J’attendais dans l’aéroport de Point-à-Pitre ma connexion vers Haïti. Écouteurs roses aux oreilles, mains manucurées en bleu électrique pianotant sur l’écran de mon I-Pad mini, jeans et converses noirs, t-shirt ayant en grand plan le signe du majeur et la phrase « I don’t give a fuck ! », cheveux châtains clairs onduleux que le brushing de la veille n’avait pas su assouplir, chewing-gum à la bouche, avec un visage renfrogné exprimant haut et fort ma frustration; voilà la parfaite description qui correspondait à cette adolescente que j’étais à l’époque, mais je n’avais qu’un mantra en tête comme guise de présentation sur ce blog que j’avais créé spécialement pour parler de ma mauvaise aventure : « Je suis Kim, 16 ans, British et ma mère comme punition m’a exilée en Haïti ».
Haïti… un pays que je n’avais connu que dans les souvenirs que me contait souvent maman, cette presqu’île ne représentait cependant pour moi qu’un bout de terre perdu dans la mer des Caraïbes. Mais nous avions au moins un point en commun : j’étais moi aussi une île perdue dans le grand océan de la vie. Née d’une mère Haïtienne qui avait quitté son pays depuis son enfance et d’un père Britannique, il m’arrivait souvent de manquer de repères : parlant couramment d’un côté le français et l’anglais et comprenant le créole de l’autre, je me sentais le plus souvent prise entre deux mondes, dans lesquelles je n’avais pas tout à fait ma place. Prenant le tatouage que je m’étais fait au poignet et mon piercing au nombril comme des signes d’alarme d’un comportement autodestructeur maman s’était mise en tête que « m’exiler » sur « notre » terre d’origine serait l’excellent moyen de dompter mon coté rebelle mais également une « retraite » qui me permettrait de voir plus claire en moi même, sur qui j’étais vraiment et qui je voudrais devenir…
L’ennui total !
Je portais des couches la dernière fois que j’étais venue en Haïti ! Et voilà que je m’y rendais seule, et que j’allais y passer un mois entier avec une famille que j’ai hérité du côté maternel et que je connaissais peu !
Vous pouvez donc imaginer l’état d’esprit dans lequel j’étais lors de mon arrivée dans cette « prison » comme je surnommais Haïti…
Mais voyez-vous… en aucun cas je n’aurais imaginé la tournure que prendraient les événements… Après mes premières journées de frustration passées à faire la gueule dans la chambre que je partageais avec une cousine de mon âge qui n’était pas du tout ravie d’avoir une colocataire étrangère et aussi désagréable que moi (je l’admets), je suis véritablement tombée sous le charme de cette presqu’île lors de ma visite dans le Sud.
Connaissez-vous cette sensation d’euphorie que l’on ressent lorsqu’on pose ses yeux pour la première fois sur cette personne qui sera la cause de notre plus grand béguin ? Et bien c’était exactement ce que j’ai ressenti quand accoudée à la fenêtre de la jeep familiale je regardais ébahie ce paysage pittoresque qui s’offrait à moi ! La chevelure des cocotiers, le clin d’œil bleuté de la mer, les robes pourpres des hibiscus…
je ne pouvais plus garder un visage renfrogné face à autant de merveilles, ma cousine Chloé qui avait sans doute remarqué mon sourire béat me dit d’une voix pleine de fierté » c’est diffèrent de Londres n’est-ce pas ? « — » J’adore ! « me contentai-je de dire avec enthousiasme. » Tu n’as encore rien vu ! » répliqua-t-elle .
Et elle ne croyait pas si bien dire ! Le Jardin Botanique des Cayes fut vite immortalisé sur les photos que je mis instantanément sur mon compte Instragram, et je laissai l’après-midi même mon empreinte dans la chute de Saut Mathurine en faisant du cliff diving sous les regards apeurés de mon oncle et ma tante et celui admiratif de Chloé. Cette dernière ayant vu finalement en moi une alliée partagea avec moi à Gelée son plat préféré le lambi boucané que j’étais un peu réticente à goûter. Cette cousine qui avait été à mon arrivée rébarbative se transforma en l’espace d’un week-end en ma meilleure amie : à l’ombre des cocotiers nos pieds enfouis dans les sables blanc et fin de Port-Salut, elle me parla de son train-train quotidien à Port-au-Prince, de sa passion pour le tourisme local qu’elle me faisait découvrir et des amis qu’elle comptait me présenter à notre retour à la capitale : « tu as un petit ami à Londres ? » — » Heu non… » — » super ! J’ai le bon ami de mon menaj qui pourra être ton cavalier pour le bal de T-vice « — » Heu Chloé… que signifie menaj et T-vice ? « — » Kim ! J’ai tant de choses à t’apprendre sur Haïti ! fit-elle en bouffant de rire ».
Je suis certaine que nos cris et éclats de rire retentissent toujours de cette anecdote dans la grotte de Port à Piment…
À notre retour dans la capitale, Chloé me présenta comme promis à ses amis et des amis elle en avait plein ! Elle faisait toujours en sorte que je l’accompagne à leurs get-together de Pizza Garden ou encore aux fameuses soirées DJ de Tara’s et bien entendu au fameux bal où je tombai sous le charme du konpa dans les bras de Lucas…
Je me retrouve un an plus tard dans l’aéroport de Point-à-Pitre attendant ma connexion vers Haïti. Écouteurs roses aux oreilles, mains manucurées en bleu électrique pianotant sur l’écran de mon I-PAD min, jeans et converses noirs, débardeur blanc ayant en grande lettre rouge « Haïti se la pou’w la » — un souvenir de l’été dernier — cheveux châtains clairs que je porte fièrement de façon ondulée pour montrer que j’assume mon coté métisse, chewing-gum à la bouche, sourire aux lèvres tandis que je prends la pose pour un selfie que je partage instantanément avec ma cousine et mon menaj Lucas sur Instagram et mon blog ayant pour notification cette phrase : « je suis Kim, 17 ans, British et j’ai supplié ma mère de me renvoyer dans ce pays magique que l’on appelle Haïti !! »
Milady Auguste
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