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Opinion | Que peut-on espérer du comité de normalisation installé à la tête de la FHF?

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La commission d’éthique de la FIFA est aujourd’hui l’une des plus puissantes entités de la structure. Ils seront non seulement vigilants aux agissements de leurs chargés de mission, mais aussi, ils seront forcés de leur donner les moyens de réussir. Car, leur échec sera avant tout, celui de da la FIFA

Le 22 janvier 2021, par correspondance adressée à Carlo Marcelin, Secrétaire général de la Fédération haïtienne de football (FHF), la FIFA, en référence à la décision du Bureau du Conseil du 11 décembre 2020, a nommé, pour un mandat de deux ans, un comité de normalisation à la tête de la FHF. Cette décision de la FIFA fait suite aux récents évènements ayant conduit à l’interdiction à vie de toute activité liée au football de l’ancien Président de la FHF, Yves Jean-Bart ainsi que la mise à l’écart de certains de ses plus proches collaborateurs dont le Directeur technique national, Wilner Étienne.

Ce nouveau comité aura pour mission de gérer les affaires courantes de la FHF, de réviser ses statuts, d’organiser l’élection d’un nouveau comité exécutif et enfin d’assurer une bonne transition des questions financières avec le nouveau comité exécutif de la FHF.

Si la nomination de ce nouveau comité suscite chez certains beaucoup d’enthousiasmes, elle fait naitre chez beaucoup d’autres, des interrogations sur sa légitimité et sur sa capacité à accomplir valablement sa mission. Analyses.

Sur le principe de la nomination

Dans la gouvernance du sport, les fédérations internationales occupent une place importante. Non seulement, elles ont pour compétence de régir les règles sportives uniformes dans tous les pays, mais aussi, et surtout, elles détiennent un pouvoir normatif et un pouvoir disciplinaire sur les fédérations nationales qui leur sont affiliées (Peltier, 2020).

La fédération internationale reconnue dans le football, c’est la FIFA. Celle-ci est l’instance régulatrice par excellence du sport le plus pratiqué et le plus populaire au monde. Elle impose à ses fédérations nationales l’adoption de certaines dispositions obligatoires à leur adhésion. Elle a pour but d’établir des règles et des dispositions régissant le football et les questions y afférentes et veiller à les faire respecter et de contrôler le football sous toutes ses formes par l’adoption des toutes les mesures s’avérant nécessaires ou recommandables afin de prévenir la violation des statuts, des règlements, des décisions de la FIFA et des lois du jeu (art. 2 c et 2 d des statuts de la FIFA).

Donc, pour devenir membre de la FIFA, une association doit non seulement être responsable de l’organisation du football et de toutes ses variantes dans son pays, mais aussi, elle doit ratifier des statuts conformes aux exigences des statuts standards de la FIFA (art. 14). Justement, sur les exigences et les standards de la FIFA, les associations membres ainsi que leurs dirigeants sont soumis à certaines obligations qu’ils intègrent dans leurs statuts particuliers en reconnaissant à l’Organe régulateur (la FIFA), un pouvoir de contrôle, de sanction et décision.

Dans le dossier haïtien, tous les leviers de la FIFA, de la suspension provisoire des membres suspectés, à leur interdiction définitive, ont été activés. À l’article 8.2 des statuts de la FIFA adoptés le 5 juin 2019 et entrés en vigueur le même jour, nous lisons ceci : « les organes des associations membres peuvent, dans des circonstances particulières, être relevés de leurs fonctions par le Conseil, en concertation avec la Confédération concernée, et remplacés par un comité de normalisation pour une période donnée ».

La FHF, association membre de la FIFA, est assujettie au contrôle règlementaire et disciplinaire de la FIFA, ce qu’elle reconnait elle-même à l’article 7 de ses statuts adoptés le 29 décembre 2019 et entrés en vigueur le 30 décembre 2019 où nous lisons ceci : « les organes et les officiels de la FHF sont tenus de respecter les statuts, les règlements, les directives, les décisions et le code d’éthique de la FIFA, de la CONCACAF, de la CAFUNION et de la FHF dans leurs activités ». Cette reconnaissance expresse et obligatoire valide, en tout cas, en la forme, la compétence de la FIFA pour dissoudre le comité exécutif de la Fédération haïtienne de football, et pour nommer un comité de normalisation à sa place, ainsi qu’il est prévu à l’article 8.1 des statuts de la FIFA.

