SOCIÉTÉ

L’année scolaire a été marquée par l’insécurité. Cela peut causer des échecs aux examens officiels

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Les élèves ont tous subi des traumatismes, chacun à son niveau

« Je me fous de la crise du pays », hurle presque Came-Suze Cormier. Cette quadragénaire ne laisse pas le choix à sa fille. « Gaëlle doit réussir coûte que coûte, sinon je la battrai jusqu’à ne plus savoir quoi faire d’elle ».

Élève de neuvième année fondamentale, Gaëlle Samantha Cormier est l’une des milliers de candidats qui prendront part aux prochains examens officiels. Avertie par sa mère, appuyée pratiquement par tous les autres membres de la famille, Cormier dit rester positive. « Je pense que je serai à la hauteur de n’importe quel examen, affirme-t-elle visiblement stressée. J’ai pu voir tout le programme de l’année, j’ai étudié, travaillé. J’attends maintenant de faire mes preuves ».

La jeune fille qui espère comptabiliser au moins mille points à la fin des examens n’est toutefois pas la seule avec des parents rigoristes. « Mon père est clair là-dessus, si je ne suis pas admis en NS1, il ne paiera pas une autre année», confie Sam, également en classe de neuvième année fondamentale.

Préoccupé par les déclarations de son père apparemment plus stressantes que les examens eux-mêmes, Sam décide de s’exprimer uniquement sous couvert d’anonymat et en vient à douter de ses capacités. « Je ne suis pas prêt pour les examens, dit-il. Je ne suis même pas sûr de connaître réellement les leçons que j’ai étudiées jusqu’ici ».

Un fait plutôt normal, selon la psychologue Johanne Landrin. « L’élève étant perturbé par ce qui se passe autour de lui, la partie de son cerveau qui est responsable de la concentration et de la mémorisation est envahie par des émotions négatives. Ce qui provoque une sorte de brouillard empêchant l’apprentissage ».

Une année académique particulière

Détonations, pneus enflammés, manifestations et kidnappings. Ce sont des mots qui reviennent bien souvent dans le récit de ces jeunes qui se remémorent leur année académique. Élève au Collège Immaculée Conception, Gaëlle Samantha Cormier se souvient qu’aller à l’école n’a pas toujours été une partie de plaisir.

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« Tout le long de l’année, des cours ont été brusquement arrêtés à cause des gaz lacrymogènes lancés par des policiers. Certaines élèves perdaient connaissance, d’autres avaient des crises d’asthme. Et même quand je ne pleurais pas comme certaines de mes camarades, je tremblais de peur surtout quand j’entendais les tirs dehors ».

Guervens Juste n’a jamais été confronté à ce genre de tableau. Élève de l’institution mixte frère Cornet, les seuls jours où il n’a pas été en cours sont « ceux où il y avait congé ou encore lorsque les tensions sociopolitiques étaient à leur paroxysme ». Pourtant, les moyennes de l’élève ont baissé à presque chaque trimestre. Soit une grande première pour lui, puisqu’il dit « n’avoir jamais eu des problèmes de moyenne à l’école. Mais cette année, j’ai eu énormément de mal à garder le cap ».

Loin d’être insignifiant, cette baisse en dit long sur l’état mental du jeune, selon Landrin. Entre autres éléments, « la performance scolaire d’un enfant est un indicateur clé de son état mental. Autrement dit, si l’enfant a des notes qui baissent continuellement alors que cet enfant est d’habitude brillant, les parents peuvent investiguer au niveau de l’environnement familial, scolaire ou même au niveau du pays pour voir ce qui affecte l’enfant »

Alors qu’elle a évolué toute l’année dans un milieu perturbateur, Cormier ignore si elle a été affectée jusque dans ses notes. « Faute de moyens, mes parents n’ont pas pu retirer mon carnet scolaire de la direction une seule fois au cours de l’année. Parce que j’ai toujours été scolarisée à l’institution, la sœur a accepté que je subisse les épreuves, mais rien de plus ». C’est aussi pour cette raison qu’elle doit réussir, réitère sa mère. Histoire de ne pas avoir à payer deux fois une année pour laquelle elle peine encore à trouver l’argent.

«Toutefois, la performance scolaire ne baisse pas nécessairement avec un environnement perturbateur. Tout dépend de l’enfant », rassure la spécialiste.

Des sacrifices pour une meilleure année

Prévus pour le 19 juillet, les examens officiels pour la neuvième année se dérouleront donc dans un contexte sociopolitique particulier. Entre rareté de carburant, dysfonctionnement des différentes institutions étatiques et plus récemment, l’assassinat de Jovenel Moise, « l’atmosphère n’est pas au beau fixe, estime Johanne Landrin. Mais il faut avancer ». D’autant plus que selon Renan Michel, directeur du bureau des examens d’Etat, « il est impossible pour un élève de manquer les examens ».

« Tous sont ont au courant de l’instabilité sociopolitique, avance Michel. Ainsi, comme le font déjà certains, les parents qui par exemple savent que leurs enfants risquent de ne pas pouvoir traverser Martissant, s’arrangeront pour que ceux-ci séjournent quelque part en ville, le temps de les subir ».

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Numéro un de la Direction départementale, Fritz Dorminvil demeure injoignable. De ce fait, il devient impossible de savoir si les examens seront choisis en fonction des écoles qui n’ont pas pu voir tout le programme à cause des problèmes d’insécurité. Car c’est la Direction Départementale qui choisit sur quelle partie du programme se porteront les examens.

Ne pouvant assurer si ces derniers seront à la portée de tous les élèves ou pas, Renan Michel veut toutefois souligner que les examens doivent avoir lieu le plus tôt que possible. À croire le directeur du Bureau national des examens d’État, cette décision vise à compenser les jours ratés au cours de l’actuelle année scolaire. C’est aussi pour cela qu’« il n’y aura pas de session extraordinaire cette année. Autrement dit, les élèves ajournés prendront part au bac permanent programmé pour décembre prochain, de sorte que la rentrée scolaire puisse avoir lieu dès septembre et que les élèves aient droit à plus de jours de classe ».

Une préparation mentale nécessaire

Ajoutés au stress des examens, les autres soucis du candidat peuvent entraver sa réussite. « Ainsi, l’élève échoue non pas par manque de capacité mais à cause des débordements d’émotions qu’il n’est pas en mesure de gérer tout seul », assure Landrin. Le lobe frontal où sont accumulées l’ensemble des émotions doit donc être libéré.

Cela dit, pressurer ou blâmer l’enfant est une attitude néfaste qui ne l’aidera pas à réussir, mais risque plutôt d’aggraver les choses. D’ailleurs, au lieu de prendre part aux examens comme si tout allait bien ou avec un trop plein de stress, Johanne Landrin invite chaque candidat à « prendre le temps d’évaluer son état mental, faire face à ce qui le tracasse et identifier ses forces de manière à remonter la confiance en soi ». Et pour y parvenir, ils ont surtout besoin d’aide venant notamment des parents.

Rebecca Bruny est journaliste à AyiboPost. Passionnée d’écriture, elle a été première lauréate du concours littéraire national organisé par la Société Haïtienne d’Aide aux Aveugles (SHAA) en 2017. Diplômée en journalisme en 2020, Bruny a été première lauréate de sa promotion. Elle est étudiante en philosophie à l'Ecole normale supérieure de l’Université d’État d’Haïti

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