et à danser la rébellion.
Il y avait beaucoup de seigneurs, et personne n`acceptait la défaite. La danse continuait, mais avec des pas différents. Plusieurs entamèrent la danse du `Vainqueur selon soi`, criant à tout bout de champ qu`ils étaient chacun les véritables gagnants. Beaucoup d`autres faisaient la danse des Mauvais perdants.
Je crois avoir oublié de mentionner que les ressources fournies par l’Étranger ont été collectées, et utilisées pour la compétition, même aux dépens de l’économie du royaume et de sa population active. Maintenant qu’ils en ont plein le ventre, ils veulent cracher dans la soupe. Le peuple et quelques seigneurs enchainent la danse de la xénophobie.
C`est alors que brusquement ils pensèrent au pouvoir de l`union. Eurêka : l`Union ! La solution venue de nulle part, souvent prêchée pourtant. Quand je pense que l`union est la devise du royaume, je n’ai pas trop compris pourquoi elle a été envisagée aussi tardivement. « Lè egzamen fini, yap mande fè gwoup de travay » pour répéter Matyas Dents D’or. Tous les seigneurs se sont concertés pour désigner leurs ennemis communs : le comité des 9, l’Étranger, l’actuel roi et le prétendant favori. Tous, ils se liguèrent contre ce quatuor. Ainsi ils formèrent des groupes. Des groupes de 8, de 30… et même une ancienne famille. Et maintenant, voilà que le jeu est mené par deux camps.
Le comité des 9, armé d`orgueil jusqu’aux dents, exécutait des pas fermes, dansant dans une seule voie. Ils n’avaient qu’un objectif en tête : l’affrontement final. Quand des sceptiques les questionnent, ils se disent techniquement prêts. Pourtant pas besoin d’être psychologue pour voir qu’ils ne sont pas mentalement prêts. Et puis encore une fois, le comité se livre aux pas de la procrastination.
Ils dansent encore, ça n’a même plus de sens. Mais c’est un bal de fous ! (À suivre).
Steeve Bazile
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