CULTURE

La citadelle risque de perdre son statut de patrimoine mondial

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Abandonné par l’État, l’ensemble du Parc national historique se retrouve formellement sans gestion depuis mi-2022

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Sans autorité de gestion depuis près d’un an, le Parc national historique – Citadelle, Sans Souci, Ramiers (PNH-CSSR) se trouve physiquement dans un état critique, révèlent à AyiboPost des responsables au courant de la situation.

Si ce problème persiste, «le parc sera déclassé de la liste des patrimoines de l’humanité», avertit Marc-Donald Vincent, responsable logistique au sein de l’Autorité de gestion du Parc national historique (AGP-Pnh).

En réalité, l’AGP-Pnh qui assurait la gestion permanente du Parc n’existe plus depuis juillet 2022, rapporte Vincent à AyiboPost.

Si ce problème persiste, le parc sera déclassé de la liste des patrimoines de l’humanité.

Créée en octobre 2018 avec le support de l’UNESCO dans le cadre du Programme d’appui au secteur touristique (PAST) financé par la Banque mondiale, l’AGP-Pnh est considérée comme l’organe technique du comité interministériel de gestion, qui a été créé en 2012.

L’AGP-Pnh devait travailler sur le terrain afin de préserver et développer le Parc sous les aspects environnemental, économique et social, entre autres.

«Aujourd’hui, l’autorité de gestion est dysfonctionnelle et l’environnement du Parc est lamentable alors que les autorités de l’État gardent le silence», déclare Vincent, détenteur d’une maitrise en gestion de projet.

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L’État haïtien devait prendre sur son budget la charge de l’initiative à la fin du projet. Jusqu’à présent, les alertes transférées au ministère de la Culture dirigée par Emmelie Prophète restent sans réponses, selon des membres de l’AGP-Pnh.

Le Parc national historique, regroupant la Citadelle Laferrière, le Palais Sans-Souci et les Ramiers, siège dans la liste des 900 biens culturels du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1982.

Aujourd’hui, l’autorité de gestion est dysfonctionnelle et l’environnement du Parc est lamentable alors que les autorités de l’État gardent le silence.

Selon l’entité des Nations Unies, «ces monuments d’Haïti (…) qui remontent au début du XIXe siècle, époque où la République proclama son indépendance, sont chargés d’un symbolisme universel, car ils sont les premiers à avoir été bâtis par des esclaves noirs ayant conquis leur liberté.»

Bien que rare, le délisting fait partie des décisions pouvant être prises par l’UNESCO. Depuis 2007, trois biens se situant en Allemagne, à Oman et au Royaume-Uni ont subi le coup de cette décision.

Le dernier délisting remonte à juillet 2021, lorsque l’UNESCO a décidé de retirer la ville de Liverpool de sa liste des sites classés. La mesure était justifiée par le surdéveloppement de son port emblématique de l’époque industrielle. Selon les jurés, cités par TV5, les plans de réaménagement du lieu, dont de très hauts immeubles et un nouveau stade de football pour le club d’Everton, risquaient «d’endommager le patrimoine de manière irréversible».

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«Il est trop tôt pour parler de déclassement [dans le cas d’Haïti]», déclare à AyiboPost Elsoit Colas, directeur technique de l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine national. Cependant, poursuit le cadre de l’ISPAN, « des difficultés de toutes sortes affectent le fonctionnement du Parc».

Depuis 2007, trois biens se situant en Allemagne, à Oman et au Royaume-Uni ont subi le coup de cette décision.

Le Parc national historique – Citadelle, Sans Souci, Ramiers s’étend sur une superficie de 25 km carrés dans les communes de Dondon, Milot, Plaine du Nord et Grande Rivière du Nord. Il a été créé par arrêté présidentiel en août 1978.

À l’époque, les différents monuments du Parc n’ont fait l’objet d’interventions que de façon sporadique sous différentes administrations, dont celles de Sténio Vincent en 1934 et 1940 et de Paul Eugène Magloire au début des années 1950.

