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La policière Marie Christine Jeune avait refusé de serrer la main d’un bandit. Son assassinat n’est toujours pas élucidé.

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Il y a 25 ans que la policière Marie Christine Jeune a été assassinée. Selon Bernard Diederich, un journaliste néo-zélandais qui a vécu en Haïti, la policière avait accompagné le président Aristide lors d’une visite à Cité Soleil le 19 janvier 1996 et son corps sans vie a été retrouvé sur la route de Frères le 19 mars 1996, soit deux mois plus tard. Jusqu’à présent, l’assassinat de Marie Christine Jeune n’a jamais été élucidé

En 1994, la Police nationale d’Haïti vient tout juste d’être créée. Marie Christine Jeune fait partie de la première cohorte de femmes intégrant l’institution. Elle était encore étudiante à l’Institut national d’administration de gestion et des hautes études (INAGHEI).

À l’époque, il y avait une quinzaine de femmes à la PNH, les promotions s’appelaient classe et étaient entrainées pendant quatre mois selon une policière qui connaissait Marie Christine Jeune. « J’étais en 5e et elle était en 6e classe. Il y avait toujours des promotions qui se rencontraient à l’académie », se rappelle la policière.

Marie Christine Jeune était une jeune femme très énergique selon cette policière requérant l’anonymat. « Christine avait le sens de l’humour. Les soirs elle nous faisait rire au dortoir. Quand l’instructeur venait jeter un coup d’œil, elle s’étendait sur son lit, faisant semblant qu’elle n’y était pour rien », se rappelle l’ancienne collègue de Marie Christine Jeune.

En mars 1996, cette jeune femme perdra sa vie par suite d’un incident déroulé en présence du président Jean Bertrand Aristide à Cité Soleil. Bernard Diederich, un journaliste néo-zélandais qui a vécu en Haïti, a rapporté qu’avant cette visite à Cité Soleil, l’armée rouge, un groupe d’hommes armés, proches d’Aristide, avait attaqué une patrouille policière. Deux jours plus tard, le président s’est rendu au bidonville pour faire la paix entre la police et la bande armée. Marie Christine Jeune faisait partie de la délégation qui l’accompagnait.

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« Le président avait demandé à Christine de serrer la main des bandits. Elle avait refusé catégoriquement en lui disant qu’elle fait partie d’une force légale et qu’elle ne peut pas serrer la main d’un bandit », continue la policière qui rajoute que le président Aristide avait appuyé sa main sur le dos de Marie Chritine Jeune en citant son nom deux fois sur un ton effrayant.

Quelques jours plus tard, Marie Christine Jeune a été retrouvée morte. « Elle devait avoir entre 19 et 20 ans. Vraisemblablement, Aristide avait quelque chose à voir avec ce crime parce qu’il a appelé sa fille aînée Christine », analyse l’agent de police.

Marie Christine Jeune a été enlevée puis tuée d’une balle à la tête. Son corps a été retrouvé dans une ravine. Sa mort a choqué la police. « Elle était la deuxième femme tuée de façon tragique au sein de l’institution. Avant elle, il y avait une autre policière dont le conjoint avait tué avec l’arme même de celle-ci », se rappelle l’ancienne collègue de Jeune.

L’enquête se poursuit

Plus d’un pensait que l’assassinat de Marie Christine Jeune venait du groupe l’Armée rouge parce qu’elle a été assassinée quelques jours après sa déclaration à Cité Soleil. Jusqu’ici, aucun membre de ce groupe n’a été interpellé par la Justice.

Selon un reportage de Radio Haïti, ce sont d’anciens militaires et membres du Front révolutionnaire pour le progrès et l’avancement en Haïti (FRAPH) qui composaient l’Armée rouge. Ce groupe basé à Cité Soleil contrôlait plusieurs quartiers de ce bidonville comme Soleil 17, Belekou, Boston et Bas-Boston. Avec leurs armes lourdes ils terrorisaient la population.

Un graffiti hommage

Si jusqu’ici la Justice ne s’est jamais prononcée sur le dossier de Marie Christine Jeune, elle a toutefois été honorée. Danièle Magloire, membre fondateur de l’organisation Kay Fanm explique que des organisations féministes réunies au sein de la Coordination nationale de plaidoyer pour les droits des femmes (CONAP) ont fait toute une campagne pour que Marie Christine Jeune ne soit pas oubliée.

En 2005, le Ministère à la Condition féminine et aux droits des femmes avec à sa tête Adeline Magloire Chancy, a féminisé certaines rues du pays. La rue M a été rebaptisée rue Marie Christine Jeune. Mais ce nom n’a jamais été affiché. « On est dans une société machiste témoigne la militante féministe. Quand il s’agit de femmes, on est toujours prêt à les occulter. Je me rappelle encore quand il y avait cette campagne, on en riait à la radio ».

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Quand en 2016, la mairie de Port-au-Prince faisait l’identification des rues, ce sont les anciens noms des rues qui ont été repris. Selon Anne René Louis, ancienne directrice générale de la municipalité, les nouvelles appellations des rues n’ont guère été affichées parce qu’elles n’étaient pas légales. Aujourd’hui à part dans les archives, il n’y a presque aucune chance qu’une personne qui fréquente la Rue M sache que cette rue a été rebaptisée rue Marie Christine Jeune.

En 2019, lors de la quatrième édition du Festival Graffiti, l’artiste Renel Alexandre alias 2son a peint une image à la rue des marguerites à Turgeau qui plus tard symbolisera l’effigie de Marie Christine Jeune. Selon le graffeur, en général ce sont les hommes policiers qu’on honore. Lui, il a décidé de mettre une femme policière en valeur. Après avoir fait ce portrait, Alexandre a été surpris. « Plusieurs personnes disaient que le portrait ressemblait à Christine Jeune. J’avais déjà entendu parler d’elle, mais je ne pensais pas la peindre. C’est mon imagination qui a tout fait. » Depuis, beaucoup considèrent ce graffiti comme un hommage à Marie Christine Jeune.

Laura Louis

Cet article a été modifié pour notamment clarifier le nom complet de Marie Christine Jeune et adopter un titre qui réflète mieux les faits connus. 3.4.2021 18.50

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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