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La nouvelle banque agricole de Jovenel Moïse est un échec annoncé

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Les précédentes tentatives de l’État dans le domaine se sont effondrées, sans résultats concrets

La Banque Nationale de développement agricole (BNDA) lancée en début d’année doit favoriser la croissance de l’agriculture dans le pays, selon le président de la République, Jovenel Moïse.

Cette structure disposera au départ de 500 millions de gourdes issues du Trésor public afin d’accorder des prêts à ceux qui œuvrent dans ce secteur qui représente 20 % du PIB national.

Cependant, deux experts, dont un ancien gouverneur de la banque centrale, prédisent l’échec de la BNDA, comme ce fut le cas pour plusieurs initiatives similaires entreprises au 20e siècle.

À côté des manquements institutionnels, comme la mauvaise gestion et l’utilisation des fonds à des fins politiques, ils évoquent les problèmes structurels du secteur que sont l’assurance contre les intempéries, la question foncière, la concurrence des produits étrangers ou l’abandon de terres cultivables par leurs propriétaires.

Les tentatives d’Ayibopost pour rentrer en contact avec le directeur du BNDA, Faude Joseph, n’ont pas abouti.

Le naufrage de l’ancêtre de la BNDA 

« C’est un secteur important qui mérite d’être encadré », selon l’économiste Fritz Jean.

Toutefois, l’ancien premier ministre nommé pense qu’une banque agricole à elle seule ne peut faire marcher les machines de l’agriculture. Il rappelle d’ailleurs qu’une telle initiative a déjà été prise dans le pays, mais n’a pas porté de fruits.

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En effet, la BNDA a déjà existé sous le nom de Banque Nationale de développement agricole et industriel (BNDAI). Selon Fritz Jean, l’État haïtien a injecté en vain de l’argent du trésor public dans cette structure créée en janvier 1984 avec espoir qu’elle pourrait être assez performante pour pouvoir trouver des fonds qui lui permettraient de continuer à exister.

« Deux ans avant [sa] fermeture, dit Fritz Jean, des experts au niveau local et international disaient qu’elle ne pourrait pas tenir. Les prêts de la banque étaient accordés à des alliés du pouvoir, aux amis du président et aux ministres. À la fermeture de l’institution en 1989, elle a eu un portefeuille de crédit irrécupérable. »

La discorde foncière

Même avec une bonne gestion, une banque seule ne peut sauver le secteur agricole. Les défis sont nombreux et en tête de liste, vient le problème foncier. « En Haïti, ces problèmes sont connus de tous, avance l’économiste Fritz Jean. Quelqu’un venu de nulle part peut réclamer un terrain sur lequel vous êtes en train de travailler.»

De plus, le terrain d’un agriculteur ne peut pas être hypothéqué en Haïti souligne Gaël Pressoir, doyen de la Faculté des Sciences de l’Agriculture de l’Université Quisqueya. Au final, cette mesure prise sous François Duvalier pour protéger les paysans, a un effet pervers en ce sens qu’elle empêche les agriculteurs d’avoir un collatéral.

« La banque ne vous accordera pas de crédit si elle n’a pas une garantie, explique l’agronome Pressoir. Si on a fait un prêt pour une maison et qu’on n’arrive pas à payer, la banque peut saisir la maison. Il n’en est pas ainsi pour un terrain.  Sur quoi l’agriculteur va négocier si le seul bien qu’il possède ne peut être hypothéqué ? »

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D’autre part, l’agronome fait savoir que la valeur de la terre est strictement attachée à l’immobilier. «L’État ne fait pas payer de taxe pour la non-utilisation de la terre agricole. Il y a des terrains qui pourraient produire des denrées qui malheureusement se trouvent abandonnés par leur propriétaire. L’État attend que ces terres puissent avoir une valeur immobilière pour les taxer. »

Il faut aussi considérer les problèmes d’infrastructures, soulève cette fois Fritz Jean. Selon l’auteur de «Haïti, une économie de violence», parler de secteur agricole ne renvoie pas uniquement à l’achat d’engrais. Il convient de voir également la production, le marché agricole, la qualité des routes pour le transport et la conservation des denrées. « Il est surtout question d’assurances contre les intempéries. »

Selon l’ancien gouverneur de la banque centrale, il n’est pas facile d’effectuer des transactions dans le secteur agricole à cause des politiques menées par les gouvernements en Haïti depuis 1986. Il y a la politique fiscale de l’ouverture des frontières qui rend le secteur agricole extrêmement vulnérable. «Si vous [importez] le riz à 0 %, c’est une concurrence déloyale [contre la production locale]. Alors qu’aux États-Unis, le secteur du riz est protégé et subventionné.»

Pour l’économiste, si la banque agricole de Jovenel Moïse ne fait pas partie d’un plan global qui interdit l’interférence politique et considère les risques internes et externes, elle ne pourra pas développer le secteur. « Car, si la frontière reste ouverte même si l’on donne tout l’argent que l’on veut aux agriculteurs haïtiens, ils ne pourront pas concurrencer avec les produits étrangers.»

Une histoire d’échec

Quoi qu’il en soit, les précédentes structures montées par l’État n’ont pas pu ranimer l’agriculture. La BNDAI par exemple a été précédée de deux autres institutions de financement agricole : l’institut haïtien de Crédit Agricole et industriel (IHCAI) qui a existé entre 1951 et 1960 et l’institut de développement agricole et industriel (IDAI) qui lui-même a assuré entre 1961 et 1984. 

Selon l’article 4 du décret du 11 janvier 1984, la BNDAI pouvait soutenir non seulement des entreprises agricoles, mais aussi des structures œuvrant dans d’autres champs notamment la pêche, l’élevage et exploitation forestière, les mines et carrières. Elle pouvait assister financièrement des entreprises, des coopératives, des conseils communautaires, mais aussi des personnes physiques. Il suffisait de prouver sa solvabilité.

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Malgré ces objectifs ambitieux, la BNDAI échouera. Selon Fritz Jean, bien avant sa fermeture officielle, la banque n’avait plus de trésorerie pour pouvoir continuer à faire des transactions.

Gaël Pressoir partage les préoccupations de l’économiste Fritz Jean. Pour le professeur d’université, au lieu de relancer la banque agricole, il aurait été plus bénéfique si les autorités prenaient des mesures pour que les banques commerciales existantes octroient des crédits au secteur agricole.

« Ces institutions bancaires pourraient commencer par accorder des prêts au secteur à des taux d’intérêt très faible, dit Pressoir. L’avantage c’est que ces banques qui existent déjà ont un portefeuille diversifié. Elles n’investiront pas n’importe comment, ce qui éviterait le favoritisme».

Laura Louis

Laura Louis est journaliste à Ayibopost depuis 2018. Elle a été lauréate du Prix Jeune Journaliste en Haïti en 2019. Elle a remporté l'édition 2021 du Prix Philippe Chaffanjon. Actuellement, Laura Louis est étudiante finissante en Service social à La Faculté des Sciences Humaines de l'Université d'État d'Haïti.

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