De 1979 à 1990, l’ISPAN a entrepris d’importants travaux de réaménagement, en collaboration avec le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), afin de préserver la Citadelle. Ces efforts ont empêché sa destruction qui semblait alors imminente.

Ces monuments d’Haïti (…) qui remontent au début du XIXe siècle sont chargés d’un symbolisme universel, car ils sont les premiers à avoir été bâtis par des esclaves noirs ayant conquis leur liberté.

Crée en 1979, l’ISPAN assurera bon gré mal gré la préservation des différents monuments pendant plusieurs années.

Mais, deux problèmes majeurs vont rendre cette gestion inefficace, selon Eddy Lubin, chargé de mission pour l’ISPAN pour la zone nord.

D’abord, explique Lubin à AyiboPost, l’institution s’intéresse beaucoup plus à l’aspect «bâti» des monuments. Ce qui ne représente qu’une partie du travail. Étant donné qu’il s’agit d’un Parc habité, il y a nécessité de considérer à la fois les monuments, les espèces animales et végétales, mais aussi les personnes qui habitent l’espace.

Le deuxième problème, relate Lubin, concerne le budget insuffisant de l’ISPAN.

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«Les différents troubles sociopolitiques qu’a connus le pays à la fin des années 1990 et au début des années 2000 peuvent expliquer un certain délaissement de ces monuments par les autorités», analyse Eddy Lubin.

Plus tard, le tremblement de terre de 2010 va fragiliser encore plus la structure des différents monuments du Parc.

Jusque-là, il n’existait pas un plan de gestion en bonne et due forme pour le Parc. Encore moins une autorité chargée de sa gestion quotidienne.

«Çà et là, on faisait de petites interventions, mais sans grande consistance», déclare Marc-Donald Vincent, responsable logistique au sein de l’AGP-Pnh.

Il n’existait pas un plan de gestion en bonne et due forme pour le Parc. Encore moins une autorité chargée de sa gestion quotidienne.

Des conflits incessants entre les habitations du Parc, la mauvaise gestion des ressources, la dégradation de l’environnement, le manque de coordination dans les actions des usagers, constituaient autant de facteurs qui mettaient en péril l’existence du Parc.

«À ce moment, un danger planait sur l’intégralité de l’ensemble monumental», analyse Vincent.

En décembre 2009, l’UNESCO, à travers le Centre du patrimoine mondial, a accordé aux autorités haïtiennes un délai de quatre ans afin qu’elles répondent à un ensemble de critères d’évaluation.

«Autrement dit, pour conserver son statut de patrimoine mondial, le Parc national historique devra répondre à une série de conditions impliquant un ensemble d’actions qui doivent être entreprises dans les meilleurs délais en vue de sa mise aux normes de la convention du patrimoine mondial», lit-on dans le onzième bulletin de l’ISPAN paru en avril 2010.

La cartographie du Parc, la définition légale de son statut, son plan de gestion, etc. étaient parmi les recommandations.

Des conflits incessants entre les habitations du Parc, la mauvaise gestion des ressources, la dégradation de l’environnement, le manque de coordination dans les actions des usagers, constituaient autant de facteurs qui mettaient en péril l’existence du Parc.

En 2014, pour un montant de 21 millions de dollars américains, la Banque mondiale, à travers l’UNESCO, l’ISPAN et l’Unité technique d’exécution (UTE) lancent le Projet d’Appui au Secteur touristique (PAST). Les objectifs de ce projet étaient, entre autres, d’accroître l’attractivité des sites culturels du Nord, d’améliorer le cadre de vie pour les résidents vivant dans le Nord, etc..

La création d’une autorité permanente qui devra s’assurer de la gestion quotidienne du Parc ainsi que l’élaboration d’un plan de gestion du Parc faisaient partie des recommandations spécifiques faites à l’État haïtien dans le cadre de ce projet.

