SOCIÉTÉ

L’air à P-au-P peut rendre malade. Voici les zones à risque.

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La concentration de particules nuisibles dans l’air de la région métropolitaine dépasse largement les seuils estimés comme acceptables par l’Organisation mondiale de la Santé, selon des études consultées par AyiboPost

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La fumée des véhicules motorisés, pour la plupart en mauvais état, les industries, les combustions de fatras à ciel ouvert et les poussières déversent dans l’air de Port-au-Prince des polluants et des particules qui dépassent de très loin les seuils recommandés par l’Organisation mondiale de la santé, selon deux études de l’Université d’État d’Haïti (UEH) consultées par AyiboPost.

L’air dans des zones comme Poste Marchand, Canapé-Vert ou Bourdon renferme deux fois plus de dioxyde d’azote (NO2) que la moyenne de 25 µg/m3 (microgramme par mètre cube) sur 24 heures fixée par l’OMS, d’après un travail scientifique en cours du Laboratoire des sciences pour l’environnement de l’École Normale Supérieure (ENS) de l’UEH.

Le dioxyde d’azote est associé aux maladies respiratoires comme l’asthme.

Les concentrations en excès de ce gaz pour les zones précitées sont respectivement de 53 µg/m3, 50 µg/m3 et 50 µg/m3.

Graphe indiquant le niveau de dioxyde d’azote (NO2) dans l’air dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. | Source : ENS/UEH

Dans les environs du stade Sylvio Cator, la concentration des particules fines (PM10) est de 130 µg/m3, soit environ trois fois plus que le seuil de 45 µg/m3 de l’OMS.

Graphe indiquant le niveau de particules fines (PM10) dans l’air dans la zone métropolitaine de Port-au-Prince. | Source : ENS/UEH

Il faut souligner que les particules fines en suspension dans l’air (« particulate matter », PM, en anglais) sont tellement infimes qu’elles peuvent pénétrer facilement les voies respiratoires.

Ces microparticules, catégorisées comme cancérigènes par l’OMS, peuvent se loger au niveau du poumon, pénétrer le sang, augmentant du coup le risque de cancer de poumon, de cardiopathie, etc.

La qualité de l’air est également mauvaise à la rue Mgr Guilloux, dans les environs de l’Hôpital de l’Université d’État d’Haïti (HUEH).

À cet endroit, l’air renferme une teneur en monoxyde de carbone (CO) évaluée à 5000 µg/m3.

Ces microparticules, catégorisées comme cancérigènes par l’OMS, peuvent se loger au niveau du poumon, pénétrer le sang, augmentant du coup le risque de cancer de poumon, de cardiopathie, etc.

Toxique et dangereux, le monoxyde de carbone dans la zone excède grandement les proportions de 4000 µg/m3 sur 24 heures préconisées par l’OMS.

Pour les particules fines (PM 10, PM 2,5), elles sont respectivement 105 µg/m3 et 17 µg/m3.

La situation inquiète à certains endroits de Delmas.

De janvier à septembre 2020, quatre sites de la commune — Glue Bar and Grill à Delmas 65, Laboratoire national du bâtiment et des travaux publics (LNBTP) à Delmas 33, Siloé et Société nationale des parcs industriels (SONAPI) — ont été investigués par l’Unité de Recherche en Énergie et Technologies alternatives (URETA) de la Faculté des Sciences (FDS) de l’UEH.

Site du Ministère de l’Environnement placé dans l’enceinte de la SONAPI, entre le Boulevard Toussaint Louverture et le Boulevard des Industries.

Au Glue Bar and Grill, la teneur en monoxyde de carbone était de 677,22 μg/m3, puis au LNBTP, Siloe et la SONAPI, elle s’élevait respectivement à 647,93 μg/m3, 545,54 μg/m3 et 486,85 μg/m3.

Il faut souligner que le Ministère de l’Environnement se trouve dans l’enceinte même du site de la Société nationale des parcs industriels (SONAPI) où la hausse de ces polluants a été observée.

Site du Glue Bar and Grill placé au bord de la route de Delmas 65.

