Aucun plan stratégique pour entrainer et promouvoir la prochaine génération n’est en cours à la Fédération nationale de football
Le prestigieux magazine Goal avait nommé l’Haïtienne Melchie Daëlle Dumornay meilleure jeune prodige du football féminin dans le monde en mars 2022. Cette consécration couronne la montée en puissance de toute une génération de jeunes joueuses du pays, brillantes en sélection comme en club.
Mais une inquiétude s’installe. « Il n’y a pas de championnats nationaux et le Ranch de la Croix-des-Bouquets [où la majeure partie de ces joueuses ont été entrainées] est dysfonctionnel. En plus, le pays ne dispose pas assez d’infrastructures sportives », fait savoir Kimberly Pierre, un analyste sportif.
En réalité, à cause de l’insécurité, un manque d’investissement et les incertitudes entourant la Fédération haïtienne de football éclaboussée par les scandales, la génération d’après Dumornay ne se trouve pas aujourd’hui sur le terrain, à pratiquer passes et dribles, prête à prendre la relève.
Haïti est la meilleure dans la région après les États-Unis et le Canada, déclare Kimberly Pierre
L’actuelle équipe féminine haïtienne U20 avait émerveillé le monde en 2018 après avoir décroché son billet pour la coupe du monde avec un parcours rempli d’embûches.
« Haïti est la meilleure dans la région après les États-Unis et le Canada, déclare Kimberly Pierre. L’équipe féminine haïtienne avait enregistré de bonnes performances dans les différentes coupes du monde organisées : U17, U20, senior ».
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Nathan Laguerre, spécialiste en droit du sport, affirme de son côté que la sélection nationale féminine de football fait partie du top 4 des favorites de la CONCACAF après les États-Unis, le Canada et le Mexique.
Ces prouesses tirent leur origine des investissements réalisés dans le football féminin en Haïti pendant ces dix dernières années. Toute une génération de jeunes joueuses compétentes et talentueuses avait été formée dans le pays.
« Les dirigeants haïtiens mettaient l’emphase sur le développement du football féminin haïtien, selon Patrice Dumont, commentateur sportif et ancien sélectionneur haïtien. Les efforts ont été appuyés et financés en majeure partie par la FIFA et la Viva Rio. »
Melchie Daëlle Dumornay, communément appelée Corventina, brille aujourd’hui au Stade de Reims dans la D1 Arkema en France. Elle est le produit du Centre de formation Camp Nou en Haïti appelé couramment Ranch de la Croix-des-Bouquets. Ce ranch se trouve dysfonctionnel aujourd’hui puisque la zone est sous le contrôle des gangs.
Après avoir fait un match nul (1-1) face aux USA en 2018, l’équipe féminine haïtienne U20 avait battu le Canada (1-0). Cette dernière victoire l’avait propulsé en phase finale de la Coupe du Monde de la Fédération internationale de football (FIFA), organisée en France.
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La situation était toutefois différente en 2020 pour l’équipe qui avait raté la qualification à la coupe du monde après son match nul (1-1) face au Mexique. Cette équipe a été qualifiée dans les séances de tirs au but.
Les moments de gloire de l’équipe féminine haïtienne sont l’œuvre du jeu d’ensemble entre les joueuses comme Kerly Théus, Roselyne Éloissaint, Melchie Daëlle Dumoray, Roselord Borgella, Sherline Jeudy, entre autres.
« Elles étaient toutes fermées au Ranch de la Croix-des-Bouquets, relate Kimberly Pierre. Elles sont toutes habituées à jouer ensemble. »
Le Ranch constituait un espace de formation en football, grenier de jeunes talents. Le fonctionnement de cette entité était au ralenti après l’affaire Yves Jean-Bart, condamné par la FIFA pour abus sexuels sur enfants. « Peu de temps après, le Comité de normalisation avait décidé de fermer le centre pour restructuration. Et à date, sa réouverture reste hypothéquée à cause de la dégradation de la situation sécuritaire à Croix-des-Bouquets », déclare Nathan Laguerre.
Les moments de gloire de l’équipe féminine haïtienne sont l’œuvre du jeu d’ensemble entre les joueuses
L’équipe féminine haïtienne a été éliminée en mars dernier dans les phases éliminatoires de la Coupe du monde des moins de 20 ans. Kimberly Pierre estime que la sélection féminine haïtienne n’a pas été suffisamment entraînée pour pouvoir délivrer sa meilleure performance.
« Les joueuses se sont réunies deux semaines avant l’organisation des jeux en République Dominicaine. Il n’y avait aucun match amical ni un match de préparation. C’est pourquoi ils ont perdu avec un résultat aussi décevant face aux USA (6-0). »
La majorité des jeunes filles qui composent l’équipe nationale féminine évoluent aux États-Unis et en France, après leur entrainement en Haïti. Ce cas de figure contraste avec la réalité des joueurs de l’équipe masculine. La plupart de ces professionnels du ballon rond ont reçu leur formation en football à l’étranger.
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Pour avoir une autre génération de jeunes joueuses, renchérit Nathan Laguerre, il va falloir que le Ranch de la Croix-des-Bouquets rouvre ses portes pour permettre aux jeunes de U11 et U13 d’avancer. « On n’a presque pas de générations de jeunes footballeuses en préparation pour remplacer les anciennes têtes au sein de l’équipe féminine haïtienne », dit le spécialiste en droit du sport.
« Haïti produit beaucoup plus de talents dans le football féminin que dans le football masculin, dit Nathan Laguerre. Melchie Daëlle Dumornay en est la preuve. Avant, on n’avait jamais eu un joueur masculin haïtien qui a été considéré à un moment donné et dans une catégorie d’âge donnée, comme le meilleur au monde. »
Pendant longtemps, le football féminin n’avait pas eu un regard attentionné des dirigeants haïtiens, comme ce fut le cas pour le football masculin. « C’est pourquoi les dirigeants faisaient face à moins de contraintes pour son organisation pendant ces dix dernières années », estime Laguerre.
Cependant, la désorganisation du milieu des hommes semble rattraper les structures mises sur place pour encadrer les femmes. Les spécialistes en sport croient que cette désorganisation va porter un coup dur à l’avancement de l’équipe féminine.
« Par exemple, cela peut arriver que le club de Melchie Daëlle Dumornay l’interdit de venir jouer pour l’équipe nationale puisque les structures sportives d’Haïti ne sont pas adaptées », dit Kimberly Pierre, journaliste et commentateur sportif. Le sélectionneur haïtien Jean-Jacques Pierre avait vécu une pareille situation en 2007 lorsqu’il était joueur au FC Nantes.
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