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L’aquaculture haïtienne au bord de l’effondrement

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Le secteur fait face à divers problèmes, notamment l’absence de matériels et un manque de formation des éleveurs

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L’aquaculture stagne en Haïti, ce qui met en péril des centaines d’emplois liés à cette activité de production animale ou végétale en milieu aquatique dans un contexte d’insécurité alimentaire, analysent à AyiboPost des acteurs du secteur.

Taïno Aqua Ferme S.A, une entreprise de pisciculture à Ganthier lancée en 2015, se trouve presque dans l’impossibilité de tenir le coup.

En raison de la situation sécuritaire chaotique régnant à Fond Parisien, le personnel déserte l’entreprise.

«Nous avons perdu beaucoup d’employés», rapporte Gilbert Woolley, l’un des membres fondateurs de l’initiative. «Certains [de ces employés] ont migré vers les USA dans le cadre du programme Humanitarian parole du gouvernement américain», précise Wooley.

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Si l’entreprise bénéficiait de franchises douanières et d’exonération fiscale sur l’importation des matériels depuis 2015, ce n’est plus le cas aujourd’hui. La période d’exonération de 6 ans, qui pouvait être renouvelée, a expiré en 2021.

Selon ses responsables, Taïno Aqua Ferme S.A ne prévoit pas d’atteindre la production de 80 tonnes de poisson en 2023, ce qui marque une différence significative par rapport aux années précédentes. Avant 2020, l’entreprise fournissait entre 250 et 300 tonnes de poisson par an.

En raison de la situation sécuritaire chaotique régnant à Fond Parisien, le personnel déserte l’entreprise.

L’entreprise enregistre donc une baisse de production estimée à près de 80 %. Le faible pourcentage restant sert à assurer la survie des êtres aquatiques. «C’est comme si l’entreprise se meurt», continue Gilbert Woolley. «Nous faisons des efforts afin de ne pas laisser périr nos dix ans de labeur», dit l’entrepreneur.

Historiquement, les premiers efforts d’implémentation de l’aquaculture en Haïti remontent à 1950 avec un projet de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Cette agence spécialisée des Nations Unies a introduit la pisciculture en milieu rural.

Plus tard, soit en 1958, l’État haïtien va créer le Service des Pêcheries au Ministère de l’Agriculture, des Ressources naturelles et du Développement rural (MARNDR). Cela permettra une production importante d’Alevin et de Tilapia à travers le pays jusqu’à la fin des années 1960. Une baisse d’intérêt sera enregistrée pour la pisciculture en 1970.

Les premiers efforts d’implémentation de l’aquaculture en Haïti remontent à 1950 avec un projet de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture (FAO).

En juin 1985, le ministère de l’Agriculture entame un projet d’aquaculture rural avec le Programme des Nations unies pour le développement et la FAO, ce qui a permis d’attirer l’attention de certains investisseurs vers le secteur.

Toutefois, il faudra attendre le début des années 1990 pour voir le secteur privé manifester un réel intérêt pour le secteur aquacole.

Par ailleurs, une ONG dirigée par un entrepreneur ivoirien, Caribbean Harvest, prend l’initiative en 2010 de développer l’aquaculture sur le lac Péligre et une écloserie destinée à la production de l’espèce de poisson-Tilapia du Nil (Oreochromis niloticus).

Haïti consomme moins de fruits de mer que ses voisins.

En 2015, selon les données de la FAO, la consommation de produits de la pêche en Haïti s’élevait à 5,8 kg de poisson par habitant. Un cas de figure différent de la République Dominicaine avec ses 8,7 kg, et les 25,8 kg de la Jamaïque.

La même année, les produits provenant de l’aquaculture étaient estimés à 1 220 tonnes. Selon les données de la Banque mondiale, la production aquacole en Haïti pour l’année 2019 était de 1 610 tonnes métriques.

Il faudra attendre le début des années 1990 pour voir le secteur privé manifester un réel intérêt pour le secteur aquacole.

En 2020, la Banque mondiale estime la production totale de la pêche à 17 910 tonnes.

Si le pays dispose de près de 23 000 hectares de plans d’eau naturels favorables à l’aquaculture, il n’exploite que 3 % de cette capacité avec une focalisation sur l’exploitation des espèces d’eau douce, limitée aux lacs collinaires, selon les données fournies à AyiboPost par le MARNDR.

Cependant, de nombreux lacs du pays se trouvent affectés par l’insécurité.

Miclo Joseph est technicien au sein du ministère de l’Agriculture (MARNDR), il travaille depuis près d’une trentaine d’années dans l’ensemencement des lacs en alevins dans des endroits tels que Ganthier, l’étang Saumâtre, l’étang Lachaux à Camp-Perrin, La Voûte à Jacmel, l’étang de Bois Neuf à Saint-Marc, etc.

Aujourd’hui, en raison de la situation sécuritaire du pays, «nous avons la volonté certes, mais nous ne pouvons plus continuer à travailler depuis 2020», déclare Joseph.

Si le pays dispose de près de 23 000 hectares de plans d’eau naturels favorables à l’aquaculture, il n’exploite que 3 % de cette capacité.

Joseph Wilto Marcéus, pisciculteur et président de l’association nationale des pêcheurs haïtiens (ANPH), a débuté dans la pisciculture en 1991, dans les lacs du Frère Francklin Armand à Pandiassou dans les hauteurs de Plateau Central.

«Dans les années antérieures, le rendement de la production de Tilapia du Mozambique (Oreochromis mossambicus) était bien meilleur qu’aujourd’hui», déclare Marcéus. Cette situation est due, selon le professionnel, au dérèglement du climat.

Il existe également une aquaculture de petite échelle pratiquée en bassin (béton ou en terre) à l’échelle familiale ou villageoise dont l’estimation n’est pas évaluée en Haïti.

Le secteur de l’aquaculture pourrait générer des profits considérables.

Avec un accompagnement adéquat, la production aquacole locale pourrait contribuer à réduire l’importation de poisson et engendrer beaucoup plus d’emploi, analyse l’entrepreneur Wooley Gilbert, cité plus haut.

Lire aussi : Au lieu d’investir dans la pêche en haute mer, Haïti importe du poisson

Ce secteur souffre d’un manque de notoriété en Haïti. «L’État s’y intéresse peu», précise Jean Pierre Junior Domerçant, ingénieur agricole, spécialisé dans la production animale. «Jusqu’ici, le ministère de l’Agriculture dispose de peu de statistiques pour ce secteur, ce qui rend assez difficile de mesurer son impact sur le PIB du pays», poursuit Domerçant.

Une source d’AyiboPost au sein du ministère de l’Agriculture fait aussi mention d’un «déficit de données scientifiques comme base de décision».

Il faut souligner qu’Haïti n’exploite que trois types de poissons d’élevage pour l’aquaculture, relate l’agronome Domerçant. Il s’agit du Tilapia, de la Carpe et du Pangasius.

Le secteur fait face à divers problèmes, notamment l’absence de matériels (cages piscicoles, etc.) et un manque de formation des éleveurs. En outre, la destruction des mangroves pour l’approvisionnement en charbon dans certaines régions entraîne la migration des poissons vers la République dominicaine, souligne l’agronome Domerçant.

Par Jérôme Wendy Norestyl

© Image de couverture : actusen.sn


Visionnez ce reportage réalisé par Ayibopost en février 2019, racontant l’histoire captivante de Taïno Aqua Ferme S.A :


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Journaliste-rédacteur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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