Un échec pour la gouvernance du football en Haïti?

La validité de la décision de la FIFA de nommer un comité de normalisation à la tête de la FHF n’est plus à établir. Aussi bien dans les statuts de la FIFA que dans ceux de la FHF, les provisions existent. C’est indéniable. Il ne s’agit pas pour nous de revenir sur les évènements… ce qui a été dit, ce qui a été fait, ce qui n’a pas été fait ou qui devrait être fait. Le dossier est ce qu’il est. Les accusations sont ce qu’elles sont. Des décisions ont été prises. Des recours ont été formés. L’œuvre de la justice suit son cours. C’est l’essentiel.

Il ne s’agit pas non plus de dire si la décision de la FIFA est justifiée ou pas. En tout cas, elle a été motivée. Il ne s’agit pas enfin de dire si les choix sont bons, si la composition de ce comité est idéale. Est-ce la bonne équipe ? A-t-on choisi les meilleurs joueurs à leurs postes ? Les critères et les conditions d’éligibilité ont-ils été respectés ? Tout ce pouvoir appartient à la FIFA. Nous n’avons qu’à espérer qu’elle n’en ait pas abusé.

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Mais, il s’agit surtout d’en appeler au symbolisme d’une telle décision. Vulgairement « normaliser » veut dire « rendre normal ». Le contraire de « normal » c’est « anormal » ; c’est-à-dire, non conforme aux normes. Sans faire de la caricature, instituer un comité de normalisation à la tête d’une entité, c’est affirmer que son fonctionnement était irrégulier. C’est venir réparer une anomalie. C’est corriger une erreur ; c’est tirer conséquence d’un échec. C’est aussi, il faut le dire, mettre sous tutelle.

Créée en 1904, la Fédération haïtienne de Football est presque aussi vieille que la FIFA. À l’image du pays, son histoire est assez tumultueuse, assez contrastée… comme le pays, elle a pu montrer à une période de son histoire qu’elle pouvait avoir du mal à s’assumer. Mais, qu’elle essaie de s’en sortir. Plus que de s’en sortir, les signes envoyés par le football haïtien étaient, à certains égards, ceux d’un football qui grandit. Qui se porte bien. Qualification à la coupe du monde (U17 masc. U20 fém.), demi-finaliste à la Gold Cup… et voir que derrière tout cela, il pouvait y avoir (selon la FIFA), autant d’anomalies, c’est aussi un échec.

Si on en est arrivé à ce point, c’est parce qu’à un niveau ou à un autre, il y a quelque chose qui n’a pas fonctionné.

Haïti va très mal. Le pays agonise. Enlèvements, vols, viols, assassinats… font partie d’un quotidien sans lendemain. Nous sommes au fond du trou. Et honnêtement, l’issue est insaisissable. Mais, si demain, on devait annoncer une mise sous « tutelle » du Pays par des Organismes ou des États internationaux en vertu d’un quelconque accord auquel Haïti serait partie, ce serait un échec. Pour nous, pour notre histoire, pour notre culture… même si cela relèverait de l’absolue nécessité, ce serait un échec.

Sans mettre en cause ce comité fraichement nommé, sans acculer celui qui l’a précédé, sans accuser la FIFA d’en avoir ainsi décidé… il y a quand même de bonnes raisons de croire que si on en est arrivé à ce point, c’est parce qu’à un niveau ou à un autre, il y a quelque chose qui n’a pas fonctionné. S’en attristera qui voudra, s’en réjouira qui pourra, et surtout la postérité en jugera. Mais, pour le pays, pour le football, pour le sport en général en Haïti, la mise en place d’un comité de normalisation à la FHF après plus de 115 ans d’histoire, c’est un échec qu’il faudra assumer.

Sur l’avenir de ce comité de normalisation

Qu’on soit d’accord ou pas, qu’on l’ait souhaité ou pas, un comité de normalisation a été institué à la FHF. La FIFA a agi dans le cadre de ses compétences suprêmes. Elle a pris la décision qui lui a semblé la plus appropriée en l’espèce. La roue tourne. La terre tourne. Les hommes aussi. Cela fait maintenant quelques années que la FIFA expérimente les comités de normalisation avec plus ou moins de réussite. Tour d’horizon.

