En Haïti, pour réaliser les obsèques de leurs proches décédés, les familles dépensent des fortunes. Parfois, les parents vont jusqu’à s’endetter pour sauver la face lors de ces circonstances qui les endeuillent doublement.
La mort de David a plongé toute la famille Délice dans une double peine. C’était avant tout un homme marié, un père de famille et le benjamin de la fratrie Délice. Inconsolable, Giralda Délice, sa sœur aînée, n’en revenait pas que le dernier-né de la famille puisse partir avant tous les autres. Le prix onéreux des funérailles fut l’autre difficulté de la famille. C’est Giralda qui s’est chargée des démarches funèbres. David a laissé derrière lui trois enfants mineurs qui ne pouvaient pas participer aux dépenses. La veuve du défunt et toute la famille Délice ont mis ensemble leurs moyens pour rendre un dernier hommage au feu David.
« Il a passé huit jours dans une morgue que nous avons payé 1500 gourdes par jour », avance Giralda qui ne pleure plus pour son frère croyant qu’il est en paix là où il se trouve. « La mort ne peut effrayer le chrétien », a-t-elle ajouté. La famille Délice est originaire de Jérémie. Très attachés à leur ville natale, les Délice ont transporté le cadavre vers la Grand-Anse.
« Nous n’avons pas eu droit à une fanfare malgré une dépense de 125 000 gourdes qui n’inclut pas le trajet Port-au-Prince-Jérémie », continue Giralda. La famille a déboursé, selon Giralda, environ 25 000 gourdes de plus pour se rendre à Jérémie. Pendant le parcours, il y eut des dépenses pour les frais divers tels que la nourriture et les boissons.
« Quand nous sommes arrivés, nous avons fait les funérailles. Comme le veut la tradition, nous avons organisé une grande réception pour servir tous les riverains du village », dit Giralda. « Si la famille a accepté de consommer au rabais, les voisins, eux, se sont montrés exigeants sous prétexte que l’on débarquait de la capitale. Ils supposaient que nous sommes plus fortunés qu’eux.»
« J’ai dépensé huit à neuf mille gourdes pour la veillée funéraire. Car, l’on peut se faire ridiculiser dans certaines régions rurales, si on ne sert pas à manger après les obsèques », se souvient la femme. Que la famille soit chrétienne ou pas, l’alcool n’est pas négociable lors d’une veillée.
Les funérailles : une question d’argent
« Réaliser des funérailles est un long processus qui n’a pas un prix stable », précise Bénito, membre de l’administration d’une morgue à la Rue de la Réunion. « Les obsèques sont comme les toiles d’un artiste peintre, elles n’ont pas de prix. Nous réalisons des obsèques allant de 75 000 gourdes à un million de gourdes », ajoute Bénito. Soit dit en passant, Bénito précise qu’un parent ne peut oser demander les services de la fanfare pour le prix plancher de 75 000 gourdes.
Réaliser des funérailles est un long processus qui n’a pas un prix stable. Les dépenses commencent dès l’annonce du décès
Les dépenses commencent dès l’annonce du décès. Si la personne trépasse à l’hôpital, les parents s’acquittent d’un frais compris entre trois à quatre mille gourdes pour déplacer le corps du centre hospitalier aux pompes funèbres. La personne qui a contacté en premier l’entreprise funéraire aura 10% sur le coût des funérailles.
Souvent, les parents dépensent un seul montant à la maison funéraire pour tous les services. « Si le défunt a été de foi catholique, la somme exigée par l’église pour dire la messe varie de 5 000 gourdes à 7 000 gourdes. Si la personne a été protestante, la famille pourrait se passer de ces frais », explique Bénito. D’abord, clarifie-t-il, il faut payer le permis d’inhumer au cimetière ou à la Mairie de Port-au-Prince, si le décès a eu lieu dans la capitale.
Chaque entreprise funéraire travaille avec une ou des fanfares. « Selon la distance effectuée entre l’église et le cimetière, 2 000 à 2 500 gourdes sont remises au groupe de musiciens. Après la cérémonie, il ne faut pas moins de 2 500 gourdes pour payer la mise en cave. Si vous sollicitez les services spéciaux d’un croque-mort, il faut le payer à part », toujours selon Bénito qui en plus d’être membre d’administration d’une morgue est aussi croque-mort.
À côté de toutes ces dépenses, les parents doivent, le jour des funérailles, organiser une collation pour la famille et les amis du défunt. Selon la coutume, si la famille n’est pas chrétienne, elle fait un rassemblement quelques jours après l’enterrement, pour une dernière prière. Pendant cette cérémonie, les parents peuvent aussi faire une réception.
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« Si le coût des funérailles est exorbitant, c’est à cause du prix des cercueils », raconte un employé des entreprises Celsis (Ange Bleu) rencontré à Turgeau. Sur un menu que l’entreprise met à la disposition des visiteurs de la pompe funèbre, il est indiqué des cercueils aux prix de 35 000 jusqu’à 350 000 gourdes. « [Le prix des] cercueils varient non seulement en fonction de leur décor, mais aussi du confort qu’ils offrent au corps du défunt », signale-t-il.
L’employé a précisé que l’incinération qui consiste à brûler le corps du défunt peut coûter la même somme, voire moins cher que l’inhumation. « Cela dépend des parents selon qu’ils veuillent se rendre à l’église ou pas. Les cérémonies catholiques entraînent des dépenses plus énormes. »
L’absence de règlements dans l’offre des services funéraires
À la Rue des Casernes, des employés des entreprises Celsis (Ange Bleu) se plaignent de l’absence de régulation du système funéraire en Haïti. « Il y a une dérive au sein du système. Chaque entreprise funéraire fixe son prix sans aucun contrôle de l’État. Les mairies, les églises et les cimetières ont chacun un tarif différent », avance d’un ton sérieux une dame qui n’a pas voulu s’identifier. En effet, la réalisation des obsèques constitue une chaîne dont les églises, les mairies et les cimetières sont des maillons qui doivent se joindre aux pompes funèbres. Celles-ci sont tenues de considérer le coût des services qu’offrent les autres acteurs pour fixer le prix des funérailles.
Chaque entreprise funéraire fixe son prix sans aucun contrôle de l’État. Les mairies, les églises et les cimetières ont chacun un tarif différent
« Il y a aussi une concurrence déloyale dans le milieu. Beaucoup de pompes funèbres n’ont pas de morgue, ajoute l’employée. Elles se servent de celles d’autres entreprises funéraires pour garder les corps au frais. Nous, nous payons les impôts et l’électricité. En plus de cela, le Ministère de la Santé vient toujours inspecter nos chambres. Pourtant, un grand nombre d’établissements fonctionnent sans le moindre contrôle. » Ce mode de fonctionnement, selon elle, devrait être prohibé.
Selon les explications fournies par l’équipe de l’Ange Bleu, c’est l’absence de régulation du système funéraire qui fait grimper le prix des funérailles. En attendant que l’État intervienne, mourir coûte très cher en Haïti, un pays où la majorité de la population vit en dessous du seuil de la pauvreté.
Laura Louis
Photos : Georges Harry Rouzier / Ayibopost
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