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Le gros chèque de la mère de Youri Latortue révèle un grave problème au Sénat

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Il s’agit d’une porte ouverte sur la corruption, le détournement de fonds et les abus

Un chèque de plus de 800 000 gourdes destinées à Carmen Immacula Cantave tournait en boucle sur les réseaux sociaux à la fin du mois de février 2021. Cette octogénaire est la mère de l’ancien président du Sénat et ancien président de la commission éthique et anticorruption du Grand Corps, Youri Latortue.

Elle recevait cette somme comme coordonnatrice du bureau départemental de son fils, ancien sénateur du département de l’Artibonite, a dévoilé l’ancien sénateur qui, lors d’une conférence de presse sur le dossier, avait souligné que ces genres de décaissements sont conformes aux règlements intérieurs du Sénat haïtien.

Le 3 mars 2021, le bureau du Sénat dirigé par le sénateur du sud-est Joseph Lambert réagit et indique être : « vivement préoccupé par un dossier qui, sous la forme d’une copie de chèque, roule en boucle sur les réseaux sociaux dans la nette intention d’embarrasser un ancien président du Grand Corps et d’entacher la réputation de l’institution ».

Dans sa note de réaction, le Sénat confirme qu’effectivement le Sénat, d’habitude, verse des frais à de tierces personnes en vue du fonctionnement des bureaux régionaux de chaque sénateur :

« Chaque sénateur a un bureau départemental siégeant au chef-lieu du département. Ce bureau s’alimente financièrement au budget du Sénat pour son fonctionnement et la rétribution du personnel. Il incombe au sénateur et à lui seul, de désigner une personne de confiance comme coordonnateur de ce bureau, lequel coordonnateur signe un contrat avec le Sénat. Ce contrat, une fois validé par la Cour supérieure des comptes et du Contentieux administratif, est acheminé au ministre des Finances pour l’émission du chèque mensuel strictement destiné au paiement du personnel et au fonctionnement du bureau ».

Eau trouble

Le secrétaire général aux affaires administratives du Sénat Donald Julien révèle que, pour entretenir son bureau départemental, chaque sénateur a droit à une rubrique dans le budget du Sénat. Pour y avoir accès, le sénateur doit effectivement choisir un coordonnateur qui aura un salaire de 400 000 gourdes par mois et un coordonnateur adjoint qui aura 350 000 gourdes mensuellement.

Ainsi, avec son titre de coordonnatrice du bureau de son fils sénateur, l’octogénaire devait avoir un salaire de 400 000 gourdes par mois. Cumulés sur les quatre mois mentionnés sur le chèque à savoir : octobre, novembre, décembre 2019 et janvier 2020, la dame aurait dû recevoir 1 600 000 gourdes et non les 838, 305. 55 gourdes qui figurent sur le chèque.

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Techniquement donc, les 838 305. 55 gourdes ne sont même pas la moitié de ce que Cantave devait percevoir comme coordonnatrice départementale. Les tentatives pour entrer en contact avec l’ancien sénateur Youri Latortue restent infructueuses.

Sans contrôle ni garantie

Selon les chiffres communiqués à AyiboPost par Donald Julien, le Sénat débourse mensuellement 750 000 gourdes pour payer d’éventuels personnels engagés, dans chaque bureau départemental d’un sénateur.

Avec 30 sénateurs en temps normal, le payroll des bureaux départementaux s’élève à 22 500 000 gourdes mensuellement.

Une fois le contrat signé avec ces tierces personnes, choisies au gré du sénateur, le Sénat de la République ne prête aucune attention à l’utilisation de cette somme, rappelle Donald Julien.

Aucune structure visant à contrôler les dépenses ni à vérifier si le sénateur engage vraiment du personnel dans ce bureau n’est mise en place par le Grand Corps.

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L’ancien président de la structure, Ronald Larèche souligne que des parlementaires en sortent souvent victimes. « Imaginez la tête d’un coordonnateur qui signe avec le Sénat et qui, quelques mois plus tard, reçoit en son nom, un chèque de plus d’un million de gourdes pour le paiement des contractuels du bureau départemental ». Ce coordonnateur peut prendre la poudre d’escampette, ce qui obligerait le parlementaire à utiliser ses propres fonds pour payer le personnel.

Une nomination de ce coordonnateur au niveau de l’État, peut aussi causer des entorses au parlementaire qui y plaçait sa confiance, indique aussi Ronald Larèche. Le sénateur du nord-ouest Kedlair Augustin en aurait fait la fâcheuse expérience au mois d’août 2019.

Joint au téléphone, le sénateur explique avoir proposé au Senat sa secrétaire comme coordonnatrice de son bureau départemental. Cependant, selon lui, cette secrétaire s’est laissé manipuler par des adversaires politiques pour accuser le sénateur de l’avoir utilisé pour vider les caisses de l’État. Pourtant, il s’agissait du principe d’un coordonnateur qui reçoit l’argent du Senat pour pouvoir payer les contractuels des bureaux départementaux.

À pas de tortue

Devant ce boulevard propice à la corruption, au détournement de fonds et aux abus, le Parlement envisage de construire lui-même des bureaux départementaux afin d’offrir un espace de travail aux trois sénateurs et aux députés dans chaque département afin d’implanter la présence du législatif dans les régions, mais aussi de diminuer les dépenses et les risques de surfacturation.

Une fois ces structures implantées, les sénateurs n’auront pas à choisir les membres de leurs bureaux respectifs, souligne Donald Julien. Le personnel aura directement affaire au Senat de la République et travaillera pour toutes les législatures.

Le Parlement envisage de construire lui-même des bureaux départementaux afin d’offrir un espace de travail aux trois sénateurs et aux députés dans chaque département afin d’implanter

Déjà, des travaux sont entrepris dans les différents départements en vue de la construction de ces bureaux selon le secrétaire général aux affaires administratives du Sénat.

L’ancien sénateur du nord-est, Ronald Larèche qui a présidé le Sénat en 2016 rappelle que quatre de ces constructions sont déjà terminées dans les départements du Sud, du Sud-Est, du Centre et des Nippes. Dans le Sud, cette représentation du Parlement sert de local à la mairie de la ville depuis le passage de Matthew en 2016.

Samuel Celiné

Poète dans l'âme, journaliste par amour et travailleur social par besoin, Samuel Celiné s'intéresse aux enquêtes journalistiques.

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