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Je ne porterai pas de noir

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S’il vous plait, ne portez pas de noir ! Je sais que cette demande est inhabituelle et même insolente vu les circonstances, mais je vous en supplie, ne portez pas de noir !

Sombre, mon cœur l’est déjà, alors n’en rajoutez pas. Je n’ai pas besoin de vêtement noir pour me rappeler que je viens de perdre un être cher. N’en rajoutez pas, je vous en conjure. Pas de noir, n’amenez pas votre curiosité morbide pour assister au «  spectacle » et vous délecter de l’histoire des circonstances de sa mort.

Et, s’il vous plait, ne jouez pas cette musique affreuse que je déteste de toutes mes forces : « Si la mer se déchaine». Sous aucune forme, pas même en capella, ou même interprété par la plus belle voix qui puisse exister, je ne pourrai pas résister et je pleurerai en écoutant ces paroles désespérées et tristes. Je croulerais et je sombrerais sans aucun doute. Vous n’auriez pas trouvé pire instrument de torture.

Ne venez pas avec vos œillets, pitié ! Gardez-les pour vous. Je n’ai pas besoin de fleurs pour me rappeler que j’ai perdu un être cher. Je vous assure que je n’oublie pas, même pendant une seconde. La douleur inimaginable que je ressens dans chaque parcelle de mon être m’empêche d’oublier. Je vous assure que son absence me le rappelle constamment.

Si l’envie vous prend d’apporter des fleurs, amenez des roses, des lys, des lilas, des anthuriums blancs,  roses… c’est simple, apportez de jolies fleurs. Ce n’est pas trop demander, non ?

Votre présence seulement en dit beaucoup, evitez-moi donc vos excès en réconfort. Ne me sortez pas ces  mots piquants et monstrueux : «  Mes condoléances ». Je sais que vous vous mettrez à la file indienne, attendant chacun votre tour pour m’insuffler vos sympathies et m’aider à surmonter ce moment difficile. Quand vous me donnerez la main ou m’embrasserez, s’il vous plait, ne me dites pas « Mes condoléances».  Je peux vous assurer que ça ne me consolera  pas.

 Ne venez  jouer aucun spectacle. Je souffre déjà. Ne jetez pas vos pleurs de crocodiles sur son cercueil. Ne dites pas que vous l’aimiez si ce n’était pas le cas. Elle n’était pas parfaite, je ne m’en étonne pas, elle était humaine. Je dis juste que vous n’êtes pas obligé, parce qu’elle est morte, de prétendre des sentiments que vous n’aviez pas à son égard de son vivant. De toute manière, elle n’est plus.

Ne rabattez pas mes oreilles avec des phrases toutes faites reprochant l’insécurité grandissante dont tout le monde a conscience, ou encore l’irresponsabilité de l’état, ou le fait que les hôpitaux ne soient pas équipés comme il faut. Je ne pourrai pas écouter ces futilités. Hier la situation était comme ça  et demain elle le restera, et sincèrement, les problèmes du pays, représentent le cadet de mes soucis. Je suis en train de dire adieu à un être cher, ça ne se voit pas ?!?

Racontez-moi une chose hilarante qu’elle avait dite ou faite. Parlez-moi d’une facette d’elle que je ne connaissais pas. Venez avec des photos d’elle gamine, souriante ou en plein fou rire. Elle avait tellement un beau sourire.  Jouez ces musiques qu’elle adorait. Sinon, je vous en conjure, taisez-vous !

Portez vos plus beaux vêtements de couleur gaie, parlez-moi sans cesse d’elle. Faites-moi rire en réalisant pour la énième fois combien elle était unique. Cette dame était un phénomène ! Faites-moi rêver d’elle avant de fermer pour toujours ce cercueil.

Ne vous estomaquez pas quand vous me surprendrez en train de rire, toute seule, dans mon coin.  Je n’ai pas pris de «  drogue » je ne suis pas en train de « perdre la tête » peut-être qu’à ce moment je me rappellerai d’une chose amusante qu’elle faisait. Ou même, peut-être que je me rappellerai de cette manie exaspérante qui m’énervait tant…

Ne portez surtout aucun commentaire sur le choix de la couleur de mes vêtements.  Elle aimait me voir porter cet ensemble. Et je veux lui faire plaisir, une dernière fois.

Ah ! Vous vous étonnez… oui je me suis maquillée et j’ai mis ce rouge à lèvres que vous qualifiez de « pas approprié pour l’occasion ». Elle m’avait dit qu’il m’allait très bien.

Dernière chose, si toutefois je ne pleure pas, ne venez pas me forcer. J’ai le droit de croire qu’en fin de compte, tout ceci n’est qu’une farce et qu’elle essaie juste de me faire une mauvaise blague. Quand je rentrerai ce soir, elle m’ouvrira la porte et me dira en pouffant de rire : « Gad janm pran w » je lui répondrai surement en riant à mon tour : « Ou kwè m te kwè w ! », puis on restera tard dans la nuit, en silence surement, en face du téléviseur. Elle regardera son feuilleton préféré, moi, je me délecterai de sa présence. Un peu plus tard, je me lèverai et lui dirai : « Bonne nuit manmie », et elle me répondra : « Nonne nuit chérie ».

Couchée seule dans ma chambre, j’esquisserai un sourire et dirai merci à Dieu que ce ne soit qu’une farce parce que, sérieusement, si c’était vrai… je ne pense pas que je survivrais.

Paola Guerrier

La rédaction de Ayibopost

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