Des agents de l’USGPN voulaient intervenir à Pèlerin 5. Léon Charles, présent à Pétion-Ville dès deux heures du matin, ne donnera aucun ordre d’intervention avant dix ou onze heures du matin. Pourquoi ?
La résidence du président élu vient d’être attaquée. Les tirs ont commencé vers une heure du matin. Dès deux heures et demie, Léon Charles, directeur de la police nationale d’Haïti se transporte sur la place Saint-Pierre, à sept minutes de la scène. Entouré des plus hauts cadres de la PNH, l’ancien responsable des garde-côtes doit répondre à l’événement le plus important de sa carrière ce 7 juillet 2021.
Léon Charles marche. Pianote sur son téléphone. Échange avec Dimitri Hérard, chef de l’Unité de Sécurité générale du Palais national. Mais ne passe aucun ordre d’intervention.
Des agents de l’USGPN rejoignent la place Saint-Pierre. Ils veulent intervenir. Ils en font la demande. Insistent. Mais rien. C’est le flou total. Le président Jovenel Moïse est-il déjà mort ? Aucune enquête subséquente ne donne réponse à cette question.
Léon Charles ne semble pas pressé. Il quitte la place avec quelques lieutenants un peu avant quatre heures du matin pour une destination inconnue, révèle à AyiboPost un haut cadre de la PNH, présent sur les lieux. L’ordre d’intervention tombera bien plus tard. « Entre dix et onze heures du matin », précise le cadre. Pourquoi autant de retard ? « Ma réponse peut causer du tort, dit-il. Au lieu de dire quelque chose qui peut faire mal, je préfère me taire. »
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Plus d’un an après le magnicide, Léon Charles représente Haïti de façon permanente auprès de l’Organisation des États américains. Il avait occupé ce poste avant de redevenir directeur de la PNH en novembre 2020. Si le directeur a pu tranquillement remettre sa démission avant de se voir offrir une position diplomatique prestigieuse, d’autres occupants de la place Saint-Pierre ce matin-là n’ont pas connu le même destin. Le très influent Dimitri Hérard par exemple croupit dans une cellule au pénitencier national pour avoir failli à sa mission de protéger le chef de l’état.
Des observateurs questionnent le comportement de Léon Charles dans cet événement sanglant. Jusqu’à son départ, il avait – en tant que directeur – la charge de l’enquête de la direction centrale de la police judiciaire. « Il aurait dû être écarté de la PNH pour faciliter l’investigation », analyse Pierre Esperance du Réseau national de défense des droits humains.
Bien avant la démission de l’ancien directeur, des enquêteurs de la DCPJ sur le dossier disent avoir subi des pressions, selon des informations collectées par AyiboPost. Au moins un d’entre eux a été convoqué par l’inspection générale d’une façon qui laissait suggérer que le groupe était sous contrôle et risquait gros.
Léon Charles n’a pas répondu aux demandes de réactions d’AyiboPost. L’ancien chef de la PNH traîne des accusations de complicité dans l’assassinat. « Il a caché des suspects comme Joseph Félix Badio et John Joël Joseph, continue Pierre Espérance. Il fut récompensé après son départ. Le pouvoir le protège. »
Le 16 décembre 2021, Léon Charles se rend à une audition au bureau du juge Garry Orélien, alors en charge de l’instruction sur la mort de Jovenel Moïse. Le directeur de la PNH craignait une arrestation. Il débarque au rendez-vous avec 53 agents en fonction dans sept voitures.
Le RNDDH rapporte en janvier le versement de deux millions de gourdes au magistrat, pour ne pas appréhender un chef de la police après son audition. Une source révèle à AyiboPost qu’il s’agit de Léon Charles. En avril 2022, Garry Orélien se trouve mis en disponibilité sans solde pour corruption par le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.
« Léon Charles n’a pas sa place dans la diplomatie haïtienne, maintient Pierre Espérance. Il doit être écarté et mis à disposition de la justice. Le retenir à ce poste, c’est le protéger. »
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Léon Charles avait occupé pour un an le poste de directeur de la PNH jusqu’à sa révocation pour incompétence en 2005. Sous son commandement, une cinquantaine de policiers et des centaines de civils furent assassinés. Plusieurs dizaines de policiers supplémentaires trouveront la mort durant son second passage à la tête de l’institution. Le cas le plus médiatisé demeure le lynchage public de cinq agents le 12 mars 2021, lors d’une opération dénoncée pour son amateurisme à Village de Dieu.
Après le séisme de 2010, Léon Charles s’est retrouvé dans le renseignement au cabinet du ministre de la Justice Paul Denis. Il travaillait alors avec Joseph Félix Badio, un autre suspect dans l’assassinat de Jovenel Moïse, connu pour sa proximité avec l’actuel premier ministre, Ariel Henry.
Une quarantaine d’individus ont été appréhendés par les autorités, après le magnicide. Quatre d’entre eux ont été libérés par Garry Orélien. Un autre est mort dans des circonstances troublantes, alors que trois autres, arrêtés à l’étranger, sont hors de portée de la justice haïtienne.
En mai dernier, un cinquième juge a été choisi pour mener l’enquête. Le magistrat précédent n’avait jamais reçu le dossier. Il a publiquement dénoncé les autorités de passivité et de manque de volonté pour faire aboutir l’investigation.
D’après le rapport de la DCPJ, l’ancien président avait appelé ses protecteurs légaux au secours. Léon Charles était parmi les premiers. Le directeur était aussi en contact avec plusieurs des individus impliqués dans l’assassinat, selon des rapports. « Je suis resté avec le DG pour voir ce qu’il allait nous dire ce matin-là, déclare le haut cadre de la PNH. On attendait tous le mot du commandant, mais aucun ordre n’est venu de lui. »
Couverture : Léon Charles participe à l’enterrement de Jovenel Moïse. Valerie Baeriswyl pour AyiboPost
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