Il convient de rappeler que l’OMS préconise 4 µg/m3 comme exposition maximum pour 24 h.

Contrairement au 25 μg/m3 sur 24 heures préconisé par l’OMS, le dioxyde d’azote affichait une hausse vertigineuse au Glue Bar and Grill avec 106,19 μg/m3 et de 561,88 μg/m3 au LNBTP.

Site du Laboratoire National de Bâtiments et de Travaux Publics situé à Delmas 33 aux côtés du Ministère du Travaux Publics Transport et Communication.

Pour le chimiste et enseignant de l’UEH Yvens Chérémond, «ces études montrent que nous sommes face à une pollution assez silencieuse, sournoise, et qui peut tuer des gens».

Il faut, selon le chercheur qui a codirigé l’étude de la FDS, «sensibiliser la population, mettre en place un observatoire qui permettra de monitorer la qualité de l’air afin d’avoir plus de données et avertir les gens en temps réel par rapport au danger».

Site de Siloé situé à Delmas 33 prolongé.

L’usage de moteurs diesel dans la plupart des zones de prélèvements peut contribuer à expliquer les concentrations dangereuses.

Pour Dieuseul Prédélus, spécialiste en physique atomique et moléculaire, enseignant-chercheur à l’École Normale Supérieure de l’UEH, si les concentrations des polluants dépassent énormément les seuils recommandés «c’est parce que nous vivons dans un environnement extrêmement pollué.»

Source : OMS, 2021

4.2 millions de morts prématurées dans le monde en 2019 sont dues à la pollution, selon l’OMS.

Il n’existe pas d’estimations systématiques pour Haïti, mais la confluence de facteurs aggravants, dus à une mauvaise nutrition, aux pollutions et à l’insécurité, engendre différents problèmes de santé publique dans le pays.

«Cette problématique de la pollution de l’air n’est pas valorisée au niveau du ministère de l’Environnement», constate Evans Louis, directeur du département cadre de vie et assainissement au ministère.

En Haïti, lorsqu’on parle de l’environnement, on voit à première vue : gestion des déchets et reboisement. «Cette perception se trouve même à l’intérieur du ministère de l’Environnement», regrette Evans Louis.

Le 23 octobre 2018, l’Organisation panaméricaine de la Santé/l’Organisation mondiale de la santé (OPS/OMS) a fait don de trois pollumètres à la direction cadre de vie et assainissement du ministère de l’Environnement. Une initiative estimée à un montant de 5 000 dollars américains.

Un pollumètre utilisé par le Laboratoire des Sciences pour l’Environnement de l’École Normale Supérieure de l’UEH afin de prélever les différents polluants dans la zone du Champ de Mars.

Le projet consistait à installer ces appareils dans trois départements : l’Ouest, le Nord et le Sud.

Mais, depuis la fin de la mission du conseiller en eau et assainissement de l’OMS, Julio Urruela Roquero qui a dirigé ce partenariat, aucune suite n’a été donnée à l’initiative.

Source : Unité de Recherche en Énergie et Technologies alternatives (URETA) de la Faculté des Sciences (FDS) de l’UEH.

Selon le pneumologue, interniste et responsable de l’hôpital Sanatorium de Port-au-Prince, Jean Ardrouin Esther Louis Charles, les polluants mentionnés par les études de l’UEH peuvent occasionner des «lésions cutanées, de la rhinite qui provoque l’inflammation des voies nasales, de la rougeur au niveau des yeux, de la bronchite chronique, de l’asthme, et même des cas de cancers du poumon ».

Lire aussi : Les gallons d’eau stockés au soleil, un danger pour la santé en Haïti

Le médecin responsable du département de médecine interne de l’HUEH, Kelly Celestin, explique à AyiboPost que « ces pathologies sont très fréquentes au niveau de l’institution. »

Par Jérôme Wendy Norestyl

Image de couverture : Centre de décharge et de combustion de fatras à ciel ouvert à Port-au-Prince


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Journaliste-rédacteur à AyiboPost, Jérôme Wendy Norestyl fait des études en linguistique. Il est fasciné par l’univers multimédia, la photographie et le journalisme.

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