En mars 2012, à la suite de la dissolution de la Fédération gambienne de football par le ministre des Sports et des évènements qui ont suivi, la FIFA décide de nommer un comité de normalisation à la FGF avec la mission de réaliser des élections avant septembre 2012. À cette date, ne pouvant pas réaliser les élections, la FIFA décide de proroger son mandat jusqu’à mars 2013. Toujours incapable de réaliser les élections, le mandat du comité de normalisation est prorogé jusqu’en juin 2013. En juillet 2013, Mustapha Kebbeh est finalement élu à la tête de la FGF.

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Un an plus tard, le 10 juillet 2014, la FIFA a décidé de nommer un comité de normalisation de cinq membres à la tête de la Fédération gambienne de football (FGF) pour des faits de fraude et tricherie sur l’âge des joueurs. Cette commission avait pour mission de réaliser les élections avant le 15 septembre 2014, au plus tard. Et finalement, en septembre 2014 Lamine Kaba Bajo accède à la Présidence de la FGF. Bajo est encore poste et le football gambien semble enfin avoir passé le cap de la stabilité.

Il y a eu aussi les Samoa en 2008, les Maldives en 2014 ; le Guatemala et la Thaïlande en 2015 ; l’Argentine et la Guinée en 2016 ; le Cameroun et le Mali en 2017 ; le Madagascar, la République Dominicaine, le Ghana et l’Uruguay en 2018 ; l’Égypte, les Comores et le Pakistan en 2019 ; l’Irak et le Venezuela en 2020 et bien d’autres encore…

Dans tous les pays, et par toutes les Fédérations, les comités de normalisation n’ont pas toujours reçu le même accueil. En Afrique par exemple, où la FIFA a beaucoup sévi, c’est un combat de tous les instants entre les autorités locales et la haute autorité fédérale. Elles accusent cette dernière de vouloir « tuer » leur football.

Mais, l’exemple guatémaltèque est assez particulier…

Au Guatemala, le 6 septembre 2016, un Tribunal du sport guatémaltèque, le Tribunal de Honor de la Confederación Deportiva Autonoma de Guatemala, a décidé de suspendre pour six mois, le comité de normalisation de la FEDEFUT mis en place par la FIFA pour avoir illégalement sanctionné des joueurs pour dopage.

Furieuse, la FIFA avait sommé les autorités sportives judiciaires guatémaltèques le 15 septembre 2016 à revenir sur leur décision dans un délai ne dépassant pas le 1er octobre sous peine de suspension de la FEDEFUT pour cause d’ingérence d’un tiers.

Entretemps, la FIFA a étendu le mandat de comité de normalisation jusqu’au 31 juillet 2017. Le 25 octobre 2016, l’Assemblée générale de la FEDEFUT a rejeté le mandat d’extension du comité de normalisation. En représailles, le 28 octobre 2016, la FIFA décide de suspendre la FEDEFUT, avec effet immédiat, jusqu’à la ratification du mandat d’extension du comité de normalisation par l’Assemblée générale.

Le 31 mai 2018, la FIFA décide de lever la sanction de la FEDEFUT après avoir privé los Chapines de toute compétition internationale pendant 18 mois. Le comité de normalisation conduit par Juan Carlos Rios, désigné le 18 mai 2018 arrive à organiser les élections, à travers lesquelles Gerardo Paiz devient Président de la FEDEFUT le 3 mai 2019. Le football guatémaltèque peut enfin respirer. Il peut enfin rêver du meilleur après avoir trop longtemps connu le pire.

Haïti, les raisons d’y croire…

Si l’on se réfère aux précédents, si l’on tient compte des nombreux critiques ciblant la gouvernance de la FIFA et son extension à ses associations affiliées, on serait tenté de croire que le comité de normalisation qui sera présidé par Madame Michaëlle Jean n’est que « la chronique d’un échec annoncé ». Il y a tout un faisceau d’indices qui pourraient soutenir un tel pessimisme. Mais, il y a quand même deux grandes raisons de croire à la réussite de ce comité.

Étant entendu précédemment que nous laisserons, tant à présent, les critères et les conditions d’éligibilité de chacun à la FIFA. Sans entrer dans des détails ciblés sur ce « quator » qui prendra la destinée du football haïtien pour les deux prochaines années, remarquons que la vision de la FIFA est assez claire : renforcer la Gouvernance et le cadre normatif de la FHF.

