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Jovenel Moïse écarte 3 juges. Depuis, les dossiers impliquant ses proches sont à l’arrêt.

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\Le président n’avait pas renouvelé le mandat de trois juges qui s’occupaient de dossiers sensibles, malgré l’avis favorable du CSPJ

Au mois de janvier 2021, comme le veut la loi du 13 novembre 2007, le président de la République Jovenel Moïse publie la liste des juges ayant leurs mandats renouvelés et les nouvelles nominations au sein du système judiciaire haïtien.

L’exercice occasionne un scandale. Les noms de Chavannes Etienne, Emmanuel Vertilaire et Jean Wilner Morin, trois juges travaillant sur des dossiers sensibles impliquant des proches du pouvoir, ne figurent pas sur la liste, alors qu’ils jouissaient d’un avis favorable du Conseil supérieur du pouvoir judiciaire.

Le juge Chavannes Etienne du tribunal de Première instance de Port-au-Prince instruisait le dossier du massacre de La Saline. Deux anciens officiels de l’administration de Jovenel Moïse sont épinglés dans cette affaire.

Le juge Emmanuel Vertilaire du tribunal de Première instance du Cap-Haïtien instruisait l’affaire de l’attentat du « Café trio ». Des individus y avaient fait feu lors d’une conférence-débat animée par les sénateurs Youri Latortue et Jacques Sauveur Jean sur la dilapidation des fonds Petrocaribe, le 28 avril 2018. Au moins un mort et plusieurs blessés ont été alors enregistrés. Le délégué de Jovenel Moïse dans le Nord, Antonio Jules est épinglé dans ce dossier.

Le juge Jean Wilner Morin s’occupait d’un dossier de crime financier impliquant la compagnie JJ Construction. Cette firme se trouve mouillée dans la dilapidation des Fonds PetroCaribe.

Des dossiers immobilisés

Les affaires qu’instruisaient les magistrats Chavannes Estienne et Jean Wilner Morin sont jetés dans les tiroirs de l’oubli depuis le non-renouvellement de mandat des juges susmentionnés.

Dans l’affaire Café Trio, le juge Emmanuel Vertilaire avait déjà rendu son ordonnance en juillet 2019. Les raisons du manque de réactions de la justice ne sont pas claires.

Légalement, le magistrat doit mettre les dossiers qu’il traitait à la disposition du doyen du tribunal de Première instance de sa juridiction. Ce dernier les passe alors à un autre juge qui aura à continuer l’enquête et prendre des décisions.

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Quatre mois après le non-renouvellement de son mandat, le juge Chavanne Etienne regrette que le dossier de l’instruction sur le massacre de La Saline soit encore dans son carré et n’ait pas été sollicité par le doyen. 71 personnes au moins ont été assassinées, le 13 novembre 2018, lors de ce carnage.

Fednel Monchéry, ex-directeur général du ministère de l’Intérieur et des Collectivités territoriales et Joseph Pierre Richard Duplan, ex-délégué départemental de l’Ouest, représentant du président Jovenel Moïse, sont cités comme instigateurs du massacre.

Après avoir renvoyé l’ancienne conseillère électorale Yolette Mengual devant le tribunal criminel pour corruption, le juge Jean Wilner Morin ne peut confirmer aucun avancement dans le dossier de crime financier de la compagnie JJ Construction. Cette compagnie aurait vendu des services surfacturés à l’État haïtien. D’anciens responsables de l’État comme Jean Max Bellerive et Laurent Salvador Lamothe sont empêtrés dans ce dossier.

Le CSPJ en panne d’autorité

Dans une note publiée le 26 janvier 2021, l’Association professionnelle des magistrats avait dénoncé le fait que le président de la République ait choisi unilatéralement de ne pas renouveler le mandat de certains juges alors que, conformément à la loi, ils ont reçu un avis favorable du CSPJ.

En vrai, le renouvellement du mandat d’un juge dépend uniquement du bon vouloir du président de la République. La loi du 13 novembre 2007 qui organise ces questions ne confère pas au CSPJ ce pouvoir.

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Sous couvert d’anonymat, un membre du CSPJ explique qu’un juge dont le nom n’est pas choisi par le président peut attendre une nouvelle année ou un changement de régime pour voir son mandat renouvelé dans le système.

Dans ces situations le nouveau juge délégué sur le dossier en cours de traitement par l’ancien magistrat ne peut que recommencer l’instruction en mettant de côté tout le travail déjà réalisé par son prédécesseur.

Une domination sans partage

La loi haïtienne interdit aux juges de pratiquer d’autres professions, sinon l’enseignement.

En décidant de ne pas renouveler le mandat d’un juge malgré l’avis favorable du CSPJ, l’exécutif assoit sa domination sur le système judiciaire et rappelle aux juges qu’ils peuvent facilement tomber dans le chômage.

Ceci n’est pas le cas pour le magistrat Jean Wilner Morin et Chavannes Etienne puisqu’ils ont été à la fois, juge d’instruction et juge de siège. En perdant leur poste de juge d’instruction, ils restent quand même dans le système comme juges de siège.

Chita Pale | La vie n’a aucune valeur pour le régime PHTK. Leur unique but c’est de rester au pouvoir.

Le cas du magistrat Emmanuel Vertilaire est bien différent. Après avoir rendu son ordonnance dans l’affaire de Café Trio en juillet 2019, son mandat de juge de siège n’a pas été renouvelé au mois d’octobre suivant.

Puis, en janvier 2021 c’est son mandat de juge d’instruction que Jovenel Moïse refuse de renouveler.

Aujourd’hui, Vertilaire confie ne pouvoir rien faire sinon attendre. Dans l’attente, le CSPJ continue à lui fournir son salaire et les privilèges liés à ses fonctions de magistrat.

Pour Wilner Morin, le non-renouvellement des juges traduit la volonté du chef de l’État de faire traîner certaines affaires ayant rapport aux crimes financiers.

Un juge « d’instruction de caractère » est habilité à auditionner n’importe qui sans l’autorisation du président, dit Me Morin. Ce pouvoir extensif peut rendre certains mal à l’aise dans les plus hautes sphères du pouvoir.

Photo de couverture : Valérie Baeriswyl

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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