Pour la première fois depuis son inscription sur la liste de patrimoine de l’humanité en 1982, le parc allait être doté d’une autorité de gestion, en octobre 2018. Cette structure était constituée notamment de représentants de différents ministères dont celui de la culture et du tourisme, des agents de sensibilisation et sociaux.

Pour la première fois depuis son inscription sur la liste de patrimoine de l’humanité en 1982, le parc allait être doté d’une autorité de gestion, en octobre 2018.

De 2018 à 2022, l’Autorité de gestion du Parc va entreprendre un ensemble d’initiatives qui visent la conservation du patrimoine, l’arbitrage des conflits entre les différentes habitations évoluant au sein du parc et l’exploitation touristique.

«Il était convenu que l’État haïtien, à travers la mise sur pied de cette structure, puisse apprendre les leçons que lui offre l’expérience afin de la reproduire ailleurs, dans les autres monuments du pays», explique Olange Pierre, gestionnaire au niveau de l’AGP-Pnh.

À la fin du projet en 2022, les autorités de l’État haïtien étaient censées assurer la relève et poursuivre les initiatives en cours, notamment en favorisant la continuité du fonctionnement de l’autorité de gestion du Parc.

«Ceci n’a pas été fait», regrette Olange Pierre. «Aujourd’hui, l’AGP-Pnh est dysfonctionnelle et le Parc est livré à lui-même, abandonné par les autorités», révèle-t-il à AyiboPost.

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Elsoit Colas, directeur technique de l’ISPAN affirme que la situation sociopolitique et sécuritaire du pays ainsi que les différents épisodes de «peyi lòk» ont rendu la tâche de plus en plus difficile pour les équipes techniques.

Aujourd’hui, l’AGP-Pnh est dysfonctionnelle et le Parc est livré à lui-même, abandonné par les autorités .

«Si cette situation de crise dure encore pendant les deux à trois prochaines années, je crains que les exigences de l’UNESCO ne deviennent de plus en plus sévères », déclare Colas.

Entre-temps, selon des responsables contactés par AyiboPost, l’absence de l’autorité de gestion se fait sérieusement sentir au sein du Parc : les conflits entre habitations ont repris et l’insécurité y bat son plein.

De plus, l’urbanisation incontrôlée des communes limitrophes du Parc, le vandalisme, les mauvaises pratiques agricoles mettant des espèces animales et végétales en grand danger, ainsi qu’une pression de plus en plus accentuée sur les ressources, à cause de la précarité des habitants, constituent autant d’éléments menaçant l’existence du Parc.

Jusqu’à présent, les alertes transférées au ministère de la Culture dirigée par Emmelie Prophète restent sans réponses.

«Je ne peux pas dire que [le Parc] n’est pas géré, mais c’est une gestion très mal faite» déclare à AyiboPost Thélémaque Henry Claude, maire de la commune de Milot. «Au niveau de la mairie, nous ne pouvons rien faire sans passer par l’ISPAN et les ministères de la Culture et du Tourisme, explique l’édile qui regrette que ces autorités «n’aient pas toujours montré une réelle volonté d’agir.»

Dans une note de presse sortie après la publication de cet article, le Ministère de la Culture et de la communication annonce la création d’une nouvelle structure de gestion du Parc en remplacement de l’AGP-PNH. Dans le prochain budget 2023-2024, des ressources seront allouées à cette structure de gestion introduite en avril 2023, peut-on lire dans la note.

Il n’est pas clair pourquoi aucun des intervenants contactés par AyiboPost au sein de l’État ou dans la municipalité n’est au courant de la création de cette nouvelle structure.

Par Wethzer Piercin


Visionnez notre émission spéciale AyiboLab réalisée en avril 2023, qui met en avant la résilience et les résultats positifs de la station balnéaire de Labadie malgré le contexte d’insécurité qui sévit en Haïti:


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Wethzer Piercin est passionné de journalisme et d'écriture. Il aime tout ce qui est communication numérique. Amoureux de la radio et photographe, il aime explorer les subtilités du monde qui l'entoure.

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