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Évidemment, il faudra tout articuler en mettant en place les cadres de collaboration ; il faudra aussi compter sur les ressources humaines déjà en place à la FHF qui trainent derrière elles, des dizaines d’années d’expériences et de savoir-faire. Il ne faudra pas se méprendre, l’écosystème du football est un environnement complexe qui fait appel à des spécificités non négligeables.

Mais, il n’y a aucune raison, dans des conditions normales de température et de pression, pour que ces quatre personnalités, encadrées d’experts et de spécialistes du milieu, ne puissent pas dans un délai de deux ans exécuter cette feuille de route de la FIFA.

Sachant que les statuts de la FHF correspondent, à quelques exceptions près, aux standards de la FIFA, le grand chantier sera les questions financières. Et là encore, ce ne devrait pas être les douze travaux d’Hercules. Les ressources de la FHF étant théoriquement très maigres, il faudra mettre en place des procédures, renforcer les structures d’audit et de conformité, améliorer la transparence… Cela ne devrait pas être, non plus, un défi insurmontable.

Un contexte favorable

Le monde vit une période particulière. Le nouveau Coronavirus (Covid 19) a éprouvé les structures sanitaires les plus puissantes du monde. Le monde du sport est à ce jour, l’un des secteurs les plus touchés. Entre reports, huis clos et annulations… le monde sportif vit ses temps les plus difficiles depuis la Seconde Guerre mondiale.

Le Football particulièrement n’est pas épargné. La FIFA a dû annoncer très récemment l’annulation de plusieurs de ses compétitions internationales, dont des coupes du monde juvéniles.

Ce contexte difficile est paradoxalement un avantage considérable pour les nouveaux Responsables du football haïtien. Ils n’auront pas beaucoup d’urgence à gérer. En Haïti, la plus grande difficulté du monde sportif, c’est de préparer les équipes nationales pour les épreuves internationales. Les questions de budget, de financement, de logistique absorbent beaucoup à l’approche des échéances.

À la FIFA, il y aura toujours un « avant » et un « après » 2015. On se souvient tous de la « FIFA Gate » et de ces scandales qui ont ébranlé l’empire du football mondial. Arrestations, suspensions, bannissements…

Et comme les équipes haïtiennes, en football en particulier, sont très sollicitées, les Dirigeants pouvaient ne pas avoir de répit. Un flot appelle un autre flot. Sitôt une compétition terminée, il faut déjà penser à la suivante. Et comme à chaque fois, il faut remuer ciel et terre pour trouver de l’argent. « Epargné » de cette réalité, du moins, pour certaines sélections, puisque les préparations à la Coupe du monde 2022 vont commencer, le comité de normalisation aura plus de temps pour jeter les bases de leurs travaux. Ils ne seront pas pressurés par l’urgence. En tout cas, pas beaucoup.

L’autre aspect favorable par rapport au contexte, et par rapport à d’autres comités de normalisation qui ont pu échouer dans d’autres pays, c’est que la Gouvernance de la FIFA a beaucoup changé. À la FIFA, il y aura toujours un « avant » et un « après » 2015. On se souvient tous de la « FIFA Gate » et de ces scandales qui ont ébranlé l’empire du football mondial. Arrestations, suspensions, bannissements… la FIFA ne sera plus la même. Sa Gouvernance, non plus.

Désormais, la Haute Autorité du football fait beaucoup plus attention à son image, à ses procédures, à ses membres aussi. La commission d’éthique de la FIFA est aujourd’hui l’une des plus puissantes entités de la structure. Ils seront non seulement vigilants aux agissements de leurs chargés de mission, mais aussi, ils seront forcés de leur donner les moyens de réussir. Car, leur échec sera avant tout, celui de da la FIFA. L’Instance suprême se sait observée, elle voudra faire bonne figure. Et le comité devrait, avec intelligence, profiter de cette attention.

Et enfin, puisque nous aimons notre football, nous lui souhaitons le meilleur.

Nathan Laguerre, avocat
Etudiant en Droit du Sport
Paris 1 Sorbonne

Photo couverture : Centre de la francophonie des Amériques / Jean Rodier

Spécialiste en droit du sport, Nathan Laguerre est avocat au Barreau de P-au-P. Il adore le football !

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